La Délicatesse

Film : La Délicatesse (2011)

Réalisateur : David Foenkinos, Stéphane Foenkinos

Acteurs : Audrey Tautou (Nathalie), François Damiens (Markus), Bruno Todeschini (Charles), Mélanie Bernier (Chloé)

Durée : 01:48:00


Quoiqu'un peu mou, un film formellement correct et parfois drôle qui aborde la question de l'amitié et de la prévenance sans toutefois pousser l'analyse.

>La délicatesse est avant tout l’adaptation d’un roman éponyme à succès de David Foenkinos. À l’instar de Mon père est femme de ménage écrit puis réalisé par Sapphia Azzedine, David Foenkinos est passé de romancier à réalisateur avec le secours de son frère Stéphane co-réalisateur. L’une des difficultés de l’adaptation est de conserver le ton du roman tout en faisant vraiment du cinéma en travaillant davantage avec l’image qu’avec les mots.

David Foenkinos résume assez bien l’enjeu : Mon défi, c’était de garder la tonalité du texte en créant de nouvelles fantaisies. J’ai utilisé des transitions, des ellipses, des astuces pour illustrer le temps qui passe. Il y a
des choses qui n’existent pas dans le livre, mais un film n’est pas un roman, et là, il fallait que les trouvailles soient visuelles
” (notes de production). On a effectivement pu relever quelques petits effets de montage qui rythment le récit avec originalité. Les cinéastes usent habillement des raccords dans le mouvement (Markus invite Nathalie au restaurant) ou encore ellipses assez poétiques (le mariage de Nathalie, l’enfant de Sophie...). Tout ces ajouts de montage nous confortent dans l’idée qu’il s’agit bien d’un film et non pas d’un théâtre filmé ou d’une simple transposition. Certes le cinéma littéraire de Truffaut semble avoir influencé les deux cinéastes mais l’utilisation de la voix off reste essentiellement limitée à l’introduction et à la conclusion. Il faut reconnaître que pour un premier film les
efforts stylistiques sont significatifs. La photographie est d’ailleurs soignée grâce au travail de l’expérimenté Rémy Chevrin (Bus Palladium de Christopher Thompson, 2010). L’un des atouts majeur du film qui vient magnifier l’image et apporter ce qu’il faut de poésie est la musique toujours aussi spéciale et sensible d’Émilie Simon. Pour la troisième fois après La marche de l’Empereur (Luc Jaquet, 2005) et Survivre avec les loups (Véra Belmont, 2008) elle signe une bande originale remarquable avec des couleurs instrumentales chaudes et étranges. Sans sa musique, certaines scènes n’auraient sans doute pas le même intérêt (Nathalie s’arrête en voiture en pleine campagne).

Si formellement le film est honorable, le scénario manque d’énergie. La délicatesse, comme son titre et son casting pouvait le laisser deviner, verse clairement dans la comédie dramatique, ou selon David Foenkinos une “dramédie”, un “film driste à la fois drôle et triste”. Je dirais même plus, une dramédie sentimentale ! Le sentimental n’est généralement pas un genre à part entière mais un sous-genre qui marque la tonalité du genre principal. Le risque de la comédie dramatique est de briser l’équilibre entre les genres. L’avantage est qu’il s’agit sans doute du genre qui se prête le mieux au film de moeurs sentimentale car il permet de mettre en exergue deux réalités de l’amour et de la vie : la légèreté et la gravité. Sur
ce point il faut reconnaître que les deux frères cinéastes ont su conserver l’harmonie. La mort de François, le mari de Nathalie, est réaliste sans être anormalement lourde. Tout passe par les réactions de Nathalie adroitement interprétée par Audrey Tautou qui s’en tire d’ailleurs mieux dans le registre dramatique que comique. De même, la peinture du deuil est crédible et juste tant du côté des émotions de Nathalie que du côté des réactions de l’entourage : la gêne, le zêle affectif des parents, la maladresse, l'ambiguïté, la dépression, l’encouragement... bref tout est assez bien retranscrit et résumé dans un dialogue au parc entre Nathalie et Sophie : comment annoncer une bonne nouvelle (une grossesse) à une personne qui porte le deuil ? La bonne réponse est : avec simplicité. Sur le plan de la com&
eacute;die, l' oeuvre n’est pas en reste principalement grâce à l’incroyable talent de François Damien qui joue avec une subtilité rare et, pour faire écho au titre du film, un grande délicatesse. L’acteur est en effet capable de toucher, d’émouvoir parfois de faire pitié mais également de maintenir une tension comique autour de son personnage. Avec ou sans texte, son corps tout entier exprime une multitude de sentiments et provoque instantanément l’attachement et le rire.

Outre la prestation des acteurs, le récit manque néanmoins d’originalité, de rythme et s’avère trop prévisible. Il reprend la recette infiniment éprouvée de la comédie sentimentale américaine qui jongle entre événements tristes, situations cocasses, qui fait croire un
instant que l’amour entre les protagonistes est impossible et rebondit finalement vers la fin heureuse. Pour n’en citer qu’un, on retrouve un peu les mêmes thématiques (atour du deuil et de l’amour) dans Love Happens de Brandon Camp, 2009, avec Jennifer Aniston (grande habituée du genre) et Aaron Eckhart, en précisant toutefois que l’absence de nouveauté ne signifie pas mauvais. En l'occurrence, l’ennui n’est jamais loin, l’histoire tourne en rond d’autant qu’on devine très rapidement les différentes étapes du scénario. Les Foenkinos évitent néanmoins l’une des marques de fabrique de la comédie romantique américaine : la niaiserie romantique.

Sur le fond, La
délicatesse
traite assez bien des thèmes phares. La question principale est sans doute celle du deuil et du risque d’enfermement dans la dépression. “Moi, j’ai pensé au tout départ à une femme qui vit un malheur, qui pense ne plus pouvoir vivre une vie sentimentale et qui subitement va être frappée par quelqu’un qui n’a rien pour lui. La question était de savoir : est-ce qu’on peut avoir une deuxième vie amoureuse, même avec un Suédois.” (David Foenkinos, interview pour http://interlignes.curiosphere.tv/). Le point de départ est donc très simple, ça ressemble même à un jeu, une idée écrite sur un coin de table : et si je faisais tomber amoureuse une femme endeuillée d’un homme au premier abord moche (un peu injuste pour François Damien) et socialement inintéressant. L’idée est donc de voir que non seulement il est encore possible d’aimer après avoir perdu son mari mais qu’en plus cet amour peut-être très improbable. Le ciment de l’histoire c’est la délicatesse que Stéphane définit comme étant le fait de savoir s’arrêter au bon moment (interview Allocine). C’est aussi la prévenance qui fait, selon David, que l’on comprend les désirs de l’autre avant même qu’il les exprime. Le film balaye relativement bien le spectre des différentes formes d’amitié. Marcus,
bien qu’entreprenant dès lors que le baiser soudain de Nathalie a fait naître en lui un espoir, multiplie les gestes d’attention et se distingue par son naturel et son intégrité. Le parallèle entre les avances de Charles, le patron de Nathalie à la limite du harcèlement, et les timides tentatives de Marcus est assez frappant. Le premier, obsédé et égoïste, considère Nathalie comme un bien agréable, c’est à dire comme un moyen de satisfaire sa libido et sa fierté de séducteur alors que le second semble aimer Nathalie pour ce qu’elle est, ce qui a comme principale conséquence que Charles est rustre et parfois violent (quand il utilise le nom de François pour faire souffrir Ntahalie) tandis que Marcus est délicat et doux.

Il est dommage que le principe ne soit qu’à sens unique. En définitive, on voit assez
peu de délicatesse de la part de Nathalie qui campe le personnage en souffrance et à conquérir. Il manque donc un pendant important de l’amitié qui ne peut se résumer à l’équation simpliste : il est méchant donc je ne l’aime pas (Charles), il est gentil donc je l’aime (Marcus). Elle agit même comme une petite princesse focalisée sur elle-même qui, sur un coup de sang, va partir ou revenir. On en revient donc à l’erreur de Charles car le film ne permet pas de savoir si Nathalie aime Marcus simplement comme un bien agréable, ou pour ce qu’il est (cf. l’article “L’amitié au cinéma” sur lecran.fr). Elle n’est finalement que le faire-valoir de la vertu de Marcus qui, peut-être, si on laissait l’histoire se dérouler, finirait par se lasser d’être celui qui court...