Les Marches du Pouvoir

Film : Les Marches du Pouvoir (2011)

Réalisateur : George Clooney

Acteurs : Ryan Gosling (Stephen Myers), George Clooney (Gouverneur Mike Morris), Philip Seymour Hoffman (Paul Zara), Paul Giamatti (Tom Duffy)

Durée : 01:35:00


Un film politique très bien construit, qui traite douloureusement de la politique vue de l'intérieur, du suicide et de l'avortement, et tisse une intrigue où les hommes et les femmes s'enlisent par leur faute.

Ha la politique ! Ses rebondissements, ses dessous en dentelle, ses trahisons, ses duperies ! Y' a t-il matière plus propice à intrigues ? Le cinéma s'est saisi maintes fois de la question : Les hommes du président d'Alan J. Pakula en 1976, JFK d'Oliver Stone en 1991, Des hommes d'influence, de Barry Levinson en 1997, ou Jeux de pouvoirs de Kevin MacDonald en 2009, pour n'en citer que quelques uns qui ont marqué le genre.

Tiré d'une pièce intitulée Farragut North, de Beau Willimon en 2004, Les marches du pouvoir est un film qui emprunte à tous. Réalisé de façon très sobre, il suit les déboires puis la victoire d'un
jeune homme intelligent qui gravit les échelons de la politique à force de magouilles et de chantages. Bien que mis en difficulté par les requins qui gravitent autour de lui, il donnera du croc au mépris des existences humaines et de toute noblesse d'âme.

Ce type est un pourri, disons-le nettement. Il couche avec une stagiaire, qui lui confie un secret très intime (elle est enceinte du gouverneur), qu'il utilise contre le dit gouverneur, ce qui a pour effet de pousser la jeune fille (à laquelle il a financé son avortement) au suicide. Entre temps, il aura même trahi son camp politique, en se mettant en rapport directement avec le directeur de la campagne adverse.

Lorsque son patron, modèle d'intégrité et de loyauté, le licencie, il n'entend rien. Ces notions lui sont parfaitement étrangères.

Le film
dresse donc un constat noir et cynique : pour réussir il faut mal agir. La fin (le bien commun) justifie tous les moyens (le mensonge, la trahison, la violence...). « J’ai travaillé sur plusieurs campagnes politiques, raconte le romancier Beau Willimon et la pièce s’inspire de ce que j’ai vécu et ce dont j’ai été témoin dans ce milieu. Les personnages sont des amalgames de centaines de personnes que j’ai rencontrées, mais tout ce qui est mentionné dans la pièce – et dans le film dans une large mesure – en termes de violation des lois, de manipulation du processus démocratique, d’accords en coulisses et de jeux de pouvoir est absolument vrai. Voir comment les politiciens manipulent le système pour gagner le droit d’occuper le bureau ovale est effrayant. Si vous vous contentez d’être comp&
eacute;tent et de jouer loyalement, vous n’avez strictement aucune chance de devenir président. »

Mais cette piteuse attitude des politiques est-elle aussi inéluctable que le film le laisse entendre ? Les différents protagonistes auraient-ils pu garder leur intégrité dans les conditions tissées par le scénario ?

Beaucoup plus développé que dans la pièce d'origine, le gouverneur, incarné par un Georges Clooney résolument démocrate dans la vie réelle, a commis une faute : il a engrossé une stagiaire. Un homme politique, marié de surcroît, est-il forcé de soulever les jupons qui virevoltent volontiers autour de lui ? Pas le moins du monde, évidemment. De plus le consentement de la jeune fille est en l'occurrence plus que douteux, ce qui
suppose le viol par abus d'autorité. Comme l'explique Georges Clooney, cet acte tranche avec son air de premier de la classe : « dans le film, le candidat Morris est devenu un véritable personnage, alors qu’il n’apparaît jamais dans la pièce. Nous avons imaginé un personnage en qui Stephen et tous les autres pourraient avoir foi, et qui se révèle peu à peu. Au début il semble innocent et honorable, mais ses compromis et ses agissements vont faire apparaître d’autres facettes… »

Une fois ce crime commis la situation est devenue, par sa faute rappelons-le, extrêmement tendue pour lui. Non seulement il a couché avec une stagiaire, mais elle est de plus enceinte et catholique. Plus encore, elle est la fille d'un de ses pairs.

Cette faute coûte très cher. Une fois découverte par un ma&
icirc;tre-chanteur comme Stephen, elle signifie la mort de la carrière politique. Sauf s'il parvient à acheter son silence, bien sûr ! Pour cela, il va licencier son fidèle et intègre directeur de campagne pour confier son poste à ce petit coq. Non seulement promouvoir un pourri est une aberration (puisque c'est augmenter la capacité de nuisance d'un homme mauvais) mais c'est de plus une faute stratégique (le jeune homme est tellement arriviste qu'il peut lui claquer entre les doigts à tout moment).

Il aurait fallu au gouverneur un courage hors du commun pour refuser de mal agir en abandonnant sa carrière politique. Il ne l'a pas eu.

Malgré sa faute, il aurait pourtant pu rester intègre et droit.

Stephen quant à lui a brisé une règle de campagne él&
eacute;mentaire (bien que le film n'explique pas suffisamment son importance) : il a rencontré l'ennemi en secret. Il a donc commis une faute en n'étant pas loyal à l'égard de son patron. « Le film est centré sur le personnage de Ryan, explique George Clooney. Il est là du début à la fin du film, il est dans toutes les scènes. Au début, il apparaît comme un garçon intelligent, le meilleur dans ce qu’il fait, toujours au top, celui que tout le monde veut avoir avec lui. À la fin du film, il ne reste pas grand-chose de son idéalisme mais il est encore meilleur dans son travail qu’il ne l’était avant – cela lui a coûté son âme. » Une fois ce secret éventé il aurait pu, c'est bien dit dans le film, prendre acte de son licenciement et prendre un poste de consultant
très bien payé. Mais il va comme le gouverneur ajouter à sa faute originelle les nouvelles magouilles que l'on sait : chantage à l'égard du gouverneur, au mépris de l'intimité de la jeune fille qui finira par se suicider.

Celle-ci a été victime d'un viol, selon toute probabilité. Pourquoi n'en avoir pas parlé à son père ? Parce qu'il est catholique ? Une telle réponse serait hors de propos : d'abord les rares fois où l'on voit son père (que tout le monde aime visiblement traiter de « connard » pour une raison qu'on ignore), celui-ci se comporte de façon tout à fait saine. Il est d'ailleurs profondément meurtri par la mort de sa fille ; mais de plus on voit mal comment on pourrait reprocher à une jeune fille de s'être fait violer !
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Ainsi la situation de son père et son argent aurait pu accueillir la nouvelle petite vie qui n'avait rien demandé à personne, mais la jeune fille choisit de se faire avorter, essaie de se remettre en contact avec le gouverneur pour obtenir la somme d'argent (qu'elle obtient finalement de Stephen, qui tape dans la caisse du parti pour ça - on n'est pas à une bêtise près), et se met ainsi dans une situation de très grande détresse. Une fois que Stephen laisse entendre qu'il va révéler le pot aux roses, elle se suicide.

Rien qu'à étudier ces trois personnages, on comprend donc qu'ils se fourrent eux-mêmes dans des situations catastrophiques (sauf évidemment pour la jeune fille sur laquelle plane un doute), qu'ils tentent de rattraper en étant chaque fois un peu plus endurcis, un peu plus mauvais,
un peu plus pourris.

Comme l'explique très bien le producteur Brian Oliver : « le film parle concrètement de ce que les gens font ou sont capables de faire pour obtenir ce qu’il veulent et satisfaire leurs ambitions. Le film aborde aussi le prix de ces comportements… »

Or le film fait passer ces comportements comme étant normaux en politique. C'est certainement un fait, mais ce n'est en aucun cas une fatalité. Il suffit que chacun ait le courage de tirer les conséquences de ses fautes pour que l'intégrité demeure sauve, et la politique sainement menée. Or, dans le film, le seul qui est intègre est celui qui se fait écarter. « Je ne pense pas que Paul soit vraiment un mauvais bougre, témoigne Philip Seymour Hoffman,
même s’il peut devenir méchant si vous lui marchez sur les pieds. La loyauté est une chose très importante pour lui. À ses yeux, la seule façon de survivre en politique est de rester fidèle aux gens avec qui vous faites équipe. Paul croit beaucoup à cela. Du coup, c’est le genre de type qui finit par se faire avoir. »

Est-il pour autant le perdant de l'histoire ? Il est le seul qui a marché droit tout en gardant la face. Il est le gagnant. La chute des autres n'est plus qu'une question de temps...