Le Maître du jeu

Film : Le Maître du jeu (2003)

Réalisateur : Gary Fleder

Acteurs : Gene Hackman (Rankin Fitch), Dustin Hoffman (Wendall Rohr), John Cusack (Nick Easter), Rachel Weisz (Marlee)

Durée : 02:07:00


Une fusillade, des morts innocents, un procès, des enjeux symboliques et financiers : Le Maître du Jeu, d’emblée, pose les pièces de son échiquier : les idéalistes anti-port d’armes tentent d’obtenir une première victoire, comme un premier espoir, contre un armurier cherchant uniquement son bénéfice. Au rang des accusés, les méchants vendeurs d’armes. Que des patrons essaient de vendre leur marchandise, au pays du rêve américain, ça, le scénario ne pouvait y toucher. Donc ils l’ont vendue illégalement. Tout va mieux, on peut les traiter de gangsters. Et pour cause, ils essaient de fausser le procès ! Au rang des accusés, passe le militantisme du film : le manichéisme, religion d’État, met les uns dans le mal, les autres dans le bien. Évidemment, ceux qui prônent le port d’armes sont des monstres de capitalistes cherchant uniquement leur profit. Fort bien ! On a compris. On se demande alors si le film n’est qu’un banal plaidoyer écrit avec des larmes et du café, qu’on pourrait croiser dans Le Monde

On voit vite la limite de la pensée du film, un peu caricaturale et pour le moins contradictoire, puisque le « camp du bien » (appelons-les ainsi) se fait gangster aussi, considère manifestement que la fin justifie les moyens. Dans cette logique infantile, on pourrait défendre l’armurier : oui, il se fiche des morts, oui, il vend illégalement, oui, il corrompt la justice ; mais après tout, c’est pour gagner son pain, et pour que les citoyens puissent continuer de se protéger …

Mais un film ne se juge pas qu’à cela, heureusement, sinon, on viendrait dans une salle obscure lire une plaidoirie écrite sur un post-it. Heureusement donc, le talent sur le scénario, la réalisation, le montage et le jeu font de ce policier une référence du genre. Pas d’accord avec le film ? Soit, moi non plus. Mais voilà : Le Maître du Jeu mène sa partie d’une façon endiablée, multipliant les rebondissements, alternant les phases de négociation, de bras de fers psychologiques, de manipulations en tous genres, de coups bas, dans l’ombre ou au grand jour, pour tenir en haleine le spectateur. On en sort bluffé par les mécanismes, et surtout, on comprend pourquoi il sert souvent d’inspiration (La Faille, par exemple, semble être son petit frère, tout comme La Défense Lincoln). L’ambiance, noire comme dans Le Parrain, permet à Gene Hackman de se révéler sous un jour sombre, et très charismatique ; un méchant comme on les aime : intelligents et cruels. Il domine un casting convaincant, même pour quelqu’un qui a de l’ulcère quand il voit John Cusack, où Dustin Hoffmann lui répond en ange de bien, dégageant une image de l’avocat que tous ne partagent pas : plus honnête qu’il est permis de l’être.

Parlons, au-delà de la polémique semble-t-il interminable, du port d’armes. Sans vouloir refaire le procès, il semble que le film décerne la palme à ceux qui veulent la justice. La façon d’en faire des héros ordinaires, face à des ordures, est claire quant à ce jugement. Mais encore une fois, la fin ne justifie pas les moyens. La justice est-elle donc bafouée ? Peut-on répondre illégalement à la violence totalement déloyale de l’adversaire ? L’histoire botte presque en touche, parce que si on allait poser cette question au à John Grisham, auteur du livre adapté ici, il pourrait, avec un peu de mauvaise foi, dire que ses héros sont poussés par l’injustice, que c’est un moindre mal ; qu’après tout, la cause première de tout ce joyeux bazar est la malhonnêteté de l’armurier … Mieux vaudrait une petite injustice qu’un grand désordre ?..

Alors si Le Maître du Jeu se ferait peut-être descendre par St Thomas, il ne faut guère lui enlever le mérite de poser, finalement, des questions plus profondes que le débat du port d’armes, même si ces sujets évoqués par les situations trouvent des réponses assez simplistes, pour ne pas s’écarter de la cause principale, ce fameux rêve d’un monde sans armes. En supprimant les fous, ils croient éradiquer la folie me direz-vous … Le combat de l’idéaliste contre le monde, néo-romantisme très cinématographique. Et pour preuve, cette leçon de cinéma, où l’intensité des grands procès vous prend en otage tout le long de ce polar. Discutable quant à sa pensée certes, mais sur le plan artistique même, chacun parvient à être à la hauteur de cette captivante histoire. De Niro explique bien, dans Le Dernier Nabbab, que le moteur premier d’un film est de capter sans relâche l’attention du spectateur. Pour le suspense et la plongée dans l’univers pénal américain, on voit bien que ce film se pose en maestro du genre. Que dit-on dans ces cas-là ? Un coup de maître, of course.