Un Malick accessible, enfin

Film : Song To Song (2017)

Réalisateur : Terrence Malick

Acteurs : Michael Fassbender (Cook), Ryan Gosling (BV), Rooney Mara (Faye), Natalie Portman (Rhonda)

Durée : 2h 25m


De musique en musique… La filmographie de Terrence Malick va de poème en poème, hermétiques souvent, ennuyeux parfois, esthétiquement sublimes toujours. Après nous avoir perdus dans un labyrinthique Knight of cups (2015), derrière un Christian Bale errant languissamment en quête de transcendance, l’énigmatique réalisateur décide de faire bien plus simple, plus construit, tout en gardant son écrin artistique unique. 

 

Beaucoup malheureusement, lors des premières séquences, ont reconnu les « tares » de Malick, l’apparente perdition scénaristique, le manque d’accompagnement du spectateur, les mêmes obsessions visuelles, les mêmes réflexions en voix off, et ont lâché l’affaire en un quart d’heure. Certaines critiques de presse ne font écho que du début, comme si leurs auteurs n’avaient laissé à Malick que trois ou quatre scènes pour montrer qu’il avait enfin corrigé ses erreurs passées. Or, le schéma narratif extrêmement simple, pour une fois, ne se distingue qu’au milieu des péripéties des personnages. Il fallait être plus patient : un film ne doit se juger qu’à la fin du générique ; et encore, c’est bien tôt.

 

Malick reprend une de ses questions les plus récurrentes : le choix entre le bien et le mal. 

Une femme, Faye, hésite entre les deux, symbolisés par deux hommes : un riche producteur musical (Michael Fassbender), charmeur, manipulateur, et un compositeur (Ryan Gosling), bien aussi beau, mais innocent, et bienveillant. L’un cherche dans les rapports humains l’amour-propre, son propre plaisir : il consume les autres à son feu, jouit en les consommant corps et âme. L’autre est honnête, cherche chez les autres le bonheur mutuel. L’amour-propre, dans un langage religieux, est bien l’amour détourné de sa vraie finalité. L’amour du prochain est tout le contraire. L’opposition entre le bien et le mal saute aux yeux, et Malick augmente leur contraste en douceur, progressivement, jusqu’à un point évident où le symbole vient coller des étiquettes très claires sur les personnages (comme la brève séquence où Cook, le producteur, porte un masque de bélier sur le visage…). Et comme dans la vraie vie, pas simple de choisir, pas simple pour Faye (Rooney Mara) de choisir l’un et de renoncer à l’autre. 

La déliquescence provoquée par le mal est également traitée en profondeur. Jamais un Malick n’aura été formellement aussi sulfureux, érotique même ; mais au contraire de nombre d’autres films courants, l’apparition du mal est toujours pertinente : elle sert à s’en dégoûter, à y voir la vanité, l’insatisfaction, la destruction de ses adeptes, leur petitesse, et finalement, leur mortifère issue. 

Et même du côté du compositeur, l’homme bon si on peut dire, la faiblesse existe, faiblesse expliquée par le manque de repères (comme souvent chez les personnages de l’auteur), qui fait en l’occurrence plonger ce bonhomme-là dans l’amour avec bien trop de légèreté, d’insouciance. 

 

 

Song to song ne se termine donc pas sur un grand point d’interrogation, comme Knight of Cups ou encore le documentaire Voyage of time (2017) : le message est clair, et la logique pour le saisir l’est tout autant. Malick saupoudre le tout de son regard photographique inimitable, et d’une poésie subtile, lâchant ici ou là quelques hymnes au beau, au bien et au vrai. L’exemple le plus frappant demeure dans le conseil que donne Faye à son compositeur blond, embarqué dans une nouvelle création romantique au piano, qu’elle juge trop rapide et qui laisse au passage un double-sens sublime : « Doucement, c’est une histoire d’amour ». Le résumé d’un film de Terrence Malick.