American Sniper

Film : American Sniper (2015)

Réalisateur : Clint Eastwood

Acteurs : Bradley Cooper (Chris Kyle), Sienna Miller (Taya Renae Kyle), Luke Grimes (Marc Lee), Jake McDorman (Biggles)

Durée : 02:12:00


La guerre est devenue immorale. L’a-t-elle seulement été un jour ? Difficile d’y répondre (la guerre en pratique). Immorale parce que tous ses combattants, qui ont des responsabilités de plus en plus lourdes, ont des philosophies différentes. Ce qui veut dire qu’ils ont tous des visions du monde, de la valeur d’une vie humaine, de l’honneur, de la vengeance, différentes. Loi du Talion pour les uns, joue gauche pour les autres…

Même si le film aborde d’autres problématiques, comme les séquelles psychologiques de la guerre, l’addiction au combat (dont parlait déjà l’excellent Démineurs, Oscar du meilleur film 2009) ou encore la légitimité de tuer en temps de guerre, deux d’entre elles sont mises en évidence.

La première est le devoir. Doué d’un talent magistral, le sniper Chris Kyle veut se battre sans cesse, en pensant que chaque coup qu’il tire est comme une vie de soldat américain sauvée. Il croit fermement dans la justice du conflit, dans le combat qu’il mène. Pour lui, la civilisation affronte la barbarie. Sincère, certes gentiment manipulé (pardon de me répéter sur une vieille critique, mais la phrase de Frédéric II s’impose encore : « Quand mes soldats commenceront à réfléchir, aucun d'eux ne voudra rester dans les rangs ! »), le guerrier pense que sauver les vies de ses frères d’armes passe avant sa vie de famille. Fallait pas se marier, dirait-on pour faire simple… Montgomery, puisqu’on est dans les citations de chefs militaires, disait « On ne peut être bon soldat et bon mari à la fois ». Difficile, en tout cas. Madame et les enfants ne voient plus leur héros, moins apte à la lutte pour rendre heureuse une petite famille que pour sauver de l’enfer des guerriers. Comme quoi, le héros n’est pas parfait, et souffre de lacunes pour de simples choses de la vie. Pour le spectateur, ce n’est pas plus mal : il s’agit d’un biopic, alors autant que le personnage soit réaliste.

La seconde est le manichéisme. Le bon vieux Clint a tout fait, comme rôle, dans les années 90, pour échapper à cette accusation. Et tout en rendant un vibrant hommage au héros, il n’oublie pas de montrer que celui-ci part se battre grâce à une conviction profonde : son combat est juste, le bien contre le Mal (Mal est écrit dans les sous-titres avec une majuscule). Ce à quoi un de ses soldats répond : « Le mal est partout ». Evidemment, il ne fallait pas expliquer que ce chevalier moderne est un type manipulé par la propagande U.S. Mais l’effort de nuance est fait. Et on constate, clairement, que malgré le courage de ce type, malgré la cruauté de ses ennemis (attention à la violence parfois très choquante, soit dit en passant, sauf si un crâne troué à la perceuse ne vous fait pas peur évidemment), le mal, la faiblesse et l’imperfection sont partout. Mais cette constatation demeure plus discrète que l’hommage. Eh, c’est Clint derrière la caméra, pas Michael Moore non plus (qui a évidemment sorti ses graisseuses griffes contre le film) !

American Sniper risque de ne plaire qu’aux hommes : comme La Chute du Faucon Noir, par exemple, nous sommes plongés dans l’intense feu de l’action pendant presque tout le film. Le talent de Clint Eastwood pour cet art n’est pas nouveau, puisqu’il est l’auteur des brillants A la mémoire de nos pères, et Lettres d’Iwo Jima. Il confirme son talent pour installer la tension, l’angoisse, et un très bon suspense. On ressort secoué, même éprouvé par ces affrontements. La bande-son est efficace, avec de nombreux bruits graves et sourds qui appuient les dangers ou les exploits. Quant à Bradley Cooper, il se montre à la hauteur de ce grand rôle. Sans doute son meilleur, probablement. Imbattable face aux talibans, démoli face à sa femme… La contradiction humaine dans le héros dans un jeu fin, très réussi.

Les questions morales sont donc nombreuses, et le film s’évertue à donner quelques pistes loin d’être stupides (même si le film n’aborde qu’en pointillés la légitimité de la guerre en Irak).
Doté d’une capacité d’immersion très efficace, le vieux Clint reste très inspiré, avec des plans assez géniaux (un zénithal notamment), qui permettent de bien situer l’action et les personnages, ce qui manque dans pas mal de films. Inspiré, son acteur l’est tout autant, le reste du casting aussi.
Bref, un film plutôt réservé à un public averti et masculin, a priori, qui pourrait rapidement devenir un classique du genre.