Frantz

Film : Frantz (2016)

Réalisateur : François Ozon

Acteurs : Pierre Niney (Adrien), Paula Beer (Anna), Ernst Stötzner (Hoffmeister), Marie Gruber (Magda)

Durée : 01:54:00


Exceptionnel ! Oui le dernier film de François Ozon, un drame familial et sentimental durant la fin de la Première guerre mondiale, est exceptionnel. Disons tout de suite que ce coup de génie ne sort pas totalement du néant. Notre réalisateur français plutôt décevant jusqu’ici (8 femmes, Potiche, Jeune & Jolie), s’est inspiré du grand Ernst Lubitsch, auteur de L’homme que j’ai tué (Broken Lullaby, 1932), lui-même inspiré d’une pièce de théâtre éponyme de Maurice Rostand (fils d’Edmond et frère de Jean) jouée en 1930. « Ma première réaction a été de laisser tomber. Comment passer après Lubitsch ?! » Pour un remake personnalisé et en noir et blanc, quel remake ! Ozon s’est déchiré. Et il a eu raison.

Comment faire un excellent remake de Lubitsch

A l’aide de protagonistes germains (la moitié du film est en allemand sous-titré) et d’une direction d’acteurs impeccable, il a magnifiquement restitué la situation des familles françaises et allemandes éplorées par la guerre, de part et d’autre du Rhin. Cette histoire d’officier français se rendant sur la tombe d’un soldat allemand et rencontrant sa femme, est calibrée pour la haute pellicule. Ozon fait remonter en surface le génie de Lubitsch. Avec un scénario archi-simple mais tellement imprévisible, de minute en minute. Avec cette façon d’inclure le spectateur dans l’histoire en lui révélant des secrets que certains personnages ignorent mais que d’autres savent. Avec, aussi, cette science elliptique de l’essentiel, faisant l’impasse sur les propos ou les attitudes inutiles. Avec, enfin, cette série de plans magnifiques sur les visages, sur les regards intenses de la jeune veuve Anna et du mystérieux Adrien, épouse et ami de cet invisible Frantz, mort et pourtant vif dans l’intensité de leurs souvenirs. Un air de néo-expressionisme sanctuarise leur émotion très finement ajustée.
Le relief donné aux deux héros de l’histoire est d’une perspective hallucinante en comparaison des films d’aujourd’hui. Frantz propulse un coup de pied sévère dans la fourmilière des rôles plats et inintéressants pullulant sur le grand écran. Il les fait reculer de trois crans. On trouve dans ce film toute la profondeur inaccessible par exemple aux films de Woody Allen, se limitant souvent à des comédies nihilistes de la Belle époque dandinées sur des morceaux de jazz. Pour Allen, la vie implique forcément ruptures et déceptions, alors autant user de légèreté et d’enthousiasme sur le chemin dégradé du dépit. Trop connaître l’autre, c’est se risquer à une déchirure plus grande, alors mieux vaut se délester de relations sérieuses. A l’opposé, le film d’Ozon est un modèle dans le « genre » sculpture de personnages. Du début à la fin, un dézoom scénaristique impressionnant nous apprend la vie réelle de ces figures meurtries par le conflit mondial et nous oblige à réactualiser sans cesse notre jugement sur eux. Inversement, tant la pauvre Anna que ses parents et cet Adrien, ennemi rapproché, galèrent comme des fous pour connaître la vérité de ce qui leur arrive et se rapprocher d’une issue heureuse. Cela à cause de la lenteur des communications, mais aussi des mensonges couvrant les vérités trop dures ou pas assez mûres. « Je trouvais le contraste intéressant avec notre époque obsédée par la vérité et la transparence », affirme Ozon.
Les hautes valeurs morales confrontées au désastre de la guerre
S’il manque peut-être quelques plans d’ensemble sur le théâtre de l’issue de la guerre, le film a toutefois l’intelligence de replacer son histoire dans les clous hyperréalistes des modes de vie de l’époque. Mais plus encore, il ose une réflexion plus générale sur le sens de la Première guerre mondiale. Elle ne fut pas seulement une boucherie ou encore le saignement des deux grandes nations française et allemande. Elle fut aussi, rappelle Ozon, le sacrifice des fils par les pères. Ces pères qui, fêtant la fin des hostilités en trinquant bières ou pinard, avaient envoyé leurs fils sur le front et ne se rendaient pas encore compte du drame que devait constituer dans les familles des sociétés européennes la suppression d’une génération entière d’hommes forts. Il est donc question de pacifisme. Duquel parle Ozon ? D’un pacifisme de grande valeur, mûrement réfléchi, qui privilégie l’unité et la préservation de la famille sur les élans patriotiques meurtriers. Le fondement de cette justice familiale et humaine, semble dire Ozon, ne repose pas sur l’esprit de revanche ou sur la libération régulée des passions égoïstes. Ou encore sur une tolérance animée de mépris. Il s’appuie au contraire sur une valeur éminemment chrétienne : le pardon. La vendetta pourra vraiment cesser lorsque le pardon aura effacé la dette de l’ennemi.
Lumière d’espoir au milieu des ténèbres de la tragédie humaine, le pardon suffit-il à la réparation du mal causé ? Permettra-t-il à Adrien de se faire accepter par une Allemagne lourdement défaite ? Ce qui a été détruit, répond Ozon, ne peut pas toujours connaître la réparation, car les êtres chers disparus ne ressuscitent pas. En revanche, la vie offre de nouvelles chances à saisir. Vivre ou se laisser mourir, telle est la question posée aux survivants du désastre. Légèrement pessimiste, Ozon a modifié la fin de Lubitsch. Une divergence forcément risquée et discutable, mais je ne vais pas la dévoiler ! Certains s’interrogent parfois sur l’utilité des notations ou même sur la définition d’un film réussi, tant les genres diffèrent. Frantz est un cas d’école de tout ce qu’il faut faire pour réussir un film. C’est sans conteste l’une des meilleures réalisations de l’année. Allez-y, allez voir du vrai cinéma !