Everybody knows la fin d'avance

Film : Everybody Knows (2018)

Réalisateur : Asghar Farhadi

Acteurs : Penélope Cruz (Laura), Javier Bardem (Paco), Ricardo Darín (Alejandro), Bárbara Lennie (), Inma Cuesta (), Jaime Lorente Lopez (), Eduard Fernández (), Sergio Castellanos (), Elvira Mínguez (), Roger...

Durée : 2h 10m


Everybody knows vient d’ouvrir le Festival de Cannes, avec en tête d’affiche le couple de stars le plus discret d’Hollywood, Javier Bardem et Penelope Cruz. Encore une fois. Oui, Escobar vient de sortir, et de décevoir globalement, il en va de même pour ce polar centré sur un kidnapping. 

Le schéma est exactement le même que dans le canadien Prisoners (2013), du jeune maître Denis Villeneuve : fête familiale, kidnapping. Le problème est que contrairement à Prisoners, une référence pour ce sujet, la première phase est… interminable. Trente longue minutes (au moins au ressenti) de dialogues d’une banalité confondante entre gens d’une banalité tout aussi confondante. 

Au casting, il y a du lourd : Bardem, Cruz, donc, mais enfermés dans des personnages dont la psychanalyse prendrait quelques secondes et tiendrait sur un mouchoir en papier. Les gens de tous les jours ont leurs particularismes, ils peuvent être des labyrinthes psychologiques sans forcément sortir de l’imagination de Shakespeare ! Alors pitié, la fi-fille à son papa sur Skype avec lui, pitié, la fiente de pigeon tombant sur l’épaule de Bardem, qui taquine ses amis à coup de « tu veux sentir ? tu veux sentir ? ahahah ! » ; tout cela nous donne un ordinaire plus plat que l’ordinaire, du prévisible, de la sympathie pré-mâchée qui nous écrase d’ennui dans notre fauteuil, dans l’attente atroce d’un début d’intrigue ou de suspense. 

Puis vient le kidnapping. L’intrigue si longtemps attendue démarre, même si ce coup de pieds dans cet agrégat de « normalité » ne donne pas grand-chose d’original non plus. En revanche, la menace pèse efficacement sur eux, et confirme par là le conseil ô combien éculé d’Hitchcock, mais toujours bien vrai : « meilleur est le méchant, meilleur est le film ». Son dévoilement reste cependant une déception à la hauteur de la palpable attente. 

Enfin, la tête de gondole du cinéma argentin, Ricardo Darin, entre en scène. Et là, ce qui était jusqu’alors un jeu télévisé « on kidnappe votre enfant ! » devient ce qu’on appelle un film. Il est le seul personnage complexe de l’histoire, en permanent jeu d’équilibriste entre le spleen et l’idéal, entre le désespoir et la volonté, entre l’abattement et la foi. Il apporte le soupçon de profondeur qu’on désespérait de voir, surtout pour une histoire qui devrait sonder l’âme humaine comme cela. Il sauve les histoires d’amourettes surprises devinées au bout de dix minutes, et même la lourdeur de la mise en scène, qui ne sait jamais couper au bon moment. 
L’absence quasi totale de musique doit s’accompagner d’un montage incisif, sous peine de faire tomber le public en dépression ; ou alors, si l’on veut profiter des décors et des scènes sans ellipses, il faut de la musique. Le réalisateur, issu - très manifestement - du théâtre, ignore cette règle, et son film en pâtit gravement. Il fait se confronter les personnage en huis clos réguliers, comme au théâtre. Mais au cinéma, sans tension, pas d’attention : ça ne pardonne pas. 
Un plan extraordinaire, sur des vignobles ensoleillés, vus de l’intérieur d’une maison où grince une porte en barres de fer, comme celle d’une prison, est son unique réussite : on interroge cette campagne qui garde tout son mystère, le mystère de ce kidnapping. 

L’histoire alterne entre mystère véritable et prévisibilité. Les solutions auxquelles on pense sont exclues vingt bonnes minutes après par les protagonistes. Trop long ! Et quelques piqûres de moustiques envers l’Eglise s’incrustent, sans rapport aucun avec l’histoire. Même le clocher, si mis en valeur dans la bande-annonce, où le bruit du mécanisme horloger et le lourd son de cloche plantent un décor génialement adapté à un « thriller psychologique », n’est pas exploité, ou à peine. Il faut réécrire la fin de l’histoire et caser ce clocher à la fin, je vous assure.
Bref ! Pour un polar véritablement glaçant et profond, dans cet univers hispanique, tournez-vous plutôt vers La Isla Minima (2014).