The Big Short : le Casse du siècle

Film : The Big Short : le Casse du siècle (2015)

Réalisateur : Adam McKay

Acteurs : Christian Bale (Michael Burry), Steve Carell (Mark Baum), Ryan Gosling (Jared Vennett), John Magaro (Charlie Geller)

Durée : 02:11:00


Le piège, avec les overcasts, ce sont les coulisses, où les agents défendent leurs étalons, pour que l’un ne fasse pas d’ombre à un autre, par un rôle plus sympathique, ou même une pauvre réplique en plus. Quand on aligne Christian Bale, Brad Pitt, Ryan Golsing et Steve Carell, le risque est bien présent de tomber sur un défilé de mode, où chaque vedette tire la couverture à soi, devant un réalisateur faible, et écrasant, pour l’œil averti, les rapports des personnages sous le poids de leur ego.

Le film, pour ce casting de rêve, est comparé à Ocean’s Eleven. C’est sur les affiches, ça parle aux gens. Or ce « casse du siècle » s’avère en fait bien plus proche de l’efficace Margin Call, retraçant la nuit précédant le  sombre jour où tout s'effondra, dans une des banques coupables. La différence, c’est que Margin Call était la pointe de l’iceberg, à côté de celui-ci, qui reprend la route vers la crise depuis le début, en se concentrant sur le cœur du problème : la crise des subprimes de 2007.

Contrairement à ce qu’on craignait donc, chaque acteur campe un rôle bien particulier, imparfait, réaliste. Ils se sont tous investis pour livrer de vrais rôles de composition, surtout Bale et Carell (ce dernier confirmant son nouveau statut), Gosling servant plus à amuser la galerie, et Pitt incarnant discrètement un ex-trader « repenti » (c’est beau – il est coproducteur, évidemment).

Le « casse du siècle » sert de titre accusateur envers les banquiers. Il ne s’agit pas de braquage de banque, mais de ... banque de braquage, si vous voulez. Pas de manichéisme : s’il y a des escrocs d’un cynisme aberrant, il faut noter que chacun se trouve à des degrés très variés entre la cupidité et l’honnêteté. D’où l’intérêt que chaque caractère suscite. L’équation est simple : vous êtes doué, et vous prévoyez le krach de 2008, que faites-vous ? Pariez-vous sur le malheur des gens ?
Dans ce jeu, dont le final fut le krach, si vous êtes « dans le système », banquier donc, vous avez le choix : soit perdre tout et rester honnête, soit tout gagner et trahir la confiance de vos clients. Pas facile n’est-ce pas ? Que faire si on s’aperçoit que malgré les bonnes intentions que l’on peut avoir, le système est irrécupérable ? Changer de métier ? Facile à dire !

Contrairement à Scorsese, Adam Mc Kay n’a pas succombé à la tentation de se vautrer dans l’immoralité du milieu. Loin du libidineux Di Caprio dévorant la luxure jusqu’à l’overdose, on peut rire ici du dialogue surréaliste entre Carell et une strip-teaseuse, où celui-ci lui parlant de loyer, d’obligations, d’hypothèques et autres, demande finalement que celle-ci arrête de « gigoter » pour ne pas le déconcentrer. Le propos est donc bien plus fin que dans Le Loup de Wall Street donc, ce qui n’empêche pas ces messieurs de se traiter comme des chiens.

Pour ne pas tomber dans la froideur (on peut aimer ça évidemment) du plus ressemblant Margin Call, The Big Short se veut dynamique : les dialogues fusent, les insultes pleuvent, les coups de fils aussi, le tout avec une dose d’humour bien sentie. Pour se démarquer des autres, le film déclenche des apartés, où les personnages, au lieu de parler au spectateur en voix off, s’adressent directement à la caméra, dans le champ. Parmi ces séquences, quelques-unes donnent des explications de personnes jouant leur propre rôle (ainsi Margot Robbie apparaît-elle sous son vrai nom). Façon d’expliquer des principes économiques et financiers tout en nous distrayant. Le risque est pris de casser l’illusion narrative, de trop faire sentir qu’il s’agit d’un film, qu’il y a une caméra et un plateau. Saluons toutefois le courage du réalisateur d’avoir innové (sa technique remplace celle de la voix off, aussi géniale que trop utilisée aujourd’hui pour les sujets complexes) – en reprenant, me direz-vous, un bon vieux procédé théâtral.

On reste d’ailleurs stupéfait de voir qu’un type comme Adam Mc Kay, collectionneur de films très moyens, non seulement parvienne à décrocher un tel casting, mais arrive même à livrer ce thriller effréné, teinté d’humour, qui rend la genèse de la crise passionnante. Entre les paillettes du Loup de Wall Street et la sobriété de Margin Call, The Big Short s’affiche en juste milieu. Une réussite !