Chappie

Film : Chappie (2015)

Réalisateur : Neill Blomkamp

Acteurs : Sharlto Copley (Chappie), Dev Patel (Deon), Yo-Landi Visser (Yo-Landi), Hugh Jackman (Vincent)

Durée : 01:54:00


L'intelligence artificielle n'a pas fini de nous faire fantasmer. On ne compte plus les films traitant du sujet, avec plus ou moins de bonheur, avec plus ou moins de scientisme.

Porté par une mise en scène correcte mais surtout d'excellents effets spéciaux, Chappie pose de nouveau la question, apparemment inépuisable, de l'intelligence artificielle.

Scientifiquement, il faut bien dire qu'on n'en sait rien. DQN, le fleuron de la robotique de Google, vient d'apprendre par lui-même à jouer à quarante-neuf jeux sur internet, ouvrant une fois encore le choix des possibles. Jusqu'où cela ira-t-il ? Aucune prévision n'est possible à long terme. Pour les matérialistes, les possibilités sont infinies. Pour un philosophe réaliste, le défi est énorme. Si l'on reprend la théorie aristotélicienne de l'acte et de la puissance, récupérée ensuite par Saint Thomas d'Aquin, il ne s'agit plus seulement d'une puissance ajoutée par l'intelligence humaine à une machine. Il s'agit de poser la question d'une sorte de puissance de puissance, comme si la puissance renfermait des degrés de puissance actualisable, activable, au contact de la contingence, et non plus du nécessaire. Mais quittons les sommets de la métaphysique pour revenir à notre film.

Chappie est un robot doué d'une intelligence artificielle mise au point par un ingénieur incarné par Dev Patel, rendu célèbre par le film Slumdog Millionaire. Une fois le logiciel installé, le robot devient un enfant qui a tout à apprendre. Mais le film va plus loin. En plus de la faculté d'acquérir des connaissances, Chappie va hériter d'une conscience, ou plutôt de deux : une conscience psychologique (conscience de soi), et une conscience morale (conscience de ce qui est bien ou mal).

Qu'on comprenne bien que cette conscience morale n'est pas un corps législatif installé par le programmeur, mais une acquisition par l'expérience des notions de bien et de mal. Cependant, l'interdit de tuer que Chappie défend tout au long du film est une sorte d'impératif catégorique à la sauce kantienne, inculqué sans explications par l'ingénieur au robot, ce qui montre bien d'une part que la morale législative est sans issue même dans nos sociétés humaines puisque dépendant exclusivement des hommes qui la font, et d'autre part que cette morale défendue par le film n'est pas une science des actes humains en tant qu'ils font usage de leur liberté, c'est-à-dire de leur intelligence et de leur volonté, mais au contraire une morale qui robotise les humains que nous sommes sans pouvoir en revanche humaniser les robots. Pour ce faire, il faudrait en effet pouvoir injecter en puissance dans ces consciences robotiques une morale de la liberté, ce qui est une autre paire de manches !

Quant à la conscience psychologique, il y a un réel problème entre la duplicité possible du logiciel et l'identité de la machine. Le logiciel de base, en effet, est une chose. Chaque robot doté de ce logiciel acquérant par l'expérience de nouvelles connaissances, chacun pourrait ainsi se forger une nouvelle identité. Mais le film s'aventure bien plus avant puisqu'il devient possible de numériser la conscience d'un individu pour la mettre dans une machine. Or, mis à part le fait qu'une telle « photographie » d'un être ne saurait être simplement appelée « conscience » comme le fait le film, puisqu'il renferme aussi les connaissances, cette idée relève d'un parti pris philosophique (le cartésianisme), qui partirait du principe que l'âme serait une sorte de petit fantôme aux commandes du corps, chose impossible puisque l'âme étant le principe organisateur de la matière, ce petit fantôme serait alors l'âme d'une âme, doublon à la fois inutile et indémontré.

Quoiqu'il en soit, si l'on accepte ces hypothèses improbables, ce qui relèverait plus de la foi en la science que de la vraie raison, on peut apprécier Chappie comme il se doit. Le film parvient efficacement à susciter l'empathie chez le spectateur qui, bien que sachant que son corps ne souffre pas, s'identifie à ses souffrances psychologiques, même si quelques fois le rire monte aux lèvres, lors de passages absolument ridicules où, précisément, cette empathie échoue, ce qui voue l’œuvre aux gémonies des parodies de tous poils.

Par ailleurs, notre brave robot étant arraché à son créateur puis adopté par des sortes de punks dégénérés violents, vivant de braquages et autres mauvais coups, le spectateur ressentira une gêne en voyant cette « conscience » déformée par la mauvaise éducation qu'il recevra de ses pitoyables « parents » humains. Lorsque le film tente de nous faire passer cette bande d'abrutis pour des gens bien, la gêne ne s'en fait que plus ressentir. On veut bien que certains méchants aient un cœur gros comme ça, mais ça ne justifie pas leurs actes.

Hugh Jackman incarne quant à lui un méchant qui paraît malgré tout beaucoup plus sympathique que les punks susmentionnés. Même si la dernière scène révèle un personnage complètement fêlé, on sent que l'acteur cherche tout de même à ménager son image.

Il en ressort un divertissement efficace, qui pose un certain nombre de questions existentielles sur la morale, l'éducation, l'intelligence artificielle ou l'empathie, mais laisse subsister plus de doutes qu'il ne fournit de réponses. On me répondra comme d'habitude qu'il ne s'agit que d'un divertissement, et je répondrai que tout laisse à penser que les scénaristes ont voulu faire plus.