Je ne suis pas un salaud

Film : Je ne suis pas un salaud (2014)

Réalisateur : Emmanuel Finkiel

Acteurs : Nicolas Duvauchelle (Eddie), Mélanie Thierry (Karine), Maryne Cayon (Estelle), Driss Ramdi (Ahmed)

Durée : 01:51:00


L’histoire de Je ne suis pas un salaud est celle des mésaventures d’un homme blanc agressé mortellement par une bande de racailles. Ambiance lourde assurée : le décor ne va pas être gai. Le scénario se focalise sur le témoignage de la victime, Eddie, qui a cru reconnaître son agresseur principal en la personne de Ahmed, parmi les suspects placés en garde à vue. Une situation à peu près similaire au très brillant film de Sidney Lumet (Douze hommes en colère, 1957), chargé de suspense quant à l’évolution sidérante du témoignage décisif occasionnant le procès. L’ombre d’une nouvelle erreur judiciaire plane dans notre affaire, avec une configuration dans laquelle le témoin est cette fois la victime elle-même, qui s’en est sortie. Malheureusement, si les présupposés de cette histoire sont tout à fait valables d’un point de vue scénaristique, son déroulé est complètement raté.

Il accouche d’un élément filmique hautement toxique au contenu idiot, violent et subversif. Idiot : parce qu’il noie ses habitants de cités dans des comportements de primates dont le plus haut degré d’intelligence se manifeste par le désir irrépressible de changer de télé. Violent : de bout en bout, la violence gratuite et aléatoire se pose en principe du film. Subversif : parce qu’il refuse de dire la vérité judiciaire et va jusqu’à transmuer la victime en coupable après avoir exploré de façon insistante les vices de forme supposés de son témoignage sans rechercher leur véracité.

Le manque de recul vis-à-vis du personnage principal, en proie de graves troubles psychologiques, ne permet pas au réalisateur, Emmanuel Finkiel, de prendre de la hauteur et du jugement critique sur cette situation extrême. L’ambiance tendue qu’il installe et qu’il exploite à l’excès anéantit toute forme de recherche de la vérité. Le méchant n’est pas celui qu’on accuse. La gentille victime n’est pas celle que l’on croit. La justice a ses impératifs administratifs. Certes tout cela est potentiellement intéressant dans le tissage de l’intrigue. Mais qui est alors le vrai coupable ? Pourquoi la victime adopte-t-elle un comportement irrationnel et changeant ? Voilà des questions auxquelles le film ne juge pas utile de répondre. Bien à tort. Il aurait fallu pour cela tenter de dégager les valeurs humaines susceptibles de croître dans cette banlieue en proie à la violence. Or, le réalisateur est tombé dans le piège d’une lecture beaucoup trop idéologique de la vie sociale dans les banlieues. Il a succombé au faux dogme social-libéral plaçant le bonheur ultime dans le confort Ikéa/écran plasma pour tous. Il ne se dépêtre pas une seconde de sa conception vide, transparente et horizontale de l’homme. C’est pourquoi il voit en chacun, juge, victime ou agresseur, le germe d’un salaud. Finkiel filme ses personnages comme des animaux guidés anarchiquement par leurs instincts. Son univers est vide de sens.

Si son esprit avait pu effleurer l’œuvre fondamentale du psychiatre Viktor Frankl, Man’s search of meaning (« Découvrir un sens à sa vie », 1946), Finkiel aurait découvert que le psychisme humain trouve tout le sens de son existence dans une raison extérieure à lui-même. Il aurait vu que des hommes placés dans des conditions concentrationnaires bien pires que celles des banlieues actuelles, ont justement réussi à survivre grâce au « sens de l’autre » que la dureté de la vie faisait paradoxalement bourgeonner en eux. Cet aspect subtil de l’homme est totalement négligé par le film, berné par sa vue réduite des classes « défavorisées » et moyennes jugées sans trop de distinctions incultes, grégaires, rapaces et égoïstes dans leur ensemble. Nul besoin d’insister davantage sur ce naufrage de la pensée humaine totalement déprimant. Il faut pour son psychisme garder, éviter de visionner cette mauvaise histoire de salauds.