Décidément, après
Potiche (de François Ozon en 2010), Fabrice Luchini aime jouer les Don Quichotte anti-bourgeois. Il le fait pourtant avec une dextérité nouvelle ! Non que les bourgeois n'existent plus (puisqu'il en fait partie), mais il faut croire que l'être tout en étant à la fois pétainiste, esclavagiste et catholique (ne craignons pas de faire jurer les couleurs) relève aujourd'hui de la prouesse technique !
Qu'à cela ne tienne, continuons à pourfendre l'ennemi en remontant quelques années plus tôt dans le temps, dans cette maison de « bonne famille » où une gentille gouvernante dévouée se fait pousser au départ par une « patronne » peu scrupuleuse. Son mari, gentil, au fond, laisse la chose faire. Conseillé par ses insupportables partenaires de bridge, voilà « Madame » à la recherche de main d'œuvre pas chère, dans
les milieux catholiques espagnols échappés des griffes de Monsieur Franco. C'est ainsi que la jolie Maria débarque au domicile, pimpante, souriante et pleine d'exotisme, qui va de manière très touchante réussir à faire prendre conscience à ces gens « morts » de l'intérieur qu'ils ne connaissent pas la vraie vie, puisqu'ils n'aiment pas. « Pour moi, le film n’est pas tant une critique de la bourgeoisie qu’une découverte émotionnelle et affective » explique Philippe Guay (dossier de presse). Pas tant peut-être mais un peu quand même !... La preuve en est apportée par Philippe Guay lui-même, qui développe une argumentation aussi intéressante que rare au cinéma : « Le film repose sur une utopie : on veut croire que les classes sociales sont poreuses et que le "bourgeois" peut s’installer au sixième étage, chez les « bonnes ». Mais cette utopie est refusée par les deux côtés, par les bourgeois pour qui c’est un
scandale, mais aussi par les domestiques. Carmen, jouée par Lola Dueñas, croit à la lutte des classes, elle vient demander à monsieur Joubert de rester à sa place. D’une autre façon, Concepcion (Carmen Maura) va faire tout ce qu’elle peut pour empêcher la relation entre Maria et Jean-Louis. Même si elle ne le formule pas, Concepcion refuse violemment cette utopie amoureuse. Elle croit au principe de réalité. »
Les deux enfants du couple sont quant à eux représentés comme des graines de « fachos ». Placés dans un pensionnat catholique, dont le professeur de français estime que ceux qui ne travaillent pas de leurs mains sont des parasites, et dont le directeur, un certain père Basile, qualifie De Gaulle de
dégénéré, ils sont arrogants et méprisants. On essaie de les faire passer pour jeunes et obtus d'esprit, mais ils ont néanmoins des réactions (voulues ?) saines : ils s'indignent que leurs parents renvoient la bonne qui étaient en fin de compte leur vraie mère, et rappelle leur père à son devoir quand il veut quitter la maison et sa femme pour suivre Maria.
Bien évidemment les femmes espagnoles, parquées dans des chambres de bonnes insalubres, sont toujours gaies, très pieuses (ce qui n'empêche pas Maria de coucher avec Jean-Louis), courageuses... et exploitées ! Elles n'aiment pas leurs patrons, mais s'en accommodent. L'une d'elle, Carmen, revancharde contre Franco et les « patrons, » vend
L'Humanité sur le parvis des églises, ce qui déclenche avec ses amies des affrontements qui ne sauraient entamer leur amitié. Elles accueillent Jean-Louis avec un grand dévouement. Pour Philippe Guay, interrogé dans le dossier de presse : « j’ai réalisé que Jean-Louis est un homme qui n’a jamais été aimé. Il le dit en passant à propos de sa mère, "ma mère n’a jamais aimé personne". Et voilà que ces femmes du sixième étage le prennent dans leurs bras, l’embrassent, le soignent. C’est un enfant qui trouve des femmes protectrices, des mères de substitution. »
Il y a dans l'analyse du couple une certaine finesse qu'il faut savoir reconnaître. Le couple est bien
mort de l'intérieur, rongé par les mondanités et l'égoïsme. La jeune Maria est à cet égard une concurrente déloyale pour l'épouse, incarné par une Sandrine Klein qui avait déjà tourné avec Fabrice Luchini dans Rien sur Robert (de Pascal Bonitzer, en 1999). « Jean-Louis Joubert découvre une communauté, une autre culture fait irruption dans sa vie. Il est dérangé, troublé, et finalement séduit… » (Philippe Le Guay, in Dossier de presse) Pourtant le renouveau serait vraiment possible : la femme finit vraiment par comprendre son immaturité, et la passion qu'elle se met à nourrir pour son mari augure de bien meilleures relations. Maria en a probablement conscience et, même si elle finit par céder aux avances de Jean-Louis, essaie de le remettre dans le droit chemin. Rien n'y fait. Sous ses apparences joviales et sa volonté de faire du bien, il est en fait obstiné et s'accroche à son amour, sans aucun souci de sa femme et de
ses enfants. Personne n'est donc étonné qu'il divorce pour partir à la recherche de Maria.
Mais la passion apaisée, comment garantir qu'il sera suffisamment fort pour tenir une belle relation ? Son casier sentimental n'est pas vierge...
Raphaël Jodeau
Décidément, après
Potiche (de François Ozon en 2010), Fabrice Luchini aime jouer les Don Quichotte anti-bourgeois. Il le fait pourtant avec une dextérité nouvelle ! Non que les bourgeois n'existent plus (puisqu'il en fait partie), mais il faut croire que l'être tout en étant à la fois pétainiste, esclavagiste et catholique (ne craignons pas de faire jurer les couleurs) relève aujourd'hui de la prouesse technique !
Qu'à cela ne tienne, continuons à pourfendre l'ennemi en remontant quelques années plus tôt dans le temps, dans cette maison de « bonne famille » où une gentille gouvernante dévouée se fait pousser au départ par une « patronne » peu scrupuleuse. Son mari, gentil, au fond, laisse la chose faire. Conseillé par ses insupportables partenaires de bridge, voilà « Madame » à la recherche de main d'œuvre pas chère, dans
les milieux catholiques espagnols échappés des griffes de Monsieur Franco. C'est ainsi que la jolie Maria débarque au domicile, pimpante, souriante et pleine d'exotisme, qui va de manière très touchante réussir à faire prendre conscience à ces gens « morts » de l'intérieur qu'ils ne connaissent pas la vraie vie, puisqu'ils n'aiment pas. « Pour moi, le film n’est pas tant une critique de la bourgeoisie qu’une découverte émotionnelle et affective » explique Philippe Guay (dossier de presse). Pas tant peut-être mais un peu quand même !... La preuve en est apportée par Philippe Guay lui-même, qui développe une argumentation aussi intéressante que rare au cinéma : « Le film repose sur une utopie : on veut croire que les classes sociales sont poreuses et que le "bourgeois" peut s’installer au sixième étage, chez les « bonnes ». Mais cette utopie est refusée par les deux côtés, par les bourgeois pour qui c’est un
scandale, mais aussi par les domestiques. Carmen, jouée par Lola Dueñas, croit à la lutte des classes, elle vient demander à monsieur Joubert de rester à sa place. D’une autre façon, Concepcion (Carmen Maura) va faire tout ce qu’elle peut pour empêcher la relation entre Maria et Jean-Louis. Même si elle ne le formule pas, Concepcion refuse violemment cette utopie amoureuse. Elle croit au principe de réalité. »
Les deux enfants du couple sont quant à eux représentés comme des graines de « fachos ». Placés dans un pensionnat catholique, dont le professeur de français estime que ceux qui ne travaillent pas de leurs mains sont des parasites, et dont le directeur, un certain père Basile, qualifie De Gaulle de
dégénéré, ils sont arrogants et méprisants. On essaie de les faire passer pour jeunes et obtus d'esprit, mais ils ont néanmoins des réactions (voulues ?) saines : ils s'indignent que leurs parents renvoient la bonne qui étaient en fin de compte leur vraie mère, et rappelle leur père à son devoir quand il veut quitter la maison et sa femme pour suivre Maria.
Bien évidemment les femmes espagnoles, parquées dans des chambres de bonnes insalubres, sont toujours gaies, très pieuses (ce qui n'empêche pas Maria de coucher avec Jean-Louis), courageuses... et exploitées ! Elles n'aiment pas leurs patrons, mais s'en accommodent. L'une d'elle, Carmen, revancharde contre Franco et les « patrons, » vend
L'Humanité sur le parvis des églises, ce qui déclenche avec ses amies des affrontements qui ne sauraient entamer leur amitié. Elles accueillent Jean-Louis avec un grand dévouement. Pour Philippe Guay, interrogé dans le dossier de presse : « j’ai réalisé que Jean-Louis est un homme qui n’a jamais été aimé. Il le dit en passant à propos de sa mère, "ma mère n’a jamais aimé personne". Et voilà que ces femmes du sixième étage le prennent dans leurs bras, l’embrassent, le soignent. C’est un enfant qui trouve des femmes protectrices, des mères de substitution. »
Il y a dans l'analyse du couple une certaine finesse qu'il faut savoir reconnaître. Le couple est bien
mort de l'intérieur, rongé par les mondanités et l'égoïsme. La jeune Maria est à cet égard une concurrente déloyale pour l'épouse, incarné par une Sandrine Klein qui avait déjà tourné avec Fabrice Luchini dans Rien sur Robert (de Pascal Bonitzer, en 1999). « Jean-Louis Joubert découvre une communauté, une autre culture fait irruption dans sa vie. Il est dérangé, troublé, et finalement séduit… » (Philippe Le Guay, in Dossier de presse) Pourtant le renouveau serait vraiment possible : la femme finit vraiment par comprendre son immaturité, et la passion qu'elle se met à nourrir pour son mari augure de bien meilleures relations. Maria en a probablement conscience et, même si elle finit par céder aux avances de Jean-Louis, essaie de le remettre dans le droit chemin. Rien n'y fait. Sous ses apparences joviales et sa volonté de faire du bien, il est en fait obstiné et s'accroche à son amour, sans aucun souci de sa femme et de
ses enfants. Personne n'est donc étonné qu'il divorce pour partir à la recherche de Maria.
Mais la passion apaisée, comment garantir qu'il sera suffisamment fort pour tenir une belle relation ? Son casier sentimental n'est pas vierge...
Raphaël Jodeau