La Dame de fer

Film : La Dame de fer (2011)

Réalisateur : Phyllida Lloyd

Acteurs : Meryl Streep (Margaret Thatcher), Jim Broadbent (Denis Thatcher), Susan Brown (June), Phoebe Waller-Bridge (Susie)

Durée : 01:44:00


Un biopic de bonne qualité et classique, mais qui aurait gagné à traiter davantage de son contexte politico-historique et à moins s'étendre sur la vie privée et la personnalité de son héroïne.

Les biopics anglo-saxons sont décidément nombreux ces derniers temps. Après Le Discours d’un roi de Tom Hopper et J. Edgard de Clint Eastwood, c’est au tour de Margareth Thatcher d’être incarnée au cinéma. Le film s’intitule par son surnom de « Dame de fer » qui lui fut attribué en 1976 par le journal soviétique L’Etoile rouge afin de stigmatiser son anticommunisme. Le personnage est interprété par l’actrice américaine Meryl Streep, mondialement connue pour ses prestations dans Voyage au bout de l’enfer de Michael Cimino et Sur la route de Madison de Clint Eastwood. Le film est réalisé par Phyllida
Lloyd, réalisatrice de Mamma mia !, déjà avec Meryl Streep.

La première question qui vient à l’esprit, lorsque l’on sait qu’un acteur ou une actrice connu(e) interprète une personnalité non moins connue, sera de savoir si le premier restitue fidèlement le second. La réponse n’est pas évidente à donner. L’actrice ne cache d’ailleurs pas le défi que constitua cette prestation : « La perspective d’explorer l’histoire de cette femme remarquable est un défi à la fois passionnant et intimidant. Je ne peux qu’espérer posséder suffisamment d’endurance et de vitalité pour ne pas lui faire de tort. » En fait, la performance de l’actrice en elle-même ne pose pas réellement problème, elle est très convaincante dans son rôle de femme à la fois
intransigeante et sévère en tant que politique et émouvante et attentionnée en tant qu’épouse et mère de famille. Le vrai problème est plutôt qu’on a justement l’impression de voir à l’écran l’actrice Meryl Streep jouant un rôle de personnage historique plutôt que la vraie Margaret Thatcher. Le travail de maquillage a beau être impressionnant (surtout pour incarner Thatcher vieillissante), rien n’y fait, le rôle est trop artificiel pour qu’on y voit le vrai personnage. Peut être aurait-il fallu une actrice moins connue ou même une vraie Britannique comme l’a suggéré le journaliste Stuart Jeffries de The Guardian. Ce dernier a également pointé du doigt l’impasse sur de nombreux aspects de sa personnalité et de son action, déclarant notamment qu’« un biopic sur Margaret Thatcher ne
peut se permettre de faire l’impasse sur son bellicisme »
. Par ailleurs, cette interprétation a également déplu aux deux enfants de l’ex-Premier ministre, Mark et Carol Thatcher, qui en ont dit : « Cela sonne comme une fantaisie de gauche ». Le film ne fait donc pas l’unanimité, il est vrai que traiter d’une personnalité encore vivante et dont l’action fut très récente est toujours risqué.

Le film s’intéresse essentiellement à la vie privée de Margaret Thatcher, notamment ses rapports avec son compagnon, mari et confident, Denis, incarné par Jim Broadbent (Moulin rouge de Baz Luhrmann, Le Journal de Bridget Jones de Sharon Maguire), également très convaincant et qui a l’avantage d’interpréter un personnage beaucoup moins connu. L’essentiel se déroule durant les derniè
res années d’une Margareth Thatcher vieillissante et seule se souvenant des grandes étapes de sa vie. On voit ainsi par flashbacks sa jeunesse, ses premiers pas en politique, sa rencontre avec Denis, sa première victoire politique, ses premières interventions au Parlement en tant que ministre de l’Éducation et sa consécration avec son élection comme Premier ministre de Grande-Bretagne entre 1979 et 1990. Parmi ses principales actions à ce poste, sont surtout retenus les mesures de privatisation et de réduction des dépenses, les dures grèves des mineurs, les attentats terroristes de l’IRA, la guerre des Malouines et son action vis-à-vis de la Communauté Européenne. D’emblée, le film a l’intelligence et l’avantage indéniable de ne pas être parti-pris et de présenter de manière neutre l’évolution de cette politique et ses consé
quences. Mais ces différents thèmes sont largement survolés, le film privilégiant l’impact de cette action sur sa vie privée et familiale. En effet, l’usure du pouvoir politique et la confrontation aux dures réalités de la vie publique la conduit à négliger passablement sa vie de famille et à se durcir vis-à-vis de son entourage. Elle-même se prend parfois à douter de son aptitude à la fonction suprême. De tels questionnements sont bien sûr intéressants, mais ont tendance à accaparer entièrement le propos du film au détriment du contexte politico-historique, qui est bien présent mais ne sert que de toile de fond et paraît bien secondaire. C’est vraiment dommage car il s’agit d’une époque passionnante, aussi bien pour la Grande-Bretagne que pour le monde, faite de conflits sociaux, de métamorphose idéologique et
de Guerre froide. De plus, les motivations de Thatcher sont relativement ambiguës : si le film montre clairement sa volonté de servir son pays et son parti (les conservateurs), il semble également indiqué une forte ambition personnelle, un certain amour-propre et l’orgueil de laisser sa propre trace dans l’histoire, nettement teintée de féminisme carriériste agaçant. En effet, le personnage interprétée par Meryl Streep laisse à penser qu’elle a une grande chance d’arriver à ses fins et d’impulser un changement positif uniquement parce qu’elle incarne le changement du fait de son sexe et de ses origines modestes (elle est fille d’épicier) et que l’ensemble de ses collègues et partenaires ne sont que des incompétents et des lâches. Un certain mépris des ministres masculins sous ses ordres finit par se retourner contre elle à la fin du
film. Outre le fait qu’il n’est absolument pas sûr que Margaret Thatcher se soit basé sur de telles considérations (son parcours et l’image qu’elle a laissée laissent même plutôt supposer le contraire), on devine le message féministe sous-jacent du film, tellement conformiste et pourtant préjudiciable à notre époque. Enfin, il est également dommage que le film fasse l’impasse totale sur la foi chrétienne de Thatcher qui a pourtant fortement contribué à influer son engagement dans un sens patriotique, conservateur et anti-communiste.

À ces réserves près, le film est très juste, suffisamment sobre et émouvant, parvenant à rendre réellement attachant le personnage sans artifices, doté d’une mise en scène à la fois dynamique et minutieuse. L’idée d’utiliser les flashbacks du personnage pour
retracer son parcours passé n’est bien sûr pas neuve (cela fut notamment utilisé récemment dans J. Edgard de Clint Eastwood) mais elle est utilisée efficacement et sert le récit, lequel se teinte parfois de fantastique lors des apparitions de Denis à Margaret.

Un bon biopic mais qui aurait gagné à ne pas faire autant d’impasses sur l’époque qu’il illustre.