Éternité

Film : Éternité (2016)

Réalisateur : Tran Anh Hung

Acteurs : Audrey Tautou (Valentine), Bérénice Bejo (Gabrielle), Mélanie Laurent (Mathilde), Jérémie Renier (Henri)

Durée : 01:55:00


C’est une petite révolution. Généalogie de l’amour humain sur trois générations de femmes, le film Eternité referme définitivement après lui la porte du XXème siècle. Le siècle des guerres et des idéologies. Il met fin à des décennies de relecture de l’histoire par le marxisme. Ce cher marxisme des historiens cherchant désespérément des oppositions chroniques de classes, de genres et de confessions pour justifier sa rébellion contre le sens divin de l’histoire de la vie humaine.

Le film du franco-vietnamien Tran Anh Hung revisite le XXème siècle à travers une famille française nombreuse, catholique et, semble-t-il, relativement aisée, mais plaçant sa richesse dans sa progéniture. Chose nouvelle : avec des yeux complètement désidéologisés. Il s’autorise l’inadmissible. Il viole les dogmes historiques consacrés par la sociologie moderne qui voulaient notamment que le carcan familial opprime nécessairement l’individu en limitant sa liberté sexuelle. Il explose en plein vol un siècle de préjugés pesant sur la famille traditionnelle. Fresque scintillant de mille couleurs très vives, dans une composition remarquable, Eternité désarçonne le nihilisme contemporain et fait triompher le mystère de la vie. Taisant les dialogues, irisant de lumière la simplicité de la vie quotidienne en famille. Un peu dans le style de L’Arbre de vie (Terrence Malick, 2011), mais avec l’optimisme en plus.

Eternité, la bombe H antimarxiste

Que gagne une femme dont le mariage a été à moitié arrangé, ose l’auteur ? Le droit de porter un enfant. Le droit de réaliser pleinement son destin de femme : « il n’y a pas de plus grand malheur pour une femme que de se voir privée de la maternité ». Pourquoi accepter de souffrir l’enfantement ? Parce que les joies de l’enfance future seront plus grandes encore. Pourquoi donner la vie si nous sommes tous promis à une mort certaine ? Parce que la vie vaut la peine d’être vécue lorsqu’elle se réalise dans un amour fécond. Tran Anh Hung vient d’enterrer d’un coup le romantisme morbide qui a longtemps refermé les hommes sur leur peur de ne pas jouir de l’être convoité, et isolé les femmes dans des rêves de romance stérile déliés de leur héritage transgénérationnel.

Pourtant il ne revendique pas la charge antimarxiste de son œuvre, crevant l’écran par son évidence, et la place dans une démarche personnelle. En effet, Tran Anh Hung, arrivé en France en 1975 à l’âge de 13 ans, a connu l’éparpillement de sa famille causé par la guerre du Vietnam. Il s’est passionné pour le thème de la filiation à la lecture du roman d’Alice Ferney, L’Élégance des veuves (1995) : « Quand je vois une famille nombreuse, j’éprouve un sentiment de solidité, de pérennité qui m’émerveille ». Son film, vidé d’événements, s’intéresse uniquement à l’écoulement du temps. Bien sûr la mise en scène en ressort parfois dégarnie et les acteurs à la limite de la figuration, étant souvent privés de répliques, ce qui a d’ailleurs soulevé le mécontentement de l’actrice Bérénice Béjo durant le tournage. On se retrouve ainsi devant un triptyque grossesse-naissance-baptême assez redondant.

Un impressionnisme joyeux

Toutefois Tran tire une force de cette sobriété, voyant en l’éternité « l’anagramme de l’étreinte », à la suite de Montherlant. Pour lui le caractère événementiel du XXème siècle importe peu : ce qui compte, c’est le passage du flambeau de la vie, de mort en naissances, qui donne cette impression d’éternité. Au loin donc les tirades verbeuses de nombreux films rompus à l’explication, incapables de se taire pour exprimer la couleur des idées et des sentiments ! Tran Anh Hung, marqué par le déchirement de son pays d’origine dévasté par le communisme et la guerre froide au moment de son enfance, célèbre la musicalité de la vie dans son pays d’adoption : « le film est une ode à la vie, à l’amour, à la durée... Et par extension, une ode à l’amour conjugal. On y voit des hommes et des femmes qui se promettent de vivre ensemble en essayant de construire quelque chose ou du moins de ne pas détruire ». Eternité s’étire en quelques méandres, porté par une indescriptible mélancolie transfigurée. Pas assez toutefois pour vouer son auteur aux gémonies, qui profite indéniablement de son propre passé désarmant.