Citizenfour

Film : Citizenfour (2015)

Réalisateur : Laura Poitras

Acteurs : Glenn Greenwald, Kevin Bankston (Avocat), Edward Snowden, Julian Assange

Durée : 01:53:00


Edward Snowden. Un jeune homme d'allure banale, mais qui présente deux propriétés : celle d'être employé par une des administrations les plus intrusives du monde, la NSA, et celle d'avoir trahi les secrets de cet employeur.

Dans le film porté par Mel Gibson et Julia Roberts, Complots, on partageait les frissons de la fiction. Mais ce qui est glaçant, en l’occurrence, c'est qu'il s'agit de la réalité : les gouvernements ont une capacité exponentielle à entrer dans nos vies privées, à connaître les moindres recoins de nos existences.

La plupart des personnes avec lesquelles j'en discute me répondent, à demi-rassurées, que seules les vies intéressantes pour eux sont surveillées, mais quand on apprend que la population surveillée, au moment du documentaire, est de 1,2 million de personnes, et que cette population augmente sans cesse à une rapidité incroyable, on a de quoi s'inquiéter. La seule limite semble être technologique, alors qu'elle devrait être également morale.

En restant factuel mais en prenant clairement son parti, le documentaire pose une question morale. Si la surveillance est un outil, elle sera utilisée à de bonnes ou à de mauvaises fins. La préoccupation avancée pour justifier cette surveillance, à savoir le terrorisme, se heurte avec le sacro-saint principe de la vie privée. Lequel privilégier ? Vaut-il mieux mourir dans une explosion terroriste, sous le régime du terrorisme vainqueur, ou vivre dans un régime où le pouvoir de quelques uns dépasse l'entendement ?

Si les gouvernements étaient régis par une autorité morale juste, si le temporel était soumis à un spirituel à la fois garant de justice et de miséricorde, nul doute que la question ne se poserait pas, ou plus précisément pas de la même façon.

Mais la moralité ayant été exilée de nos civilisations au profit du moralisme (arrêtez de fumer et roulez à 50 km/h : ça ce sont de vraies problématiques !), la question ne se pose même plus. La vertu ayant déserté nos contrées, il semble que plus un seul dirigeant n'hésiterait à fouiller dans un dossier, c'est-à-dire à augmenter son pouvoir. Comme le disait Machiavel, «  Le pouvoir corrompt ; le pouvoir absolu corrompt absolument. »

Edward Snowden, pour sa part, a bien identifié le problème mais, produit de son temps, il prêche une solution juridique qui, il faut le reconnaître, serait mieux que rien.

Alors qu'est-ce qui pousse ce jeune homme, voué à une belle carrière, à décider soudainement de ruiner toute perspective de réussite professionnelle pour mener une croisade contre les forces de l'espionnage ? Les raisons sont peut-être obscures, mais le scientifique qu'il est en avance une presque convaincante, qui consiste à peser les intérêts avant de choisir le plus grand. À tout prendre, comme le disait le révolutionnaire Emilio Zapata reprenant un proverbe japonais, mieux vaut mourir debout que vivre à genoux. Aussi le jeune homme préfère-t-il mourir libre que de vivre surveillé. Héroïsme, folie ? Selon lui, il est déjà mort. C'est juste une question de temps.

Pourtant Edward Snowden ne semble pas partir contre le principe de la surveillance. Certains secrets d'État sont selon lui, légitimes, et il explique laisser aux journalistes le soin de faire le tri, se dédouanant de toute responsabilité. Il n'est comme tant d'autres, qu'un lanceur d'alerte.

Le problème posé est de taille. Face aux excès d'un Léviathan tout puissant, peut surgir un excès absolument désastreux pour les sociétés : celui de donner naissance à une génération de traîtres à leur patrie qui, par intérêt, par vengeance ou pour toute autre mauvaise raison, pourrait tenir le destin des foules dans leurs mains. L'homme qui révélerait des secrets d'états aux terroristes serait-il un lanceur d'alerte, ou un traître ?

Les solutions restent donc morales. Pour limiter les risques, au lieu de rêver d'une sainteté collective inatteignable, on perçoit bien que l'amour de la patrie, le respect de l'autorité, la charité à l'égard du semblable, l'humilité bornant la soif de pouvoir, seraient les réponses les plus appropriées.

Chimère ? Temps révolu? Objectif inaccessible à moins d'une apocalypse redistribuant les cartes ?

En tout cas, essayer de régler un problème moral par la loi est une voie sans issue. Aux problèmes du vice ne peuvent répondre que les solutions de la vertu, et c'est là tout le problème.

Le film a donc au moins le mérite de poser les bonnes questions. Les réponses sont laissées à votre bon vouloir. Chacun son travail : on ne peut être à la fois lanceur d'alerte et philosophe, semble-t-il…

Une autre réponse à ces problématiques difficiles consiste à dire que le « système », quoique imparfait, fonctionne. Une telle réponse m'avait été proposée par un épisode des Simpson, intitulé « Lisa va à Washington », fort intéressant (à 300 000 € par épisode, ils peuvent se permettre d'être intéressants), dans lequel la petite Lisa constatait une corruption du pouvoir jusque dans les niveaux les plus élevés. Pendant tout le déroulement de l'épisode, on assiste aux désillusions d'une petite fille qui croyait en la pureté de la démocratie avant d'assister à une sombre histoire de pot-de-vin impliquant un député.

Alors que tout semble perdu, Lisa apprend que suite à ses dénonciations, la presse s'en est mêlée contraignant le député corrompu à quitter son poste. « J'en reviens pas, s'écrit-elle, le système fonctionne. » Voici une justification en bonne et due forme du fameux « quatrième pouvoir, » celui de la presse, qui serait une sorte de contrepoids aux pouvoirs exécutifs, législatifs et judiciaires.

On imagine combien cette foi en les médias est vaine. Si tout pouvoir corrompt, pourquoi le journalisme échapperait-il à la règle ? En France, qui oserait dire que les médias sont indépendants ?

Peut-être internet apporterait-t-il une réponse, en donnant la parole aux médias alternatifs, mais les nombreuses agressions du pouvoir en place contre la liberté sur internet montrent bien combien cette nouvelle modalité du quatrième pouvoir est fragile.

Quoiqu'il en soit, c'est bien de ça qu'il s'agit ici, puisque ce film démontre que, peut-être pour de mauvaises raisons comme l'ambition d'un journaliste par exemple ou d'un journal en quête d'abonnés, le scandale de la NSA est bel et bien révélé.

Le système fonctionne-t-il ? Rien n'est moins sûr, puisque malgré le récent scandale, la surveillance n'a jamais été aussi forte. Dans l'attente d'une solution, soyez paranos !