Dalton Trumbo

Film : Dalton Trumbo (2015)

Réalisateur : Jay Roach

Acteurs : Bryan Cranston (Dalton Trumbo), Diane Lane (Cleo Trumbo), Helen Mirren (Hedda Hopper), Adewale Akinnuoye-Agbaje (Virgil Brooks)

Durée : 02:24:00


Biopic à la gloire dudit Dalton Trumbo, scénariste communiste des années d’or d’Hollywood (après-guerre), harcelé dans le doux cadre de la chasse aux sorcières, Dalton Trumbo trahit la volonté de son personnage. Dans un discours capital pour lui, celui-ci explique ne vouloir condamner personne. Tout l’inverse du film, qui caricature et fait surjouer les « méchants » chasseurs de cocos. La leçon de marxisme pour attardé mental qui ouvre presque le film (le coup de partage de sandwich, dans la cour de récréation, avec le camarade – le terme tombe à pic – qui n’a rien à manger) agace. Rattaché au bon sens de l’innocence enfantine, le discours marxiste ne fait pourtant guère illusion, à moins que le public ne se souvienne ni de Lénine, ni de Staline .

Marxiste donc dans le scénario même : les oppressés doivent renverser les oppresseurs et régner. Mais à l’image de Trumbo jouissant de ses trophées libéraux (Oscars évidemment), on constate que ce règne s’inscrit en réalité dans le système critiqué. Trumbo est riche comme Crésus, et quelques-uns de ses amis aussi. Même dans le marasme de la liste noire, où son nom figure pour son plus grand malheur (financier), le malheureux écrivain persécuté reçoit des producteurs en Rolls. En fait, le combat anti-communiste s’est contenté d’effacer son nom des grands génériques de films dont il allait écrire le scénario (donc pas d’effet rétroactif), pour sauver la forme. A l’image de sa co-nomination aux Oscars avec Jean-Paul Sartre, scénariste d’un film concurrent, on comprend vite comment les Etats-Unis ont assimilé dans leur danse sous une pluie de dollars les soi-disant réfractaires subversifs.

On demeure amusé, finalement, entre les libéraux qui interdisent aux autres d’être rouges (« pas de liberté pour les ennemis de la liberté », bien sûr), et la minorité d’idéalistes bourgeois (bobos, en deux syllabes), qui se gardent bien de faire leur mea culpa quant à la brillante expérience de leurs rêves d’humanité meilleure : on se doute bien que les mêmes dix scénaristes « persécutés » aux U.S.A. auraient fini morts dans un camp du goulag, dans la situation inverse. Finalement, entre ricains libéraux et communistes, le Français moyen que je suis se fiche presque de qui est vilipendé.

Au nom de la sainte liberté d’opinion, notre scénariste avait le droit d’apparaître au générique, que diable. Car enfin, c’est finalement sa seule grande revendication pour un monde meilleur. On se doute que la réflexion de Trumbo devait être autrement plus approfondie, mais que voulez-vous, le film a préféré ne montrer que ce qui est universellement acceptable, pardon, « occidentalement » correct, dans la poursuite d’un but absolument hagiographique. On rit des grands rêves devenus un petit fantasme vaniteux, le nom de bourgeois coco au générique d’une superproduction hollywoodienne. On rit aussi de la cerise sur le gâteau de la fille Trumbo, la parfaite touriste innocente de Muray.

Qu’aimer donc dans ce film me direz-vous, puisqu’on nous bassine avec de vieux discours périmés ? Tout le reste, à vrai dire. Malgré mon agacement perceptible dans les lignes précédentes, il me faut avouer, et volontiers même, que ce Dalton Trumbo réalise le tour de force cinématographique de rallier au moins en partie le spectateur. Derrière le discours hypocrite et utopiste, il y a tout de même un bonhomme de littéraire sympathique à souhait, bien qu’encore une fois, celui-ci semble pratiquement dénué de défauts. Un saint vous dit-on, un saint ! vous crie-t-on dans les oreilles.

Tour de force aussi de l’acteur, Bryan Cranston, nommé aux Oscars pour ce rôle (mais vaincu), que de rendre aussi charismatique et même presque fascinant un portrait trop flatteur, au départ, pour être intéressant. Le scénario, en dehors de ses leçons de morale, est très classique. Mais la réalité, heureusement, permet d’apporter son lot d’imprévus pour garder un dynamisme constant.

Un objet cinématographique aux qualités techniques très brillantes donc, mais au discours enfantin. Au bout de sa logique, je veux bien partager les recettes du film, moi qui n’ai rien au fond de ma cour de récréation.