Comme une image

Film : Comme une image (2003)

Réalisateur : Agnes Jaoui

Acteurs : Marilou Berry (Lolita), Agnès Jaoui (Sylvia), Jean-Pierre Bacri (Etienne), Laurent Grevill (Pierre), Virginie Desarnauts (Karine), Keine Bouhiza (Sébastien), Grégoire Oestermann (Vincent), Serge...

Durée : 01:50:00


Encore une comédie bien pimentée de Bacri et Jaoui à qui le prix du meilleur scénario à été décerné. Même si le scénario est effectivement bien travaillé, ce n’est probablement pas lui qui marquera le plus les spectateurs. En effet, dès le début du film on est dans l’ambiance : stress, mauvaise humeur... Les personnages, éclatant de naturel, commencent leur guerre individuelle contre l’autre, l’ « autre » qui ne pense qu’à lui et qui n’aime pas qu’on vienne troubler son univers. Le problème est que chacun est cette « autre », chaque personnage est à la fois le bourreau et la victime. On est tout au long du film horripilé par leur comportement mais on ne peut s’empêcher de les trouver sympathiques. Ceci est dû à l’étonnant regard critique des scénaristes sur la vie. La vérité des scènes
est tellement forte qu’on aimerait que ce ne soit pas pareil dans la réalité. Eh non, ce n’est pas qu’un film, le spectateur ne peut s’y réfugier : il s’agit d’une description de la réalité telle qu’observée  par deux cinéastes. La réalisation ne cherche pas à flatter nos sens, il s’agit d’une œuvre où l’art est présent mais discret, il ne tient pas à s’imposer. De même la poésie du film ne se trouve pas nécessairement dans la forme, il n’y a pas de couleurs surajoutées, pas de volonté d’émouvoir plus que d’ordinaire, c’est de la poésie à l’état pur, cette matière première qu’on a tendance à trop travaillé pour notre plaisir. Ils filment ce qui est et le fait que ce soit des acteurs et une histoire fictive ne change rien à la vérité du tableau. Qu’y a-t-il de génial à ne refaire que ce que l’on voit déjà tous les jours et qu’on n’a pas forcément envie de retrouver au cinéma ? C’est l’honnêteté et la simplicité qui est géniale. Un artiste pris dans son élan aurait voulu nous impressionner, un poète
imprégné d’idéalisme aurait provoqué la forte émotion, mais ici les sentiments ne sont pas particulièrement excités et on ne tombe pas dans la satire caricaturale d’un Chatillez.

On pouvait déjà constater cette qualité dans leurs précédents films. « Le goût des autres », « cuisine et dépendance », « un air de famille » sont construits sur le même modèle. Le but est de dénoncer l’attitude odieuse des gens, surtout l’hypocrisie ou son excès inverse qui sont une constante dans la série.
Bien que les transitions sont parfois brusques et peu travaillées, le film demeure agréable à regarder grâce à la simplicité des plans que l’on connaît bien dans les films français. Le corollaire de cette simplicité est la magnifique concision dont fait preuve Agnès Jaoui dans sa réalisation qui lui permet une grande efficacité et une grande liberté. De plus, le choix des musiques ajoute agréablement à la note artistique du film (Sylvia Miller, joué par Agnès Joui, est le
professeur de chant de Lolita) et il conviendra de se laisser toucher par Le « lamento della ninfa » de Claudio Monteverdi, magnifique pièce très émouvante, utilisée ici bien à propos. D’ailleurs, l’art, musical en l’occurrence, n’a pas que le rôle de décoration de l’œuvre. En effet, il va servir de passerelle entre les univers des différents personnages.

En outre, l’unité de lieu est limité mais on regrettera peut-être l’ambiance théâtral qui est une caractéristique importante des films de Bacri et Jaoui : « Un air de famille », « cuisine et dépendance » sont très statiques, où l’on y retrouve les plaisirs d’une pièce de théâtre et d’un film à la fois.
Peut-être pourra-t-on reproché à Bacri et Jaoui de manquer d’originalité par rapport à leurs précédents films, mais ce serait malavisé car les analyses sont pertinentes et nombreuses et que seule demeure identique la manière de les traiter. Par ailleurs, la réalisation est unique, et même si l’on ne peut s’
empêcher de comparer ce cinéma à celui de Rohmer, Jaoui, fille du cinéma français, loin de s’arrêter à une simple osmose, construit une nouvelle façon de faire du cinéma.

Chacun des personnages à une psychologie, un caractère, des qualités et des défauts, et on serait tenté au premier abord de les juger et de les condamner. Mais, étrangement, on se reprend vite : qui serions-nous entrain de juger ? Les personnages fictifs ou nous-mêmes ? Il semble que l’on soit trop impliqué pour pouvoir effectivement les juger. On n’a plus tendance à compatir ou à éprouver de la pitié dans un premier temps, puis dans un second temps, à nous remettre en question. Il ne s’agit pas d’une incitation à la haine des personnages, et à la limite les personnages en tant que tels ne nous intéressent pas, mais leur comportement qui pourrait être le nôtre. On apprend tout simplement, contrairement à d’autres films plus manichéens ou nous détestons le « méchant » pour ce qu’il fait, à différencier l’
homme de ses actes. Ainsi, l’on n’est moins tenter d’être vaniteux. Ça permet aussi de se concentrer sur la psychologie et sur les erreurs elles-mêmes plutôt que sur les personnages et d’en tirer une plus grande leçon pour soi. De cette façon la satire prend toute sa force et tout son sens : La mondanité, l’égoïsme, l’hypocrisie… sont abordés avec efficacité mais détachement.

La fin  du film est très significative de cet état d’esprit. Comme toujours, dans les films de Jaoui et de Bacri, la franchise finit par exploser et l’atmosphère se dégrade. Mais on est très loin d’une fin romantique où le cinéaste se voit obliger de nous donner les réponses et de résoudre le cas présenté. La morale est tacite mais évidente et le film est peut-être fini mais la vie continue : trop de films essaient de nous faire croire que les personnes peuvent intégralement changer du jour au lendemain. La fin du film doit-elle être nécessairement la fin d’une attitude ou d’un malheur ? Il semble qu’ici
le film marque un début, celui de notre réflexion. Cependant, Jaoui ne pousse pas le principe à son absolu et elle nous donne plus de pistes qu’un Rohmer affirmant qu’ « on ne ment pas assez au cinéma » et qui n’est pas toujours plus explicite que la vie elle-même (Voir sur le sujet « le genou de Claire » d’Eric Rohmer, 1970). En ce sens, « Comme une image » ne posent pas trop de débats moraux et tout le monde serait d’accord sur l'analyse des comportements.

Jean LOSFELD