Le Bonheur au cinéma


Les films qui y croient : la quête du bonheur

 

 

C'est le cinéma « optimiste ». On peut mettre dans cette catégorie tous les films qui parlent explicitement du bonheur et qui en font une évocation directe à travers un « happy end » dans lequel les héros trouvent leur épanouissement ou leur réalisation. On y trouve la plupart des comédies et des « success stories ».

 

 

Normalement, ce genre de film est là pour parler à notre part d'optimisme et à notre désir pratique d'un bien atteignable, pour nous rappeler qu'une certaine joie, un certain bonheur existe bien dans notre pauvre monde. Il tendra donc naturellement à nous présenter du « vraisemblable », sinon du déjà vu, des bonheurs réalisables, voire communs (amour, métier, famille), et dans un environnement réaliste, sinon familier.

Par exemple A la recherche du bonheur, de Gabriele Muccino en 2007, tiré d'une histoire vraie, dans lequel le personnage interprété par Will Smith, cherche à se sortir, lui et son fils, de la misère. Il y parvient à force de courage, de confiance, et de persévérance.

  

Malheureusement, il semble que d'une manière générale, la place laissée au bonheur tende à croître en proportion inverse de celle accordée à la vraisemblance ! C'est du moins l'impression qui se dégage de l'ensemble des comédies à grands succès.

 

 

Le Fabuleux destin d'Amélie Poulain (2001) de Jean-Pierre Jeunet, par exemple, 2ème plus gros succès international d'un film français : malgré une certaine défense de l'altruisme, il baigne dans une atmosphère artificielle de publicité un peu niaise, avec des caractères aussi improbables que les faits racontés. Le monde vu à travers des lunettes roses, en somme.

Slumdog Millionaire (2008) de Danny Boyle, n° 1 mondial au Box Office, nous offre une suite ininterrompue de coïncidences complètement invraisemblables qui portent inexorablement le héros vers la réussite. La morale, si c'en est une, nous est donnée par la dernière phrase du film : « C'était notre destin », dit le jeune indien. Fatalisme ou aveu d'invraisemblance ?

Dans Le Concert (2009) de Radu Mihaileanu qui ne manque pas non plus de trouvailles, le chef d'orchestre déchu poursuit son idée fixe d'un concert merveilleux qui réussirait parce que la fille de sa violoniste disparue doit nécessairement, c'est le destin qui l'a décidé, son intuition le lui dit, accomplir la magie d'un concert fantasmé autour du drame qui a mis brutalement fin à sa carrière. Et comme par hasard, contre toutes les lois élémentaires de la vraisemblance, avec un concert non préparé et un orchestre sans entraînement, la magie se produit ! « Spontanéité » qu'il disait ! Allez raconter cela à un vrai concertiste... Dans la réalité, la violoniste aurait dû en rester à son refus initial : elle avait raison de lui dire : « Je peux jouer à un concert, mais pas guérir un malade mental ». Apparemment anodine, cette spontanéité fait singulièrement penser à l' « ordre spontané » défendu par Friedrich Hayek, chef de file du libéralisme, selon lequel la liberté laissée aux hommes fait naturellement germer les conditions propices au bonheur...

Dans Happiness Therapy (2013), 8 oscars, qui se voulait une apologie du courage et de la force de la volonté, les héros finissent par s'appuyer, pour parvenir au bonheur, sur les « signes », les « concordances » mystérieuses, et les lois de la superstition.

 

 

Les héros de comédie moderne accumulent donc des imprudences et des actes irresponsables qui coûteraient cher dans la réalité. Sauf que dans le film, bien sûr, tout se passe bien !

Bref : actuellement, les comédies à succès sont de plus en plus irréalistes, et la vraisemblance ne semble plus être un facteur d'audience. Au problème du bonheur, la comédie moderne donne aujourd'hui une réponse qui est un peu celle du psy … : une boîte d'antidépresseurs ! Des films qui laissent le spectateur dans une euphorie sans mélange, mais stérile et artificielle. Un tel déni systématique de la réalité est dangereux pour un genre cinématographique qui, contrairement au merveilleux et au fantastique, risque trop facilement d'être confondu avec la réalité.

 

 

Ensuite, d'une manière générale, les comédies ne résolvent jamais complètement la question du bonheur : en effet, la richesse, la fortune, sont des choses fragiles, et qui ne satisfont pas absolument l'homme. Même l'amour ! À tel point que le happy end des comédies romantiques, abandonnant l'image traditionnel de l'amour éternel, consiste de plus en plus à un remariage ou à un « remaquage ». Même le « prince charmant » du Prince presque charmant (2013)  de Philippe Lellouche est divorcé plusieurs fois, et lorsque le rideau tombe le spectateur n'a plus qu'à imaginer la prochaine...

 

 

D'autre part, ce genre d'irréalisme semble moins être un choix poétique qu'une impuissance trahie par le laisser-aller. Pourquoi si peu se soucier de la vraisemblance, sinon parce qu'on ne prend plus la peine d'y croire efficacement ? On idéalise toujours ce à quoi on ne croit pas vraiment.

 

 

Alors, certains vont répliquer par une contre-attaque qui se veut un retour au réel et une désillusion.

Jaoui et Bacri, par exemple, dans Au Bout du Conte (2013), explicitent et assument cet échec avec un optimisme désarmant. « Le prince charmant a foutu le camp avec la Belle au Bois Dormant », comme dans la chanson de Téléphone, et la Princesse-Petit-Chaperon-Rouge, infidèle, libérée, puis délaissée à son tour, instruite par le pragmatisme du Loup, finit par comprendre à la suite de son entourage de névrosés-comme-tout-le-monde, que les contes, ça n'existe pas, et qu'il faut bien admettre tristement que tout le monde finit un jour ou l'autre par coucher avec tout le monde. Mais rassurez-vous : c'est pas si mal que ça, un monde désenchanté ! Et c'est sans aucun cynisme que le film se clôt par cette parodie : «Ils se trompèrent beaucoup et vécurent très heureux ». Et puis, les contes et les croyances, même si ça ne correspond plus à rien, c'est quand même nécessaire à notre « bien-être » et à notre « équilibre psychosomatique », comme … des antidépresseurs... !

 

 

Camus interprèterait tout cela autrement : en fait, c'est la peste qui a enfin imposé sa loi à la ville. Les gens, emprisonnés dans leur cité, se sont habitués à la peste ; ils ont oublié l'amour, les êtres aimés, et la période d'avant la peste. Mais, il reste un goût amer flottant dans les rues.

 

 

Les films qui n'y croient pas : la poursuite du rêve

 

 

Et c'est là qu'interviennent les pessimistes. Camus en est un. La plupart du temps, ils sont aussi plus idéalistes, plus « rêveurs » : ils placent plus haut leur idéal de bonheur. Ils posent le problème de manière franchement mordante, en opposant une soif d'infini, de sublime, à une impuissance désespérante face à l'insaisissable.

Dans ces films, qui peuvent être d'une qualité esthétique originale et d'une profondeur notable, le bonheur a le goût du rêve, inscrit dans une certaine tradition romantique.

 

 

La fin de Tigres et Dragons de Ang Lee (2000) est caractéristique de ce paradoxe, entre espoir et désespoir absolus. La jeune héroïne chinoise, au bord du parapet d'un monastère, demande à son amant s'il se souvient de la morale d'un conte que l'on a déjà entendue dans le film : « Un cœur fidèle fait que les rêves deviennent réalités. » Puis, elle lui demande de formuler un vœu. Son amant dit : « Que tu viennes avec moi dans le désert », refrain de leur romance ; et la jeune fille se jette gracieusement dans les nuages.

 

 

Souvent d'ailleurs, ce cinéma dresse une opposition plus ou moins explicite à un certain univers « réaliste » et pragmatique , comme à un monde bourgeois limité et conventionnel.

Le Cercle des Poètes Disparus de Peter Weir (1989), par exemple, présente la révolte d'une jeunesse en quête de poésie et d'idéal contre une bourgeoisie puritaine, étriquée, et matérialiste. Cependant, le film se termine par une sorte d'échec tragique et désespérant : le suicide de l'étudiant le plus « artiste » du Cercle, après que son rêve de devenir acteur ait été brisé définitivement par la pression de son père.

Edward aux Mains d'Argent (1990) de Tim Burton exprime aussi cette sorte de suspension entre le rêve et la réalité, entre l'espoir merveilleux et l'aveu d'impuissance. Edward, qui incarne la magie et le monde des contes romantiques, débarque au milieu d'une société de consommation plate et écœurante. Mais à la fin, le jeune homme étrange, gentil, artiste et rêveur, incapable de s'intégrer, chassé par les vices des habitants, retourne s'enfermer dans son château pour sculpter indéfiniment dans la glace les amis qu'il s'est brièvement faits... Dans le monde, son souvenir ne reste que dans le cœur de la jeune fille qu'il aimait. Le rêve demeure, mais dans un monde inaccessible, et il ne reste rien d'Edward, sinon un souvenir, et la neige qui tombe, chaque hiver, depuis les adieux.

 

 

D'une manière générale, tous les films qui évoquent une sorte de fuite de la réalité vers le rêve sont porteurs de cette même mélancolie.

L'histoire de Peter Pan, le petit garçon qui ne voulait pas grandir, de JM. Barrie, est très représentative de ce sentiment. Même la version édulcorée de Walt Disney en 1953, avec sa chanson : « Rêve ta vie en couleur, c'est le secret du bonheur », n'échappe pas à l’objective tristesse du fond, malgré la forme. Pourquoi rêver sa vie, sinon parce que la vivre ne suffit pas ? Et l'on retrouve chez Disney la figure opposée du père pragmatique, qui ne croit pas dans Peter Pan, mais ne pense qu'à sa situation et à ses boutons de manchette.

Citons bien sûr L'Histoire sans fin de Wolfgang Petersen (1984), dans lequel un garçon s'évade par un livre magique dans l'univers de Fantasia, menacée par le Néant... parce que les hommes ne rêvent plus.

 

 

Toutes ces œuvres portent avec elles, avec plus ou moins de force, un déchirement, ou au moins un pincement qui ressemble à de la nostalgie (le propre de la nostalgie étant de désirer une chose qui, par définition, ne revient jamais), provoqué par la coexistence d'un espoir indéracinable de l'infini et d'un vide non moins évident. Ils se finissent tous sur une fracture ouverte, sur un point d'interrogation, et laissent le spectateur comme suspendu au-dessus du vide. C'est d'ailleurs la dernière image de Tigres et Dragon : la jeune fille planant, plutôt que tombant, au-dessus des nuages.

Baudelaire résumerait : « Je quitterai ce monde où l'action n'est pas la sœur du rêve. » (Les Fleurs du mal, « Le Reniement de Saint Pierre »). Ou plus simplement, Aragon, repris par Brassens : « Il n'y a pas d'amour heureux ». L'idéal est par définition inaccessible, et l'on croit au fond si peu au bonheur que l'expression même de « philosophie du bonheur » est devenue péjorative à force de sentir l'échec.

 

 

 

Ceux qui préfèrent parler d'autre chose : l'Amour et le renoncement

 

 

Mais nous trouvons aussi une autre sorte de films : ceux qui, sans renoncer forcément au bonheur, tendent surtout à représenter, non pas le bonheur lui-même, mais autre chose : la vertu et la bonté. Avec ce qu'elles comportent de renoncement et de sacrifices. On est donc loin de « l'épanouissement personnel» ou même de la « réalisation de soi » tels qu'on les conçoit communément : ici, l'amour est plutôt synonyme de sacrifice.

 

 

Une histoire admirable de renoncement nous est présentée par l'excellent feuilleton de la BBC adapté en 2008 du roman éponyme de Jane Austen : Raison et Sentiments, sur un scénario d'Andrew Davies. L'héroïne est une jeune fille fragile et sensible. Obligée de sacrifier son amour, ses sentiments, ses attachements les plus chers elle le fait pourtant en silence, pour se dévouer prudemment à sa famille. De ce fait, elle renonce même à la reconnaissance et à la compassion, puisque sa pudeur volontaire et son attitude prudente et raisonnable, sans complaisance, la font passer aux yeux de sa sœur et de sa mère pour une insensible, une égoïste, et une  empêcheuse de tourner en rond. Malgré cela – ou à cause de cela - elle est récompensée par un heureux dénouement !

Les autres œuvres de Jane Austen (Orgueil et Préjugés), mais aussi Jane Eyre, de Charlotte Brontë, sont de la même veine.

 

 

On trouve aussi des films d'aventure qui mettent en scène des héros qui offrent véritablement leur vie pour les autres.

Le film de guerre Retour vers l'enfer (1983) met en scène des anciens combattants du Vietnam qui décident, pour délivrer un ancien camarade, de retourner sur les lieux du combat, dans une opération extrêmement risquée où plusieurs laisseront leur vie.

On trouve parfois des choses étonnantes dans l'univers pourtant morbide de Tim Burton : Charlie et la Chocolaterie, dans laquelle le petit garçon généreux est récompensé et les autres punis à l'endroit de leurs propres vices ; ou encore Les Noces Funèbres (2004), dans lequel la fiancée « morte «  renonce à trouver un mari, et disparaît pour faire le bonheur de son ami et de sa fiancée vivante.

Le Seigneur des Anneaux constitue une vaste apologie du renoncement et du sacrifice, y compris du renoncement à l'honneur. Faramir accepte d'être déshonoré aux yeux de son père qui ne le comprend pas, et se sacrifie pour sauver sa cité ; Boromir meurt pour sauver ses compagnons et réparer sa faute ; Arwen renonce à son immortalité par amour pour Aragorn... Sam garde toujours la bonne humeur, soutenu par l'amitié déférente qu'il voue à son maître. Frodon lui-même poursuit une tâche effrayante et sans gloire qui le voue à l'isolement. La bonté et la force rayonnante du personnage original sont amoindries dans le film, mais Peter Jackson a tenu à montrer, lors du dénouement, la joie et la paix intérieures du héros s'embarquant pour les Terres Immortelles qui constituent son ultime récompense.

 

 

La Vie est belle  de Franck Capra (1946) montre que la voie de la justice et de la bonté peut se montrer très fructueuse : George, au bord du gouffre, finit par s'en sortir parce que tous les amis, qu'il a inlassablement aidés au cours d'une vie de renoncement généreux, lui apportent leur aide. La morale nous est donnée par son « ange gardien » : « Aucun homme qui a des amis ne rate sa vie. » Cela peut sembler naïf, mais, comme l'a noté un commentateur : « […] Cette solidarité est d'autant plus bouleversante qu'elle est à la fois utopique et vraisemblable » (Petit Larousse des films 2009).

 

 

Finalement, ne pas penser à son propre bonheur serait le meilleur moyen de l'obtenir ! Plus modestement, le seul bonheur stable que l'on puisse trouver sur la terre se gagnerait en cherchant celui des autres - c'est-à-dire en pratiquant la justice, la miséricorde et l'amitié véritable (cf. fiche sur l'amitié). Et cela n'est pas si idiot que cela en a l'air...

 

 

D'abord, pensons à la maxime : « On a plus de joie à donner qu'à recevoir ».

Ensuite, la personne qui se sacrifie par amour pour autrui gagne un bonheur dont le propre est une indestructible stabilité. Ce bonheur est celui de l'homme vertueux : il ne dépend ni du hasard, ni de la condition, ni du tempérament, ni de la fortune … ni même du succès ; mais tout en définitive, fortune ou infortune, contribue à grandir un homme bon, en lui fournissant l'occasion de pratiquer la justice.

Cela explique cet optimisme vivifiant, cet enthousiasme que nous communiquent les films qui parlent de renoncement et de sacrifice. C'est non seulement beau et admirable : c'est aussi pratique et réalisable. Car on peut tous tenter d'imiter les vertus d'un héros courageux, alors que regarder un film comme Slumdog Millionaire ne nous fera pas devenir beaucoup plus chanceux si l'on joue à « Qui veut gagner des millions » !

 

 

 

Cette vision du bonheur a donc l'avantage de contenter à la fois notre soif de concret, de réalisme, et d'un bonheur « atteignable », en même temps que notre aspiration à un idéal absolu.

Il est vrai que cela relève plus de la mystique et de la religion de trouver ce bonheur éternel et infini, ce rêve qui comblerait ces désirs profonds que les poètes ont exprimés d'une manière si déchirante. Cependant, on peut considérer que l'homme qui parviendrait à être vraiment vertueux, c'est-à-dire à pratiquer au quotidien une bonté et une générosité merveilleuses allant jusqu'à l'héroïsme, incarnerait en quelque sorte cet idéal, dans la mesure où il incarnerait l'amour véritable, la miséricorde, la bonté... et donc le bonheur, en attendant une justice rétributive. Ce qui nous amène, enfin, à la question d'une vie après la mort.

 

 

Une réponse philosophique : le bonheur dans la contemplation

 

 

 

Aristote pensait qu'une vie après la mort était rendue nécessaire par la nature spirituelle de l'homme, qui échappe aux lois de la matière et donc de la mort, et dont l'objet et le bien adéquats ne pourraient être limités ni par la matière ni par l'instabilité du mouvement.

Pour lui, le bonheur de l'homme consiste dans la contemplation – ce qui est une manière d'envisager l'amour, d'ailleurs. Mais comme la contemplation parfaite ne peut pas être réalisée sur la terre, pour les raisons données ci-dessus, cela justifie une fois de plus l'idée d'une vie après la mort.

 

Mais voilà un point de vue bien plus philosophique – ou religieux - que cinématographique. Quoique ... Le film The Tree of Life, de Terrence Malick en 2011, sur le mystère de la vie et de l'amour, prend résolument le parti de l'âme spirituelle et d'une fin transcendante.

Et puis, cela recouperait plutôt bien une certaine vision du bonheur commune aux poètes et à la sagesse populaire. Ne serait-ce pas l'explication définitive de la phrase bien connue : « L'argent ne fait pas le bonheur ! » … Ne serait-ce pas le sens le plus profond des paroles de la célèbre chanson du Livre de la Jungle de Walt Disney : « Il en faut peu pour être heureux » ?


Informations complémentaires

()

Réalisateur :

Acteurs :

Durée :