L'Economie du couple

Film : L'Economie du couple (2015)

Réalisateur : Joachim Lafosse

Acteurs : Bérénice Bejo (Marie), Cédric Kahn (Boris), Marthe Keller (Christine), Catherine Salée (Friend)

Durée : 01:40:00


Faut-il pleurer le grand prince de l’ellipse, Ernst Lubitsch, prestigieux contemporain de Chaplin ? Quelque part, oui, lorsqu’on assiste à des films d’une longueur intersidérale tels que L’économie du couple. Le réalisateur Joachim Lafosse a décidé de vous mettre à table, et vous n’allez rien rater ou presque de la vie ordinaire d’un foyer avec 2 parents qui s’engueulent et deux petites filles qui vont à l’école. L’économie des mots, des situations, des scènes barbantes, connaît pas ! On ne devrait plus se permettre aujourd’hui des films aussi linéaires. « Raccroche le téléphone, s’il te plaît ! – Nan ! – Si ! – Nan ! – Si ! (fois 10) », Joachim tu ne peux pas te permettre ça en 2016 ! En 1916 oui quand les gens découvraient les images en noir et blanc qui s’animent, mais pas en 2016 ! Pas quand les gens payent près de 12 euros aujourd’hui à Paris pour venir te voir, Joachim ! Il existe à présent des techniques de montage pour dynamiser ton scénario, lui donner du relief. La consistance, le relief, oui, manquent à toute cette histoire qui n’est pas mal racontée, loin s’en faut, puisque Bérénice Béjo et Cédric Kahn jouent parfaitement la partition classique du couple au bord de la rupture. Mais le vice est dans le titre lui-même : L’économie du couple. C’est le ‘du’ un poil trop ambitieux qui gâche tout. Celui qui voudrait dire ‘d’un’ et qui dit ‘du’, comme pour annoncer une guerre des clichés devant se terminer par une seule lecture fataliste et systémique du couple : après 15 ans de mariage, il est normal de se séparer. C’est mathématique.

La bien curieuse dépense de banalités

Le film frise ce plantage, parce qu’il rééquilibre de justesse les points de vue. Marie n’est pas qu’une bourgeoise héritière méconnaissant l’effort et n’en faisant qu’à sa tête, elle est aussi une femme qui travaille dur pour mettre de l’argent de côté pour ses enfants. Boris quant à lui n’est pas qu’un populo sans boulot et irresponsable, il est aussi un homme qui compte par sa présence dans le bonheur de ses filles. La richesse n’est pas qu’affaire d’argent, elle est aussi affaire de lectures et de bons sentiments. Oui le film joue la carte de l’émotion, et c’est bien joué. Mais c’est trop peu de tenir ainsi deux heures sur le thème pas franchement nouveau du divorce. Oui on sourit devant nos deux amoureux haineux qui n’ont pas la même monnaie d’échange au moment de partager le bien immobilier dans la perspective d’une séparation : l’euro pour Boris et la plus-value de ses travaux ; la rente parentale pour Marie et son investissement émotionnel. Mais le couple en question est décousu du reste de la société et s’affronte dans un huis clos. Marie a bien des amis vers qui se tourner ainsi que sa mère, mais on ne sait rien d’eux si ce n’est leur positionnement quant aux travaux à réaliser ou au bien à partager. Boris a-t-il une passion autre que de titiller sa femme en colère, à défaut d’avoir un job ? A-t-il un père ? Quel est le métier de Marie ? Qui sont ses amis ? Des questions auxquelles le scénario juge inutile de répondre, parce qu’il est incapable de se projeter en dehors des frontières du réel. Se poser la question du divorce est devenu la norme. Alors il est normal de filmer banalement des gens qui se posent cette question.

L’économie regrettable d’une jolie révolution cinématographique

L’intérêt du cinéma est de dépasser la norme, d’aller voir au-delà. Une bonne question que le film aurait pu poser : pourquoi le divorce serait-il une fatalité ? Pourquoi les enfants resteraient-ils benoîtement muets devant le discours benêt : « si on veut se séparer, c’est pas de votre faute, ça n’a rien à voir avec vous, [et surtout the must] ça change rien pour vous, vous pourrez continuer de nous voir chacun à notre tour ! ». Ouais, hourra, c’est génial ! Pourquoi ne voit-on jamais un gosse se lever et mettre une bonne claque dans la gueule à chacun des deux lourdauds qui disent cette énormité ? Il est où l’esprit révolutionnaire du cinéma ? Tout ce que la Nouvelle Vague a reproché au cinéma familial trop lisse des années 50 se trouve contenu ici en négatif : on nous montre tous les germes de séparation et on nous dit « un couple en 2016, c’est ça, c’est normal » sans jamais remettre en cause le « modèle » ! Bien sûr, la belle-mère est là pour placer judicieusement une réplique contre le fait de jeter son partenaire comme on jette une chaussette, pour rappeler la valeur de l’amitié conjugale permettant de surpasser les reflux de passion. Une honorable note dissonante ne servant que de caution à ce charmant film incertain et trop égal sur la fatigante économie du divorce.