La Mort de Louis XIV

Film : La Mort de Louis XIV (2015)

Réalisateur : Albert Serra

Acteurs : Jean-Pierre Léaud (Louis XIV), Patrick d'Assumçao (Fagon), Marc Susini (Blouin), Irène Silvagni (Mme de Maintenon)

Durée : 01:55:00


L’adaptation de la mort de Louis XIV aurait parlé de tout ce qui entoure la fin d’un règne de soixante-douze ans, celui d’un monarque qui fit – ou vit – passer son pays de puissance enfermée dans un empire étranger à première puissance de l’œcoumène. Mais le choix du catalan Albert Serra se montre différent, et en cela, parvient à rendre nouveau un récit bien connu. En deçà des interrogations sur le rapport contenu-contenant entre les termes mort et agonie, penchons-nous sur cet objet cinématographique assez unique.

 

On pouvait effectivement s’attendre au documentaire. Il n’en est rien : il s’agit bel et bien des derniers jours de Louis XIV, dévoré par la gangrène. Nous sommes installés à quelques pas de son auguste personne, qui tousse, mâche difficilement, gémit, jette des regards supérieurs sur un entourage dépassé, frileux, ankylosé même devant une jambe qui aurait probablement due être coupée depuis longtemps.

 

Mais qui voulait vraiment que ce règne se prolonge encore ? Paris n’a-t-elle pas accueilli la funeste nouvelle par des scènes de liesse ? Pourquoi le roi est-il si seul, même quand il demande à certains nobles de lui rendre visite ? Oubliez : vous n’aurez pas les pensées profondes du roi, ni de diplomatie parallèle, ni de grandes révélations. Il vous faut deviner, par exemple que les gens de son entourage désertent petit à petit pour se rapprocher des Orléans, vu que la régence découla logiquement de la jeunesse du futur Louis XV. Il ne s’agit donc pas d’un cours d’Histoire académique, mais bel et bien d’un film, avec son aspect réaliste, intimiste, attaché au récit laissé en l’occurrence par Saint-Simon et Dangeau.

En revanche, cela n’exclut pas quelques choix peu historiques, comme l’omission du choix délibéré du monarque malade de ne pas se faire amputer, ce qui aurait peut-être pu le guérir. En revanche, le fait qu’une seule de ses jambes devienne noire au lieu des deux n’est peut-être pas rédhibitoire non plus. Les rituels catholiques, sauf erreur, sont assez bâclés tout de même. On chipote, on chipote.

 

Regarder un homme mourir pendant deux heures pouvait se montrer vertigineux ; mais bien qu’elle ramène son corps à celui du reste de l’humanité, mangé par les vers comme le dit la parole pascalienne, la mort d’un roi n’est pas ordinaire. Le protocole, les dernières affaires, la volonté de soigner sa sortie pour la postérité, les visites courtoises, l’endurance des médecins et surtout les conseils au futur chef d’État (trop brefs d’ailleurs) montrent bien qu’il ne s’agit pas d’un homme « normal ». L’aller-retour permanent entre le lieutenant de Dieu sur Terre, le monarque de droit divin, le Roi-Soleil qui se couche, et l’homme, fatigué, rongé par la maladie, semble plus vrai que nature.

 

Presque entièrement dépourvu de musique (de l’anachronique Mozart débarque et s’efface maladroitement, en tout et pour tout), La Mort de Louis XIV est l’assistance du spectateur dans la chambre du roi, comme celle d’un valet muet. Nous regardons, impuissants, un personnage hors du commun s’éteindre, emprunt d’un sens du devoir intact. Le charisme réel de Louis XIV s’incarne dans le jeu de Jean-Pierre Léaud, doté d’une aura forçant l’admiration. Heureusement d’ailleurs, car il faut bien reconnaître que le temps finit vraiment par peser. Le manque de musique n’y est pas pour rien. S’il s’agissait d’un choix assumé de rendre la langueur d’une agonie, c’est réussi. Quelques éléments sonnent faux, ici le jeu d’un figurant, là, la prononciation latine douteuse de l’Abbé Le Tellier, mais cela ne concerne jamais le roi lui-même, qui est le cœur du film.

 

En somme, une expérience assez fascinante, qui confirme le talent contemporain du cinéma français – sans ironie – pour décrire la fin de personnages historiques (Une Exécution ordinaire, par exemple, sur Staline, n’y voyez pas une comparaison journalistique), menée par un acteur éblouissant. On n’y voit pas un homme ordinaire, ni un tyran, on y voit un vrai roi au bout d’un règne immense. Digne, long, éprouvant, comme ce que fut la mort de Louis XIV.