Les Noces rebelles

Film : Les Noces rebelles (2008)

Réalisateur : Sam Mendes

Acteurs : Kate Winslet (April Wheeler), Leonardo DiCaprio (Frank Wheeler), Michael Shannon (John Givings), Kathryn Hahn (Milly Campbell)

Durée : 02:05:00


Les « Noces rebelles » se veulent l’envers du rêve américain des années 1950, alors très réalisable : un modèle familial stable, avec un travail régulier pour le père, une mère au foyer qui s’occupe des deux ou trois enfants et assure l’entretien d’une maison confortable avec jardin. Les deux personnages principaux, incarnés avec talent  par les deux acteurs très connus Kate Winslet et Leonardo di Caprio, inversent leur couple mythique du film « Titanic », qui se voulait l’image même du romantisme.

Dans ce film, ils interprètent la destruction d’un amour, d’un couple, offrent l’anti-comédie romantique. Le film propose en particulier une mise en abîme du jeu de l’actrice : Kate Winslet interprète une mauvaise actrice, qui surjoue, passe de nombreuses auditions pour n’être guère sinon jamais retenue, y compris par des théâtres modestes, et s’illusionne longtemps sur son propre talent. Leonardo di Caprio au début du film lors des scènes de séduction surjoue lui aussi son rôle, à priori attendu, de charmeur irrésistible; or il interprète, volontairement de façon maladroite, le menteur qui promet la lune, ou du moins une aventure inoubliable, pour parvenir à ses fins.

Le réalisateur reconstitue le début de tant de films des années 1950 : un homme et une femme, perdus dans une foule, ici celle d’un vaste bar, se rencontrent, se distinguent. Dans ce prologue trop convenu en apparence, il y a lieu de voir une dimension ironique, au départ un minimum subtile, prolongée par les étapes rapides, résumées en quelques minutes, de la formation d’un couple, avec pour fausse conclusion rapide et morale, un mariage. Or, en fait, le début du naufrage des personnages commence à cette union officielle, et s’aggrave après les naissances des deux enfants, ce qui renverse complètement les schémas attendus. La reconstitution d’époque a été menée avec soin, au niveau des costumes, des décors, des bars des centres-villes aux immenses banlieues pavillonnaires. Le jeune couple, pourtant pas particulièrement riche, acquière rapidement une grande maison au cœur d’un vaste jardin, une forme de concrétisation d’un rêve américain réduit, matérialiste, alors très accessible. Remarquons, sans nier la superficialité et le vide moral d’une telle aspiration, que ce rêve, pas illégitime en soi, s’est considérablement éloigné depuis pour les classes laborieuses, et que la critique sociale sur ce point peut susciter une forme d’irritation par son caractère facile sinon déplacé après tant d’expulsions de leurs logements de plusieurs millions d’Américains après 2008.

Le départ faussement joyeux du couple s’accomplit dans des lumières plutôt vives, y compris, inversion voulue dans les scènes de nuit, dans les bars : en effet, la vive clarté se rencontre la nuit, et l’obscurité le jour. La reconstitution, outre les tons éclatants à la mode dans certains bars des années 1950, dont la couleur constituait justement un argument commercial en soi pour attirer le public. Cette luminosité éclatante part des lumières des bars et se reflète dans le visage très maquillé de Kate Winslet, en particulier son rouge à lèvres très vif… Les hommes restent conformes à l’élégance de l’époque, portant des costumes plutôt sobres aux plis impeccables, et les chapeaux, accessoires masculins indispensables et communs alors, aujourd’hui dandysme singulier.

Dans sa démarche cinématographique, le réalisateur Sam Mendes, se veut explicitement, destructeur de « mythes », comme l’armée –« Jarhead »(2005)- James Bond« Skyfall » (2012), ou ici la famille américaine, travail déjà accompli dans « American Beauty », par ailleurs beaucoup plus malsain. Sur le plan personnel, il a été marié avec l’actrice principale Kate Winslet de 2003 à 2010, et a pu s’inspirer de son vécu de la destruction d’un couple, le divorce advenant l’année suivant le tournage en 2009. Le film permet de réfléchir sur la nécessaire maturité pour fonder un couple ou une famille : la femme rêve obstinément de devenir actrice, l’homme de vivre en France, d’après des souvenirs de service militaire, mais sans projet professionnel concret. Ils développent une forme de schizophrénie, chacun séparément, jusqu’au drame, entre une volonté persistante de normalité, de responsabilité dans les comportements, et des aspirations puériles obstinées. Le couple, formé sur les fausses promesses d’une passion éphémère se délite progressivement. Les couleurs du film, très vives, sinon criardes, particulièrement de nuit, basculent dans des tons à dominantes sombres, des teintes grises systématiques de plus en plus présentes, en particulier dans les scènes de jour. Le spectateur en oublie la dimension vaste de la demeure, du jardin, devient sensible à l’atmosphère oppressive rendue visible par ce procédé. A certains instants, l’œuvre ne semble pas loin du quasi-fantastique avec la tentation pour l’épouse d’une forme de folie autodestructrice. Les personnages secondaires, collègues de travail de l’époux, voisines, actrices pour l’épouse, ou enfants pour les deux, se limitent tout au plus à des prétextes chargés de faire avancer l’intrigue, indiquent au fil des dialogues l’évolution des états du couple central. L’intrigue est resserrée sur le naufrage du couple.

En effet, le mari et la femme, progressivement, n’arrivent plus à communiquer. L’épouse en particulier s’enferme dans un refus de tout échange véritable avant de sombrer. Au contraire, tardivement le mari multiplie les efforts, de maturité professionnelle, et d’écoute de sa femme, qu’il aime encore comme au premier jour, et qu’il sent sombrer, témoin impuissant, tenté par la violence pour manifester son désespoir, sans y succomber vraiment. Les deux s’avèrent contradictoires, entre la promesse d’un séjour en France, curieux paradis terrestre inattendu, et l’authentique responsabilité imposant de garder un travail de bureau aux États-Unis pour assurer l’entretien de la famille. Jusqu’au bout, le réalisateur renverse les codes des années 1950 sur les comédies de couple, avec la fausse-fin et solution d’un troisième enfant, accident inattendu et un temps semble-t-il accepté. Il achèverait de responsabiliser le père, et occuperait la mère par les soins permanents à donner à un bébé, selon une morale traditionnelle qui paraît, durant quelques minutes du film, s’imposer. La chute n’en est que plus rude. Brusquement la mère accomplit un avortement artisanal, qui comporte une claire dimension suicidaire. Le couple aurait eu les moyens d’une clinique semi-clandestine d’alors, infiniment plus « sûre » pour la vie de la mère. Cet acte, assez détaillé techniquement, le percement du bas-ventre par un tuyau d’arrosage - détail atroce pour le spectateur sensible- en une scène d'extérieur, accompli symboliquement devant la porte de la maison de la famille, dans une atmosphère sombre à la lumière très étudiée, au soleil, mirage du bonheur, systématiquement caché par le feuillage, la fait effectivement mourir. L’enjeu moral de l’avortement n’est absolument pas présenté ; ou, pire peut-être, considéré comme un acte évident à accomplir, mais « proprement ». La philosophie profonde de l’œuvre relève plutôt d’un nihilisme pessimiste que de tout idéal individualiste teinté ou non de féminisme.

S’il présente des qualités formelles, par le jeu des couleurs, ou sa narration centrée sur le couple principal, cœur du sujet, le film est à considérer comme une œuvre inscrite explicitement dans l’entreprise de destruction de la famille traditionnelle. Toutefois, il peut aider à réfléchir sur l’incommunicabilité croissante qui peut ravager bien des couples, la femme s’enfermant dans un mutisme, avec des tendances morbides puis suicidaires, l’homme dans l’incompréhension, oscillant entre flatterie amoureuse impuissante, peu crédible, et crise nerveuse, sinon violente, absolument contre-productive.