Hollywoodienne ingénuité

Film : Vice (2018)

Réalisateur : Adam McKay

Acteurs : Christian Bale (Dick Cheney), Amy Adams (Lynne Cheney), Steve Carell (Donald Rumsfeld), Sam Rockwell (George W. Bush), Tyler Perry (Colin Powell), Alison Pill (Mary Cheney), Jesse Plemons (Kurt, the...

Durée : 2h 12m


Les aveux se multiplient dans les premières minutes : les auteurs du film n'ont pas grand-chose (comprendre "presque rien") sur Dick Cheney. Il faut dire qu'il s'agit d'un homme secret, alors, difficile d'en parler. À quoi bon en faire un film, dans ce cas ?
Adam McKay, amateur des indignations cinématographiques (The Big Short, sur la crise de 2008, étant bien plus documenté, fut une réussite) en voulait manifestement à Dick Cheney, et comptait le faire savoir avec son art. Il faut dire que le vieux bougre, vice-président de Bush fils, traîne quelques jolies casseroles, la plus bruyante étant la guerre en Irak, une aubaine pour une compagnie pétrolière dont... il avait été le président trois ans auparavant. Vous me direz, les députés de Bruxelles font exactement la même chose, mais dans une moindre mesure, et plus discrètement...

Mais si vous comptiez sur des explications, ne cherchez pas : tout en se donnant les allures dynamiques et didactiques de The Big Short, Vice ne parvient pas une seconde à expliquer une décision prise par Cheney, parce que le ou les scénaristes n'ont effectivement rien sur lui, à part ce qui se trouve en deux clics sur internet. Homme assoiffé de pouvoir ? Franc-maçon piloté par sa loge ? Néo-conservateur sincère ? Patriote aveuglé par la défense de sa patrie ? Vous n'en saurez rien, Cheney étant resté muet comme une tombe.

Alors les dossiers ressortent : le vilain Cheney a rétabli la torture ; pire : il n'a pas voté en faveur d'un jour commémoratif pour le dieu Mandela, et plus monstrueux encore étant donné la métaphore utilisée pour en décrire la gravité, ce coeur de pierre a conseillé à sa fille de s'afficher contre le mariage homosexuel alors que sa soeur préfère les femmes (alors que la véritable Liz Cheney milite réellement contre sa légalisation). Oh le vil politicien que voilà ... Un vrai élève de Machiavel, sans doute. Mais à l'esprit historien, ou un minimum curieux, le film n'est qu'un catalogue de griefs sans explications. Et quand il existe un vide factuel ou explicatif (donc régulièrement, vous l'aurez compris), le film le remplit par une série de dialogues où le personnage se mue en caricature de lui-même. On en ressort peu convaincu ; Cheney, par le mystère de ses intentions, ne se tire pas si mal de ce procès audiovisuel ne donnant pas parole à la défense, ce qui ne peut que décevoir, quelles que soient les accusations portées à son endroit. 

McKay n'en perd tout de même pas ses originalités, sa façon de bouleverser la narration, en cassant fréquemment le quatrième mur, en utilisant le symbolisme, et l'humour, plutôt efficace. Difficile en revanche de pardonner son ingénuité face aux briscards du pouvoir, notamment quand l'un d'eux rit à s'en étouffer de la question : "quelles sont nos valeurs ?". On voulait un film, on a souvent un sketch. 

Et puis, après cette accumulation amusante mais peu convaincante, Dick Cheney prend enfin la parole, avec plus de deux phrases d'affilée. Bale impressionne, et rentabilise enfin son investissement physique hallucinant pour le rôle (sans compter son imitation du personnage, légèrement exagérée diront les uns, interprétation de la réalité diront d'autres), le temps d'une scène assez jubilatoire. L'acteur a remercié Satan pour l'avoir inspiré. Il faut reconnaître qu'effectivement, Bale fait de son Cheney une espèce de diable tournant autour de Bush, et remplaçant même sa conscience... Cette dernière scène n'en est que plus troublante, voire fascinante. 

McKay achève l'ensemble par une séquence supplémentaire d'auto-satisfaction, heureux d'avoir "bossé" durement sur un personnage pourtant bien trop secret pour faire un biopic ; il y affiche son mépris pour les classes populaires droguées au divertissement, qui feraient mieux selon lui de s'indigner comme lui sur de vraies questions. Si seulement son Vice était autre chose qu'un divertissement, on l'aurait pris au sérieux...