King Kong

Film : King Kong (2005)

Réalisateur : Peter Jackson

Acteurs : Naomi Watts (Ann Darrow), Adrian Brody (Jack Driscoll), Jack Black (Carl Denham)…

Durée : 03:00:00


Peter Jackson dans toute sa splendeur. Auréolé du succès de sa saga Le Seigneur des Anneaux et de 17 Oscars, il s’attaque à présent à un rêve d’enfant : refaire King Kong, le film d’Ernest B. Schoedsack et Merian C. Cooper, qu’il a vu à l’âge de 9 ans. « L'impact fut tel que je décidai sur le champ de devenir réalisateur. Je me suis dit : « Je veux faire du cinéma, je veux être capable de faire des
films comme King Kong »…Il peut sembler étrange que King Kong ait fait partie de ma vie si longtemps, qu'il soit depuis 35 ans mon film favori. Pouvoir le refaire aujourd'hui, c'est concrétiser un rêve incroyable, que je n'aurais même pas osé imaginer… » . Après de nombreuses tentatives (dès 13 ans), Peter Jackson, à la tête d’un budget de 207 millions de dollars (un des trois plus importants de l’histoire du cinéma), nous offre un remake réussi du film de 1933.

Fidèle à ses premiers pas de maître, Peter Jackson a tourné son film en Nouvelle-Zélande, terre du Seigneur des Anneaux ; il a de même fait appel à Andy Serkis, le Gollum numérique de la trilogie, pour enfiler la peau de Kong et interpréter de surcroît Lumpy, le cuisinier du navire Venture. Et le talent de Peter Jackson, assisté de la puissance de ses ordinateurs, fait revivre un Kong plus vrai que nature. Outre le rendu des détails, fabuleux, c’est le naturel et la quasi-humanité (sans trop s’
avancer toutefois) de ce grand singe numérique qui impressionne. Le réalisateur s’est d’abord inspiré d’un authentique gorille, vivant au zoo de Barcelone et baptisé Snowflake (flocon de neige). Il a ensuite attribué à son mastodonte des réactions, poses et sentiments parfaitement appréhendables. La bête est joueuse, curieuse, maladroite avec cette blonde créature qui ne se laisse pas faire et lui cause tant de soucis. Dans ses grands yeux, on lit la jalousie et la haine envers cet homme (Jack Driscoll) qui, amoureux de la belle, veut l’arracher de ses pattes. Sa mélancolie devant un coucher de soleil, ses gestes protecteurs pour Ann, ses mimiques et ses grognements touchent en plein cœur le spectateur.

Un casting de premier plan, doublé de seconds–rôles soignés, s’élance à la poursuite du roi Kong. Peter Jackson prend le temps de les ancrer dans le contexte peu réjouissant de l’époque avant de les faire embarquer pour l’île du Crâne. Naomie Watts illumine
le film de sa grâce et de sa beauté, qu’elle conserve malgré les multiples péripéties qui la font fuir d’un prédateur à un autre. Adrian Brody (vu dans Le  pianiste) reste certes en retrait mais son amour sans faille transpire dans  sa discrétion, son calme et sa chaleur en toutes circonstances. Sensible et maladroit, Adrian Brody n’est plus le Jack Driscoll macho du film de 1933. Au contraire c’est l’acteur Bruce Baxter (Kyle Chandler) qui tient ce rôle. De ce décalage naît un humour de situation très réjouissant. Enfin, figure centrale du film, le réalisateur Carl Denham est fortement inspiré d’un certain Orson Welles : « Nous avons pris pour référence le jeune Orson Welles du Mercury Theatre. Carl a cette énergie bouillonnante et contagieuse, cette détermination inflexible à réaliser son film par tous les moyens possibles et imaginables. Il est ambitieux et un brin escroc... comme Orson qui n'hésitait pas à utiliser pour tel ou tel de ses projets l'argent qu'il avait obtenu pour un tout autre
film », explique Peter Jackson.

Les décors ne sont pas en reste et sont l’une des solides fondations de ce film. Le réalisateur a en effet recréé New York dans les années trente, ses gratte-ciel en construction, ses rues envahies de Ford T et d’une agitation populaire où se retrouvent les tracas et les misères de ces années noires. L’île du Crâne se dévoile dans une brume de mauvais aloi, protégée de récifs inquiétants. Ce safari dans l’île devient le terrain de jeu de Peter Jackson, qui à grand renfort d’effets spéciaux alterne entre scènes d’action (superbes mais parfois tirées en longueur) et séquences idylliques entre la Belle et la Bête. Le retour à New York ne manque pas non plus d’inspiration, le réalisateur insistant moins sur la destruction de la ville que sur les retrouvailles et la fuite de Ann et de Kong au sommet de l’Empire State Building. Et, fidèle à l’original, la lente agonie de King Kong ne manque ni de charme (très fleur bleue), ni de
prouesses.

Avant d’être un film fantastique, King Kong est le récit d’une impossible histoire d’amour. Le réalisateur évite l’écueil de la surenchère d’effets spéciaux considérée comme une fin en soi, alors que se succèdent de nombreuses scènes mémorables. Dans cette même perspective, l’humour (Denham pense d’abord à engager Fray Way, l’actrice qui interpréta Ann Darrow en 1933) et les moments de grâce (Kong et Ann s’offrant une séance de patinage) ôtent toute prétention au film, qui demeure fin et bouleversant sous son emballage de blockbuster. Puristes et admirateurs y trouveront leur compte, les uns dénicheront clins d’œil et référence au cinéma catastrophe des années cinquante, les autres y percevront le respect de Peter Jackson devant ce mythe qu’il a travaillé et bichonné dans ses moindres détails.

La beauté du film tient aussi à la grâce toute particulière qui s’en dégage et aux belles figures
esquissées par le réalisateur.

L’héroïne est aussi belle que pure : ainsi elle refuse de travailler dans un théâtre pour adultes, à la seule vue de l’endroit, alors qu’elle se retrouve sur le pavé après la mise en faillite de son music-hall. Si elle vole une pomme à l’étalage, c’est dans un moment de grande détresse et elle s’en excuse devant Carl Denham, qui vient de lui sauver la mise. Sa noblesse d’âme la fait pleurer lors de la capture de la bête, qu’elle a tenté d’empêcher, et la pousse à se dresser face aux avions qui vont achever le monstre qui l’a protégé. De même est-elle absente lors de la reconstitution monumentale de sa capture par Kong, devant un parterre impressionnant réunissant le gotha de New York, et ce alors que lui ont été proposés des ponts d’or.

Jack Driscoll est l’archétype du chevalier courtois, touchant par sa fidélité en amour qui le pousse à braver mille dangers pour sa belle.
Son esprit de sacrifice anime d’ailleurs l’ensemble de l’équipage. Lui aussi s’oppose à la capture de Kong malgré les opportunités qu’elle ouvre (ou à cause d’elles).

Carl en est l’antithèse : ambitieux et sans scrupule, il utilise ses semblables à son seul profit. Il en devient caricatural, dans sa promesse, oubliée dès qu’il la lance, de subvenir aux besoins des familles de ses compagnons tués. Et au final, son ascension exponentielle n’a d’égal que sa désillusion à la mort de Kong. La figure cocasse de l’acteur Bruce Baxter tourne en dérision le machisme et l’orgueil pourtant très présent dans les héros classiques du cinéma d’action.

L’abandon de tout sous–entendu érotique (présent notamment dans le film de 1933), apporte beaucoup de fraîcheur au film. La relation entre Ann et Kong en devient plus romantique et chevaleresque.

En définitive, l’
exaltation des sentiments nobles, du don de soi et de l’esprit d’effort font de King Kong un retour magistral aux grands thèmes qui ont forgé la noblesse du 7° art.

 

Stéphane JOURDAIN