Kingdom of Heaven

Film : Kingdom of Heaven (2005)

Réalisateur : Ridley Scott

Acteurs : Orlando Bloom (Balian), Liam Neeson (Godefroy), Eva Green (Sybille), Ghassan Massoud (Saladdin) .

Durée : 02:25:00


Après Gladiator et La chute du Faucon noir,
Scott revient avec une fresque historique d'autant plus intéressante quelle n'a été traitée bien souvent que de manière indirecte : les croisades, sujet difficile surtout à une époque où les Etats-Unis et les pays orientaux sont en guerre.

Comme la plupart des films historiques, la réalisation a été confrontée à différents problèmes : la véracité des événements, la concordance des images avec l'époque évoquée, la présentation des personnages etc. Ici, deux histoires devaient coexister : L' « Histoire », et le récit d'un homme banal qui accomplira des choses extraordinaires : "J'aime bien le principe dramatique de prendre un héros ordinaire pour le lancer dans des aventures extraordinaires. Mais pour la dimension historique, nous nous sommes principalement fondés sur les chroniques de Guillaumes de Tyr." (Propos de Scott recueilli pour Le Figaro) Kingdom of Heaven ne peut être pris comme un cours d'histoire. Le scénario se permet quelques libertés : les grandes lignes
sont correctes, les protagonistes ont bel et bien existé, les dates sont sérieuses... mais dès que l'on rentre dans les détails le scénario impose sa vision des choses quoique basé sur des récits d'époques. Ridley Scott frôle le révisionnisme non pas par la fiction mais par sa conception à la fois très personnelle et "politiquement correcte" de l'esprit des croisades.

Le scénario est bien agencé ainsi que la réalisation efficace que l'on pouvait attendre de Scott. Certes, on a parfois l'impression de voir un Gladiator 2 à cause de la monopolisation de la caméra par le charisme d'un homme, mais le déroulement des événements, les changements de décors, et la synchronisation des actions font facilement passer les 2h25 de bande. Film rythmé avec une prise de risque louable notamment par une belle ellipse temporelle sur la célèbre défaite d’Hattin, alors que le spectateur s’attend à voir l’armée occidentale se faire écraser.

Ridley Scott a le
sens du lyrisme. Les dialogues sont des échanges de formules et d'aphorismes qui théâtralisent le jeu. Parallèlement, les plans sont construits sur le même principe : l’efficacité esthétique. La qualité picturale des plans d’ensemble et des plans rapprochés (sûrement des restes de sa formation de graphiste et de peintre) est indéniable. La caméra n’est jamais là par hasard, le moindre effet esthétique a été voulu et travaillé minutieusement. C'est cette construction élégante d’un mythe qui avait déjà beaucoup plu au public dans Gladiator, un cinéma de "geste" ou le héros est placé sur un piédestal.

La reconstitution historique du contexte matériel est impressionnante grâce à une armée d’experts préoccupée par l’authenticité, maître mot de la décoration et du montage. On sent que Ridley Scott a bien compris qu’une œuvre n’est achevée que lorsque les éléments mêmes invisibles sont parfaits (jusqu’aux boucles de chaussure des guerriers sarrasins).

S’il n’est pas interdit de romancer l’Histoire afin de pouvoir mettre en valeur certains de ses aspects, la trahison de son esprit essentiel est déjà plus contestable d’un point de vue historique et artistique comme d’un point de vue moral.

Ridley Scott a fait un film qu’il pense être « équilibré sans être artificiel », mais sa manière de procéder est trop manichéenne pour être objective. L’équilibre n’est pas une question de ménagement des susceptibilités. L’équilibre n’est pas non plus une affaire de yin et de yang au risque de donner une psychologie très primaire des personnages : les méchants sont très méchants mais les bons sont très bons surtout quand  « les méchants très méchants » sont systématiquement des hommes d’Eglise ou qui agissent au nom de l’Eglise. En outre les sarrasins sont filmés sous un jour plus favorable que les croisés très divisés en leur sein. Par exemple, pour le réalisateur « les templiers (…) n’étaient pas seulement de fervents croyants
mais des fous qui s’appuyaient sur l’aide de Dieu pour gagner les batailles » (propos recueillis pour Le Monde), n’est-ce pas une approche un peu simpliste ? Le pacifisme est une bonne chose mais la guerre peut s’avérer nécessaire et juste, auquel cas demander l’aide de Dieu n’est pas du fanatisme religieux mais une forme d’humilité. Bien sûr deux grandes figures ont été justement dépeintes, et heureusement : Saladin et Baudouin IV, deux chefs de guerre humains et diplomates qui préféraient la paix et qui avait le plus profond respect mutuel. Mais en dehors de ces deux portraits il y a un net déséquilibre qui porte préjudice à l’Eglise en tant qu’institution et à l’Histoire qui ne peut se permettre un tel subjectivisme.

Quand au catéchisme des scénaristes, il est bien faible. Pire, Ridley Scott fait de la religion comme un athée peut le faire. Le film baigne dans une atmosphère d’humanisme et de conformisme déplorable : « la sainteté c’est faire ce qui est juste, la religion
ne compte pas… » (L’Hospitalier s’adressant à Balian). Petite contradiction, mais grosse conséquence puisque notre valeureux héros en vient à perdre le foi en Dieu pour ne croire qu’en l’homme. Scott pose simplement la question de la nécessité de la religion : A quoi sert-elle si l’être peut agir droitement par lui-même ? Petit message oecuménique en passant, toute les religions se valent ce qui revient logiquement à dire que les religions n’ont pas d’importance. On n’est tenté de penser que l’athéisme est la religion de l’homme autoproclamé Dieu. En tout cas Kingdom of Heaven se permet de donner un cours qui apporte plus de questions que de réponses. La religion n’est pas seulement un corps de règles négatives mais elle est l’expression de l’amour pour Dieu. Etait ce vraiment nécessaire de montrer un prêtre crier dans Jérusalem que tuer un infidèle n’était pas un péché mais que c’était un moyen de faire son salut : Quel genre de chrétiens côtoie le scénariste ? En côtoie-t-il d’ailleurs ? Le refrain de l’
obscurantisme religieux de l’ancien Régime sonne faux. Il y a certes eu des dérives dans les débuts du christianisme où Rome ne pouvait tout contrôler, mais sa doctrine reste immuable : l’amour.

On peut noter aussi le manque de respect pour la sœur de Baudouin IV, la belle Sybille dont la légèreté à l’égard de Balian surprend pour une princesse de son rang. Sûrement un prétexte pour la très courte scène érotique.

Cela dit, abstraction faite des confusions doctrinales, un certain nombre de valeurs reste. La chevalerie est une institution qui a souvent permis à ses adeptes de se distinguer par un grand courage, une grande force et le sens du devoir. L’héroïsme à travers le sacrifice de ses désirs et même de sa vie exalte l’homme. C’eût été tellement plus beau avec un héroïsme véritablement chrétien ! On garde quand même en tête cette phrase que la bande-annonce est fière de reprendre où Jérusalem est dite « royaume de la conscience, où seul le
mérite compte ».

« Soit sans peur devant tes ennemis, dis toujours la vérité même au péril de ta vie… », ce code que l’homme moderne ne comprend qu’avec difficulté a toujours suscité une profonde fascination chez les fils spirituels de la chevalerie. Condensé de courage, de droiture, de noblesse et de force il a inspiré le cinéma, la littérature, la musique, bref l’art.

Jean LOSFELD