Le Sang des Templiers

Film : Le Sang des Templiers (2011)

Réalisateur : Jonathan English

Acteurs : James Purefoy (Marshall), Paul Giamatti (Le Roi John), Kate Mara (Dame Isabel), Brian Cox (Albany), Derek Jacobi (Cornhill), Jason Flemyng (Beckett), Aneurin Barnard (Guy)

Durée : 02:01:00


Un film de chevalerie d'excellente réalisation, qui usurpe toute qualification d'historique.

Les templiers ont nourri toutes les légendes possibles et imaginables, des arts aux sectes en passant par l'histoire. Mais en l'occurrence, Jonathan English n'a aucune intention de faire une légende. Plaçant son histoire dans le contexte historique de 1215, juste après la signature de la charte Magna Carta, il entend raconter une histoire vraie, celle de quelques mercenaires venus défendre le Château de Rochester contre son propriétaire, le Prince Jean. « Peu de gens savent... » confie la voix off avant de lancer le récit, et le spectateur jubile de savoir, lui.


Il apprend alors que Jean Sans Terre était un odieux tyran, couchant avec les femmes de ses barons et multipliant les injustices. Pour son interprète Paul Giamatti, interrogé dans le dossier de presse, « l’homme que je joue est un peu une version anglo-saxonne de Hitler… C’est un individu contrarié et retors dans une période historique passionnante. » Il découvre (peut-être ?) que les barons, excédés, se sont rebellés pour lui faire signer, contre son gré, une grande charte, intitulée la Magna Carta, qui limitait ses pouvoirs. Il est instruit de ce que l'Église catholique a soutenu la tyrannie contre les barons, contre l'évêque de Cantorbery et, surtout, contre le peuple puisque le baron d'Albany, chef de file de la rébellion, s'insurge au nom du peuple, qu'il défend dans presque chacune de ses phrases.

Il combat aux côtés de ce templier, révolté par les actes du Prince Jean et par le soutien de l'Eglise catholique, homme de conviction et de bravoure, sans peur et sans reproche.


Mais ce que le spectateur ignore, c'est que ce templier n'a jamais existé, comme le baron d'Albany d'ailleurs, que la Magna Carta n'était pas qu'un document défendant la dignité humaine, que Jean Sans Terre n'a jamais couché avec les femmes de ses barons, et que le soutien de l'Église catholique à Jean n'était pas inconditionnel.


Ce qu'on se garde bien de lui dire, c'est que bien loin d'être injuste, l'Église catholique avait excommunié Jean Sans Terre quelques années plus tôt. Celui-ci avait en effet demandé l'aide de Rome face aux évêques, qui n'avaient pas respecté la procédure de nomination de l'évêque de Cantorbery. L'Église n'avait pas manqué de soutenir Jean contre ses propres évêques (!), et favorisé la nomination d'un homme sage, Étienne Langton. Alors que cette décision contentait tout le monde, il a fallu que le roi Jean pique une crise : ce n'était pas son ami qui avait été choisi ! Au bout de quelques temps Rome, voyant que le problème était insoluble tant que Jean Sans Terre, détesté par presque toute l'Angleterre, se comporterait comme un gamin de dix ans, décida de jeter l'interdit sur tout le royaume, pour lui apprendre... Mais le roi, qui ne manquait jamais une occasion de faire n'importe quoi, décida de confisquer les biens du clergé. Innocent III l'excommunia, toujours pour lui apprendre et comme, décidément, il avait une tête à claques, il soutint l'initiative de Philippe Auguste visant à envahir l'Angleterre.

Dans ce contexte, comment peut-on penser que l'Église allait bien gentiment se ranger du côté du pouvoir absolu et contre le clergé de Cantorbéry, comme montré dans le film ? En réalité, la charte qui a été signée était une véritable remise en cause du pouvoir royal, rédigée (en France) par les barons de mauvaise humeur (à fort juste titre : le roi Jean les taxait comme personne et avait la mauvaise habitude de perdre ses batailles contre la France !). De ce fait, le document prévoyait dans sa clause 61 (dite « clause de sécurité ») que soixante-cinq barons pouvaient, à leur convenance, annuler une décision royale, ce qui revenait à faire exploser le royaume d'Angleterre. De plus cette charte, officiellement un contrat signé entre le roi et les barons était, selon tous les droits d'hier et d'aujourd'hui, frappée de nullité, puisque le roi l'avait signée sous la contrainte et la menace (heureusement que la même liberté est nécessaire au mariage et à tous les autres contrats !).

Le film exulte à l'idée que la charte ait finalement été adoptée, pour le plus grand bien des droits de l'homme, mais ce qu'il oublie de dire, là encore, c' est qu'elle le fût sans cette clause !

Par conséquent, bien loin d'être la tyrannique institution dénoncée dans le film, l'Église catholique a historiquement fait preuve de mesure et de retenue, défendant le bon droit pour la paix. Allons Monsieur English, on peut défendre les positions anglicanes sans verser dans le mensonge !


Alors que dire de ce brave templier qui se révolte contre Jean, d'une part, et contre l'Église, d'autre part ?

J'entends déjà les habituels sceptiques mettre en doute la révolte du chevalier contre l'Église, fatigués de devoir déceler dans le film les signes qui détrompent. Hé bien puisque c'est comme ça, laissons parler James Purefroy en personne : « le roi Jean a coupé sa langue avec la bénédiction du Pape. Marshall se range donc ensuite du côté du baron Albany contre l’Église catholique romaine, qui est son Église. » Là... On vous l'avait bien dit ! Alors que dire ?


D'abord qu'il est très charismatique à l'écran. James Purefoy, qui a brillé dans la série Rome, financée par la BBC, incarne un personnage entre Christophe Lambert (pas la version Vercingétorix, de 2001, ne soyez pas insultant !) et Russel Crowe (pas la version Robin des Bois, rassurez-vous, mais plutôt Gladiator, en 2000, ou Master and Commander, en 2003). Ses silences sont particulièrement éloquents, sa virilité tout à fait hors de cause et sa prestance remarquable.


Ensuite qu'il se bat bien. On échappe, fort heureusement, aux combats médiévaux façon Jackie Chan, ce qui donne un aspect vraiment réaliste (donc très violent) au film mais ne verse pas dans la violence gratuite. On doit à ce sujet respecter l'opinion plutôt saine de James Purefroy : « Le côté violent du film naît de son réalisme. J’ai toujours pensé que si vous devez montrer de la violence, il faut la montrer telle qu’elle est. Je ne supporte pas la violence gratuite qui n’enseigne rien. J’espère que les gens, les jeunes hommes en particulier, se diront en regardant cette violence que ce n’est pas une chose dont on sort indemne. »


Enfin qu'il est un bien piètre templier. Car il ne suffit pas de ne pas vouloir manger son cheval pour l'être (affirmée dans le film, cette étrange assertion n'a pu être vérifiée. Nous implorons le lecteur plus savant que nous d'éclairer ce point !). La première chose frappante est que la prière semble totalement absente de sa vie. Or, en plus d'être de sacrés combattants, les frères templiers étaient de véritables religieux, fidèles à leurs voeux.


Mais ce détail peu crédible n'est rien, comparé à la romance absolument abracadabrantesque entre le templier et la châtelaine de Rochester ! Surtout quand on sait qu'Isabel est mariée (à un gros abruti bien entendu, afin que la chose soit un maximum excusable), et que tout se déroule quasiment sous les yeux du mari ! A ce stade du film, on est en droit de se demander si le spectateur est vraiment sensé être aussi crédule ! On est au Moyen-Âge que diable ! Dans un film se voulant réaliste et, mieux, historique, on est en droit d'attendre un peu plus de professionnalisme ! Pourtant il s'en trouve encore qui trouve ça beau. Pour James Purefroy, par exemple, la « situation complexe le rend vulnérable, et cela d’autant plus qu’il tombe amoureux de Dame Isabel. Il essaye de se tenir loin d’elle, mais ne peut nier son amour. C’est un des atouts du film : au-delà des scènes d’action et des batailles époustouflantes, c’est aussi une très belle histoire d’amour. »

Quoiqu'il en soit, voilà la belle Isabel à la poursuite du coeur templier. « Thomas, je ne suis pas un péché ! » susurre- t-elle les larmes aux yeux et la voix tremblante. Croyez-le ou non, il n'en fallait pas beaucoup plus à notre grand bêta pour consommer la donzelle.

C'est tellement dommage ! Il y avait déjà, dans l'équipe qui défendait le château, un bourrin sans foi ni loi, loyal pour ce qu'on en voit et téméraire mais particulièrement sensible aux charmes féminins. Face à lui, ce templier montrait une figure de plus en plus rare au cinéma : celle du boy-scout bien sous tous rapports, fort autant qu'il se peut. Mais cette démonstration de faiblesse (celle de ne pouvoir tenir un engagement) brise le mythe. Peut-être là encore s'agit-il d'une volonté de la part du très anglais John English de vanter les mérites de l'anglicanisme, dans lequel les clercs peuvent prendre épouse ?


Mais sa conception de la chevalerie, en revanche, change un peu des couplets habituels. Au milieu du film, le templier demande à un jeune écuyer qu'il est chargé d'enseigner : « est-il noble de tuer un homme ? » Il ne donne pas la réponse, mais on peut penser qu'il condamne toute tuerie, et son numéro de beau ténébreux solitaire peut laisser imaginer qu'il se sait pécheur parce qu'il tue. « Monumentale erreur ! » dirait Arnold Schwarzenegger en sortant la tête de Last Action Hero (1993) : le templier assume et repose la question à l'écuyer avant la fin du film : « Est-il noble de tuer ? » avant de se répondre « Se battre pour les autres est une vie qui vaut le coup d'être vécue. Ça, c'est une noble cause. »

Cette fois, ce sont les pacifistes qui vont râler !