Demolition

Film : Demolition (2015)

Réalisateur : Jean-Marc Vallée

Acteurs : Jake Gyllenhaal (Davis Mitchell), Naomi Watts (Karen Moreno), Chris Cooper (Phil), Judah Lewis (Chris Moreno)

Durée : 01:41:00


Les clichés sont la matière première de l’écrivain. Ils sont à la fois son pire écueil et son plus beau matériau, il doit les manipuler avec justesse et sobriété pour maîtriser le mystère de l’universalité sans banalité. Les clichés sont le sujet même de Demolition. Ils sont décrits, analysés, déconstruits et sublimés par le scénariste ; mis à contribution par le réalisateur.

En jouant sur la force des images d’Épinal, qu’il associe à la puissance du montage — art qu’il exerce en sus de la réalisation depuis son premier film —, Jean-Marc Vallée atteint une efficacité narrative impressionnante et s’offre, luxe rare en nos temps, une exposition d’à peine trois minutes qui contient déjà les principaux ressorts émotionnels (humour grinçant, étrangeté) du métrage. On découvre alors un couple de la haute classe moyenne new-yorkaise décrite avec beaucoup de distance et d’humour. Ce ton cynique prend très rapidement le dessus du film à l’instar du personnage de Jake Gyllenhaal qui maîtrise à merveille l’art d’être aussi pathétique que haïssable.

Naomie Watts et Chris Cooper font un très bon travail dans leur second rôle et l’on admirera surtout leur capacité à réagir aux situations les plus fantasques auxquelles Gyllenhaal les soumet. Mais la principale révélation est Judah Lewis, né en 2002, qui campe à merveille un jeune adolescent aussi perturbé que perturbant dont l’amitié touchante avec le personnage principal prend largement le dessus sur la romance amicale que ce dernier entreprend avec sa mère.

En travaillant sur le malaise Jean-Marc Vallé, qui avait déjà évoqué dans Dallas Buyers Club les thèmes du sida et des LGBT avec finesse et sans militantisme, développe une critique acerbe de la superficialité. Au fond, ce n’est pas tant le deuil qui affecte le personnage, que l’immensité d’une question qu’il découvre : celle de la vie. Il prend conscience de sa grandeur, son importance et sa fragilité. Il réalise d’abord l'impact du défaut que son épouse tentait toujours de corriger : « you weren’t paying attention ». Et fais l’apprentissage de l’attention, portée au monde et à lui-même. L’attention de s’ancrer dans la réalité matérielle, qu’il appréhende par la démolition ; la réalité sociale, par le contact avec de nouvelles personnes et une certaine disponibilité ainsi que la réalité de son amour, enfin, qu’il se découvre pour celle qui est déjà morte. Démonter toute sa vie, c’est un premier conseil, mais un peu trop simpliste — un slogan hippie sans fondement —, qui devient une véritable sagesse quand le moment vient de la reconstruire, de se ressaisir ?

Le film est un éloge paradoxal de la conformité, qu’il abhorre dans son caractère le plus snob et méprisant, quand elle exclut les uns et fait la fierté des autres, mais qu’il vante en tant qu’aspiration à vivre pleinement et scrupuleusement la vie. Éloge de la simplicité sans simplisme, Demolition est un grand moment de cinéma, jouissif et émouvant.