« … se souvenir de son enfance qui rêvait d’aventures merveilleuses. »

Film : Les disparus de Saint-Agil (1938)

Réalisateur : Christian-Jaque

Acteurs : Erich von Stroheim (Walter, le professeur d'anglais), Michel Simon (Lemel, le professeur de dessin), Armand Bernard (Mazeau, le concierge), Serge Grave (Beaume), Jean Claudio (Sorgue), Marcel...

Durée : 1h 38m


« On a simplement voulu fournir au spectateur une occasion de se souvenir de son enfance qui rêvait d’aventures merveilleuses » : par ces mots s’ouvre le film Les disparus de Saint-Agil. Et une fois le spectacle terminé, après 1h34 de suspense haletant, parfois d’angoisse et aussi d’attendrissement devant cette re-création du monde de l’enfance, le contrat est rempli. Sans quitter les murs d’un vieux château reconverti en pensionnat, où règne une détestable ambiance entre professeurs, dans le climat délétère de la France d’avant-guerre, nous nous prenons à sourire devant l’imagination et la poésie des enfants, à frissonner à chaque disparition mystérieuse, et à rêver enfin que nous aussi, lorsque nous étions petits, nous aurions pu…

Ce qui touche de prime abord dans ce film, c’est la poésie des enfants. On pense naturellement à la bande des « Chiche-Capons », la société secrète des trois jeunes protagonistes. Si, au sens propre, la poésie est l’art de la création, les fondateurs des Chiche-Capons étaient de réels poètes : rituels d’ouverture des réunions, mots de code, grand dessein secret, tout est là qui traduit un imaginaire enflammé, y compris le « quatrième membre », le squelette du cours de sciences naturelles.

Cet imaginaire est naturellement tourné vers une « aventure merveilleuse » : or quel pays faisait plus rêver de petits Français de l’entre-deux-guerres que l’Amérique ? L’un des protagonistes tentera sa chance, en vain, tandis que tous les enfants du pensionnat connaîtront l’aventure et le frisson sous la forme de l’équipée finale, de nuit, dans la forêt voisine, contre les malfaiteurs, pour délivrer leur ami. Cet exploit n’est pas sans rappeler les grands jeux scouts dans l’esprit de « responsabilisation des jeunes » prôné par Baden-Powell ; de fait, il en rassemble tous les ingrédients classiques, tels l’encadrement des petits par les grands, les éclaireurs, les petites équipes, le stratagème et la prise d’assaut finale.

Enfin, de petits détails charmants, typiques de l’enfance, nous touchent. Comment ne pas être attendri par le petit qui nourrit sa tortue avec des feuilles de salade ? Qui ne se souvient, dans sa propre école, d’avoir eu maille à partir avec un vilain cafteur, ni d’avoir soupçonné un professeur à l’allure inquiétante des pires méfaits, en toute gratuité naturellement, puisque, nous l’avons dit, l’imaginaire enfantin fonctionne ici à plein ?

Pour autant, Les disparus de Saint-Agil n’est pas un film de Bisounours. Tout n’y est pas rose, et Christian-Jaque sait nous faire frissonner. Dès les premiers dialogues, la mauvaise ambiance qui règne entre les professeurs nous presse le cœur, et on se prend de pitié pour ces enfants enfermés dans un tel pensionnat… La discipline est rude, les horaires rigoureux, le directeur intraitable. On comprend dès lors que l’imaginaire des enfants répond à un profond besoin d’échappatoire de cet univers gris, réglé, si peu chaleureux.

Le seul professeur qui témoigne de l’empathie pour les élèves est incompris, et soupçonné de dureté par ceux-là même qui n’ont que punition et réprimande à la bouche. D’ailleurs, n’est-il pas étranger, et d’un naturel peu sociable ? A ce titre, ne serait-il pas un espion, embusqué derrière ses doubles lunettes ? Magnifique jeu d’acteur d’Erich Von Stroheim, qui passe du flegme inquiétant à la colère froide puis à l’éclat contre un collègue. Le baron pilote allemand de La grande Illusion devient ici un professeur anglais qui comprend mieux que personne les enfants, et nous touche lorsqu’on devine que son célibat est en réalité un veuvage… Méprisé et soupçonné par ses collègues comme par les élèves, il connaîtra sa revanche personnelle lorsque, seul de tous les adultes, il sera accepté par les jeunes aventuriers dans la société secrète des « Chiche-capons ».

Avec ses nombreuses scènes de nuit, dans la pénombre et le silence, ses professeurs inquiétants, ses disparitions répétées et même son meurtre, Les disparus de Saint-Agil nous font frissonner (modérément tout de même : je montrerais ce film à mes enfants de plus de 12 ans sans difficulté). Ainsi, les bandits exercent l’activité peu recommandable de faux-monnayeurs, une des grandes peurs de l’entre-deux-guerres, motivée par l’inflation des années 20 en Allemagne, puis par la Grande Crise de 1929 dans le monde ; on la retrouvera aussi dans l’aventure de Tintin L’Île Noire, parue pour la première fois la même année, en 1938. Tiens, tiens…

En dépit de l’atmosphère pesante du pensionnat, ce film dégage et nous laisse sur une impression positive grâce à la candeur et à l’optimisme des enfants. Ils ne doutent de (presque) rien, et surtout pas d’eux-mêmes, ce qui leur donne la force de surmonter tant leur quotidien grisailleux que la bande de malfaiteurs. C’est de cette joie de vivre et de cette vitalité dont témoignent aussi les musiciens de la fête du pensionnat, les jeux des cours de récréation et les chahuts du midi à la cantine. Ainsi, le jeune Serge Grave, qui joue le rôle de Beaume, chef des Chiche-capons, nous impressionne par son énergie et sa détermination à retrouver ses camarades disparus.

Optimisme, Espoir et Energie : ces enfants ont toute la vie devant eux, le monde est à leur portée, à commencer par l’Amérique !