Les Amants passagers

Film : Les Amants passagers (2013)

Réalisateur : Pedro Almodóvar

Acteurs : Javier Cámara (Joserra), Carlos Areces (Fajas), Raúl Arévalo (Ulloa), Lola Dueñas (Bruna)

Durée : 01:30:00


Je ne sais pas si, comme dirait l'autre zig, Dieu est un fumeur de havanes, mais Pedro Almodóvar est, à n'en pas douter, un fumeur de rideaux.

Loufoque, excentrique, mais pas du grand n'importe quoi pour autant. Dans son dossier de presse, notre bonhomme se révèle comme rarement. Rien n'a été laissé au hasard : le rideau qui sépare la première de la seconde classe figure celui du théâtre, les écrans sont des yeux sombres et omniprésents, les couleurs maintiennent l'intérêt et créent une identité du décor... Tout est pensé, pour ce film dans lequel le réalisateur se saisit des caméras numériques pour la première fois.

Sur la forme, l'objectif était donc de créer une screwball comedy moderne, jusque dans les moindres détails.

Sur le fond, Almodóvar n'est jamais inintéressant. La piel que habito, son dernier film, était tourmenté et questionnait la notion d'identité. Celui-ci reste dans le domaine psychologique et réchauffe de façon excentrique un thème bien connu du cinéma : celui de l'attitude devant la mort.

Pour lui cette comédie est « morale. » Pourquoi ? Parce qu'elle entend peindre la nature profonde de l'homme (à grands coups d'alcool et de drogue). En ce sens, on peut dire que cette conception de la morale est proche de la philosophie réaliste, qui conçoit la morale comme la science des actes humains en tant qu'ils sont humains.

Mais Pedro s'arrête au milieu du gué, d'abord parce que la drogue, sans faire changer l'homme de nature, altère ses facultés fondamentales : l'intelligence et la volonté. Or comment prétendre peindre l'homme en lui retirant ses privilèges ?

Ensuite parce qu'une conception descriptive et non prescriptive de la morale enferme celle-ci dans une dimension purement spéculative et donc inutile sous le rapport pratique ou, en termes plus simples : si la morale consiste seulement à montrer l'homme, et non à l'orienter, qu'est-ce qui la distingue du documentaire ?

Cette conception descriptive de la morale se cristallise tout particulièrement sur la notion de catharsis. Comme l'explique Mary-Anne Zagdoun dans son excellente Esthétique d'Aristote, que je recommande à quiconque veut connaître un peu sérieusement la philosophie réaliste, la catharsis est extrêmement difficile à définir. Pour autant, Pedro Almodóvar la voit comme une sorte de purification. Et c'est là qu'on se marre... Parce que l'ami Pedro se saisit de l'occasion pour déclencher une frénésie dans laquelle on distingue péniblement la purification. Voici ce qui distingue encore Aristote le réaliste d'Almodóvar le fumeur. Pour le Philosophe, la catharsis se réalise dans la musique et la tragédie pour un bien supérieur, pour un repos de l'âme qui n'est pas sans lien avec la définition prescriptive, et donc édifiante, de la morale, tandis qu'Almodóvar semble n'y voir qu'un état de relâchement succédant à la transe.

Alors que le Philosophe trouve dans la poésie quelque délectation intellectuelle, le cinéaste peine à s'élever au-dessus de l'état animal. En franchissant la douane du guichet, le spectateur ne se doute alors pas qu'il a pris un ticket pour le royaume du plaisir-roi, où le sexe est Premier Ministre.

Et c'est là que tout bascule. Drôle de timing, puisque Pedro Almodóvar a décidé de sortir son film au moment où la France est troublée par une vigoureuse opposition au projet de mariage et d'adoption pour les couples homosexuels.

Provocation ? Désaveu ? Soutien ? Ironie du hasard ? Difficile à dire, mais une chose est sûre, l'homosexualité est à l'honneur. Le plus drôle, c'est que le film met en danger ce qu'il prêche. A voir ces hommes aux baisers goulus, totalement nombrilistes, enfermés dans leur petits tracas affectifs, dont les manières cachent à grand peine le mal-être, on peut alors légitimement se poser une question cruciale : soit ce genre de personne n'existe que dans la tête d'Almodóvar, qui est alors un odieux fasciste stigmatisant honteusement la communauté homosexuelle par des clichés sexistes et vulgaires ; soit la communauté homosexuelle ne vaut pas mieux que ces couples hétérosexuels égoïstes, tellement tournés vers le plaisir qu'ils en finissent par se déchirer et rendre malheureux ceux qui les fréquentent.

Quoiqu'il en soit assumons notre condition d'hétéro et proclamons bien fort que Blanca Suárez est vraiment superbe !