Le Procès

Film : Le Procès (1962)

Réalisateur : Orson Welles

Acteurs :

Durée : 01:58:00


Il ne fallait pas moins que l’immense Orson Welles pour adapter cette œuvre de géant qu’est Le Procès de Kafka.


Malgré son statut, Orson Welles a fait grincer les dents, et pour cause : sa version de l’histoire. Il faut dire que Le Procès est interprétable de bien des manières.

Pourtant, le réalisateur ne retient que ce qu’on peut trouver de plus superficiel : la bureaucratie, en y ajoutant l’oppression totalitaire d’un Etat tout puissant envers la population, la dictature de « ceux qui savent » sur les ignorants.

Non pas que la chose soit inintéressante, loin de là, mais on peut s’étonner qu’Orson Welles ait été critiqué sur une interprétation somme toute bien prudente, assez consensuelle au vu de ce que certains « analystes » de l’œuvre (les guillemets sont importants) ont réussi à inventer autour de l’intention mystérieuse et à jamais inconnue de Kafka.

On peut être séduit par cette déduction : Kafka montre que l’homme n’est pas libre au sens exact du terme, il ne pourrait donc même pas choisir entre les moyens de parvenir à sa fin. Dans la société, culturelle, traditionnelle, coutumière, il n’y aurait qu’une façon d’être heureux, d’aimer, de vivre, etc. Une seule norme ; ce ne serait pas la première fois que Kafka se penche sur la question d’ailleurs. Pour être adapté à cette société qui dicte la façon d’être heureux, il faudrait donc suivre les voies toutes tracées, « mariage, enfant, mort… papeterie », comme dirait un personnage d’une œuvre toute autre (Art bien sûr !) …

Ainsi, le littéraire qu’est Kafka se sentirait étranger à cette compartimentation, comme d’autres de son espèce, Rostand à travers Cyrano, Baudelaire en décrivant le poète, cet albatros inadapté aux codes de bonne conduite du monde, car souvenez-vous, « ses ailes de géant l’empêchent de marcher ». Pardon de m’avancer avec tant d’effronterie, mais c’est probablement l’explication du Procès la plus tangible.

Car si on retourne à la version Orson Welles, on trouve une accusation de totalitarisme qui est une vraie prise de liberté, tout compte fait, par rapport à l’œuvre initiale. De quel totalitarisme pouvait bien parler Kafka, en effet, quand il écrivait son livre en 1914 ?

Orson Welles n’a donc pas transposé sans réfléchir. Il a monté son Procès, en ajoutant sa vision sur le récit de Kafka. Mais pourquoi donc avoir parlé de prudence à son propos ?

Parce que ce Procès accuse surtout la bureaucratie. Kafka se servait a priori(va savoir) du monde de la justice comme image de son propos. Dans le film, ce n’est tout simplement pas une image, la justice est réellement accusée, corrompue, méchante et tout ce qu’on veut, comme si, pour faire une analogie avec Voltaire à propos du curé et de la religion, c’était l’avocat qui fait le procès, alors que c’est bien sûr le procès qui fait l’avocat. C’est le fait qu’il y ait des litiges qui a rendu nécessaire la profession d’avocat. Les plaideurs ne sont pas venus inventer le litige ! Bref, on peut le dire de plein de façons différentes.
La maigre accusation de la religion est si vite passée par rapport au livre qu’on croirait qu’Orson Welles n’a pas voulu que ce propos le fasse pencher vers le hors-sujet. Allez, un coup au curé, comme il n’est pas juge, enfin pas trop, on passe en vitesse.
Comme quoi, Kafka semble planer bien au-dessus des considérations d’Orson Welles.

Mais ce qu’on ne peut pas enlever au réalisateur, c’est son sacré talent. Orson Welles n’est pas considéré comme un des piliers du 7e Art pour rien, et il nous le prouve. 

Sur le fond, si sa vision est assez superflue en ce qui concerne le parallèle à faire avec le totalitarisme, il n’en reste pas moins que l’histoire est assez bien respectée. Ainsi, à partir du film, on peut tout de même retrouver les hautes tentatives d’explication du livre ; c’est faire, mine de rien, un bel hommage à l’auteur.

Sur la forme ensuite, c’est une démonstration de savoir-faire. Plans larges sur des centaines d’êtres enchaînés à leur machine à écrire, Adagio d’Albinoni en fond ; effets de lumière, d’ombres et de silhouettes ; mystère autour du procès lui-même qui tient en haleine, comme chez Kafka (mais certes un peu moins) ; des acteurs parfaitement choisis…

Orson Welles joue à de nombreuses reprises sur les dimensions du décor, et surtout de son personnage dans ce décor. Ainsi, par la profondeur des champs, la démesure des environnements, l’impression d’écrasement et de monstruosité incompréhensible du système se ressent d’autant plus sur le malheureux. La perception visuelle du spectateur est taquinée par ces tailles étranges, par la fourmilière bureaucratique terrifiante, et par la condition humaine au milieu de tout cela : un simple rouage, qui, inadapté, se jette et se remplace. Cet effet d’étrangeté gênante se prolonge à travers les ruelles, les avenues et les quartiers brumeux d’une ville qui semble déserte, malgré tous les personnages que croise notre héros. Ambiance…

Que dire donc ? Le film est bien vieux (1962), et pourtant, que le défi serait grand de prétendre en refaire un de cette taille. Peut-être en livrant une autre interprétation, plus osée et élevée, de l’étrange récit de Kafka ?