Cet espace est un espace de libre expression. Les propos qu'il contient ne sauraient donc engager L'écran.
Film : Ghost In The Shell (2017)
Réalisateur : Rupert Sanders
Acteurs : Scarlett Johansson (Le Major), Pilou Asbæk (Batou), Takeshi Kitano (Daisuke Aramaki), Juliette Binoche (Dr. Ouelet)
Durée : 01:47:00
Réalisateur : Rupert Sanders
Acteurs : Scarlett Johansson (Le Major), Pilou Asbæk (Batou), Takeshi Kitano (Daisuke Aramaki), Juliette Binoche (Dr. Ouelet)
Durée : 01:47:00
Ghost in the Shell est une œuvre majeure de notre culture cinématographique. Née du manga éponyme dessiné par Masamune Shirow entre 1989 et 1991, arrivé dans nos contrées en 1997, cette fresque cyberpunk fut d’abord réservée et appréciée par le cercle assez restreint des amateurs de bandes dessinées japonaises. En France l’animation japonaise étant à cette époque plus populaire que les mangas papiers, il fallut attendre la production et le voyage jusqu’à nos contrées du film d’animation de Mamuro Oshi en 1995, pour découvrir le myth.
Ce qui est frappant dans la version animée de 1995 c’est qu’Oshi ne fit pas qu’adapter un matériau déjà riche de sens dans le manga. Il retravailla son esthétique et son ambiance qui avaient dans la BD de Shirow, un coté cartounesque assez typique à l’époque. Il ennoblit l’œuvre par une direction artistique réaliste, une mise en scène immersive, des dialogues profonds et une musique de génie. Plus qu’un simple support à la réflexion, la réalisation faisait littéralement écho à celle-ci.
Motoko Kusanagi passant en camouflage thérmo-optique dans le Manga de Masamune Shirow (1989)
La version de l’animé de 1995 de Oshi
La version live action de Ruppert Sanders, 2017
C’est le visionnage de la version de Ruppert Sanders sortie en 2017, qui me donna l’envie d’étudier le rapport entre esthétique cyber-punk (de japanimation) et réflexion philosophique. Bref : pourquoi j’avais tant apprécié le film de Oshi, autant du côté artistique que du côté philosphique ? Et pourquoi, malgré la baisse de qualité intellectuelle de la version live action, l’esthétique - et le fan service bien pensé - m’empêchaient de rejeter ce film comme l’ont fait bon nombre de (pseudos ?) fans. Parce que oui, j’ai aussi aimé Scarlett dans la peau du Major.
La beauté cybernétique
D’une certaine manière le ressenti de beau est lié notre raison. Comme il est corrélatif à l’être, que notre esprit aspire à connaitre, au-delà des essences, n’en déplaise à Platon, c’est à dire l’être lui-même, l'être existant, le beau se conçoit comme une délectation, une contemplation, de la faculté cognitive. Et cette faculté est tributaire de la façon dont elle se construit. Pour le dire plus simplement : de notre degré de science dépend l’acuité de notre raison. Plus précisément, l’acuité de notre intellect actif qui va présenter plus ou moins « profondément » les choses à notre intellect passif dépend de sa formation : l’être n’est-il pas l’objet formel de l’intelligence ? S’il est évident que plus un être est parfait, plus il devrait être perçu comme beau, car il l’est intrinsèquement, il est également vrai que nous sommes tous différents dans notre rapport à la perfection. Comment expliquer cela ?
On connait plus parfaitement un être lorsqu’on en connait plus parfaitement les causes, c’est-à-dire lorsqu’on en possède plus ou moins la connaissance via la science correspondante : science étant connaissance par les causes d’après Aristote.
Des moments de contemplations… (animé de 1995)
Seulement voilà ; comment trouver beau, un univers cyberpunk, par définition, sale, robotique, traduisant une société futuriste matérialiste plus pratique qu’esthétique, voir une société sans art ?
Ghost in the shell est pourtant un univers très esthétisé, c’est-à-dire qui conçoit le visuel dans le but de suscité l’admiration. Les visuels de l’animé sont très réalistes et la mise en scène tient une place prépondérante dans l’œuvre elle-même. Le beau d’une œuvre artistique se trouve souvent dans l’émerveillement suscité par la qualité de la reproduction de la réalité et dans le traitement de celle-ci. Dans un film on parle de direction artistique. La qualité des plans de Ghost in the shell, sa musique japonaise planante et vibrante, son ambiance mélancolique et calme, parfois ses couleurs notamment dans la scène si lourde de sens de la plongée sous-marine, sont tout à fait poétiques. Ces paradoxes apparents entre beauté objective d’une vision poétique et artistique et le visuel dérangeant du cyberpunk seront valorisés dans la contemplation en fonction du spectateur.
D’un spectateur à l’autre.
Par rapport à notre préambule, c’est aussi en prenant en compte la qualité du spectateur que le degré de contemplation peut différer. Qu’on s’entende bien. Il ne s’agit pas de la possession d’un plus ou moins grand quotient intellectuel - jauge parfaitement discutable - mais d’un degré de type de qualité, accident de la substance. Expliquons : La qualité est un accident constitutif d’un être au degré formel, susceptible de variation (ce qui fait de lui un accident et non un élément substantiel, bien que l’accident qualitatif soit un accident substantiel, clin d’œil aux lecteurs exigeants). Par exemple un vêtement blanc peut l’être plus ou moins, la blancheur étant une qualité au sens aristotélicien. Seulement comme nous l’avons dit, il ne s’agit pas de comparer des êtres par degré de Q.I. mais par affinité avec tel ou tel élément qui constitue leur manière de recevoir une œuvre artistique. Si la qualité est un accident de la forme, que notre forme n’est autre que notre intellect et que l’être est l’objet formel de l’intelligence, alors nous nous construisons, nous sommes informez, par la connaissance.
Qu’est ce qui fait que nous recevions Ghost in the Shell de manière contemplative ou non ?
Imaginons un instant quelqu’un de trop littéraire, enfermé dans le XVIIIème par exemple, à la morale rigide plus kantienne que thomiste. Cette personne sera plutôt interloquée devant les scènes de nudité ou de violence de Ghost in the shell (scènes bien amoindries dans la version de 2017, PG-13 oblige). Par contre un esprit plus artistique, philosophique, ancré dans la réalité présente et donc scientifique, et si par-dessus tout, celui-ci projette ses qualités dans le champ culturel en étant pétri de connaissance en science-fiction ; cette personne recevra Ghost in the Shell comme un chef-d’œuvre. Nous voilà prêt à effleurer un autre thème : la pop-culture, élément fondamentale pour intelliger Ghost in the shell
La pop culture, disons, de niveau supérieur, pas forcément celle des blockbusters estivaux - encore qu’ils s’améliorent, preuve s’il en est que l’humanité progresse en qualité comme disait Gustave Thibon, a toujours été constituée d’une véritable science et d’une réflexion philosophique corrélative en toile de fond ou en élément clé de l’intrigue. Un esprit alerte aux évolutions technologiques et morales de son temps, et donc à sa culture, goutera évidement plus intensément le sens de Ghost in the shell. Et n’est-ce pas l’apanage du « sage » que de vivre dans le réel de son époque ? Star Wars fait partie de notre culture et tenter de réduire au ridicule la culture en l’affublant du préfixe « pop », ne fait pas de la pop-culture une sous-culture.
Revenons à nos cyber-moutons. Cette connaissance, intuition de l’être, sera peut-être plus fine chez notre spectateur et il s’en dégagera davantage de contemplation de cette œuvre justement parce qu’il y aura une plus grande compréhension du sujet que vient souligner et illustrer, traduire en image, cette esthétique.
Ce qu’il y a à contempler
Pour apprécier à sa juste valeur Ghost in the shell, il faut le saisir comme une réflexion philosophique à tous les niveaux. Oui le thème central du film est ce qu’on n’appelait pas encore à l’époque, le transhumanisme. Mais il est plus profond que tout ce qu’Hollywood aura sur nous pondre sur le sujet. A des lieux d’un Transcendance, d’un Chappy ou d’un Lucy, Mamuro Oshi et Masamune Shirow nous interrogent sur la valeur de l’humain. Sur la question de ce qui fait que nous sommes vivants, conscients, ou raisonnants. A cet égard la conversation entre le Puppet Master, Nakamura et Aramaki est admirable en tous points de vue. Imaginez : comment notre société matérialiste pourrait répondre à une intelligence artificielle demandant l’asile politique sous prétexte qu’elle est une forme de vie, événement on ne peut plus plausible d’ailleurs. Quelle science pourra-t-on appeler pour y répondre sinon la philosophie ? Encore faudrait-il lui rendre son statut de science, mais pour ce faire, il faudrait réhabiliter le réalisme philosophique, et ce n’est pas demain la veille.
Un exemple frappant : la nudité elle-même n’est là dans ce film, que pour nous faire réfléchir. Elle n’est jamais érotisée ou vulgaire. Elle est là pour souligner le contraste qu’il peut y avoir entre la machine froide et solide et la fragilité de la nature, de notre nature, que nous inspire la nudité. C’est tout le contraste entre la machine et l’humain.
Plus que Motoko, c’est notre âme que ce film met à nu devant la gravité du sujet exploré. La scène finale du combat contre le tank en est l’archétype. Kusanagi nue tentant d’ouvrir la trappe du char, s’arrachant les membres dans un ralenti esthétisé : soit il faut être complétement tordu pour poser une telle scène, soit il faut avoir parfaitement maitrisé son thème avec toute la sensibilité artistique japonaise.
Le puppet master, ou la nudité de la conscience (animé de 1995)
Vous voulez voir comment un tordu réaliserait un film sur le sujet ? Courrez voir Lucy de Luc Besson.
Panégyrique de Ghost in the shell
Oui, ce paragraphe est totalement subjectif, car nos connaissances se construisent par notre expérience et l’appréhension d’une œuvre diffère d’une personne à l’autre, mais après tout, ce petit essai étant plus passionné que raisonné, plongeons donc dans ma contemplation de Ghost in the Shell.
La beauté objective des graphismes, loin des archétypes hollywoodiens modernes, nous présente des personnages qui ont des gueules, comme dirait le capitaine du Nexus VI, grand spécialiste de SF su YouTube. Ceci est moins vrai dans la version 2017, whitewashing oblige (oui j’ose tout). Comment se sentir impliqué dans une histoire, dans un univers sans des personnages plus vrais que nature ? Ce sont Batou, Togusa et Ishikawa plus encore que Kusanagi qui nous entrainent dans cette épopée philosophique. L’animé en quelques scènes, nous fait pénétrer dans ces personnages tous charismatiques. Ô combien ce point est totalement raté dans la version 2017…
Mais regardez-moi cette mise en scène magistrale ! (animé de 1995)
L’univers. Mais vous avez-vu ces superbes scènes d’ambiance ?! Le monde de GiTS est un monde qui pourrait raisonnablement exister. Pour nous, occidentaux, le fait que l’intrigue se passe au japon, rend sans doute cela plus étonnant et onirique, pourtant il convient de dire que ce monde est d’une cohérence bluffante : l’architecture, la politique, la complexité des données scientifiques, la synergie des technologies, l’aisance des protagonistes dans ce monde, et tant d’autres détails font de ce film un film d’anticipation plus vrai que nature. Qu’on se le dise, c’est aussi le point fort de la version 2017, mais ce dernier doit tout à son aïeul.
La musique ! Certes c’est une musique typée japonaise avec ces chœurs très aigus et cela comporte pour nous une part d’exotisme. Mais c’est aussi un trait important du sens du film. Non seulement la musique de GiTS est présente pour soutenir la tragédie, mais elle est elle-même partie de la réflexion. C’est une musique qui mêle sons ancestraux, et le Japon possède une culture tournée vers la Tradition, aussi profonde qu’incompréhensible pour nous, occidentaux, et sonorités plus modernes. D’ailleurs le contraste entre une musique traditionnelle et les visuels cyberpunks sont aussi là en guise de paradoxe entre naturel et artificiel, être humain et machine. A cet égard, la version 2017 est encore un ratage complet.
Sanders à réussit visuellement cette confrontation entre cyberpunk et tradition (bien qu’inspirée de GiTS Innocence, le second animé).
La mise en scène digne d’un très grand film. La scène du plongeon depuis le toit de l’immeuble, la scène du canal, la scène du combat final, les vues de la ville, les plan fixes de dialogue, simplement la scène du réveil de Kusanagi à contrejour, tout est chef-d’œuvre. Oui, c’est un dessin animé. Mais on l’oublie très vite.
Enfin l’histoire. Une histoire passionnante, une intrigue de politique et d’espionnage palpitante et complexe, une interprétation bien en avance et tellement précise de la cybernétique et de ses enjeux, des dialogues mémorables, les voix, les voix des doublages étant également de qualité supérieure dans l’animé (chose plutôt rare, saluons au passage la voix prenante de Tania Torens, également celle du Lt Ellen Ripley dans la saga Alien, pop-culture quand tu nous tiens…) : tout transporte le spectateur.
Bref vous l’aurez compris, Ghost in The Shell est un événement dans notre culture, le must, une référence. Ce qu’il nous faut c’est une culture de qualité à la fois esthétique et réfléchie. Et si c’est de la pop-culture, alors nous pouvons sans doute espérer que la population s’améliore au contact de ces grands de l’animation et de la science-fiction, et peut-être que dans un siècle où deux Oshi sera considéré comme l’un des Molières modernes.
Un film à se triturer les méninges et c’est pour ça aussi qu’on l’aime.