Les Petits mouchoirs

Film : Les Petits mouchoirs (2010)

Réalisateur : Guillaume Canet

Acteurs : François Cluzet (Max Cantara), Marion Cotillard (Marie), Benoît Magimel (Vincent Ribaud), Gilles Lellouche (Eric), Jean Dujardin (Ludo), Laurent Lafitte (Antoine), Valérie Bonneton (Véronique Cantara...

Durée : 02:34:00


Un film sur l'amitié bien réalisé et excellemment interprété, qui passe du rire aux larmes avec une dextérité rare et approfondit brillamment des questions propres au sens de la vie.

Guillaume Canet l'a dit : il est fier de son film, et cette satisfaction du travail bien fait est méritée. Il s'est en effet offert un espace où il a pu magistralement déployer tout son talent.

D'abord le casting est excellent. De Jean Dujardin à François Cluzet en passant par Joël Dupuch (véritable ostréiculteur dans la vie réelle), chacun des acteurs interprète son rôle avec une précision extrême. Chirurgiens du coeur aux scalpels tout en expression, ils s'activent dans un ballet hypnotisant pour devenir finalement musiciens de l'âme, parcourant de leur jeu expert toutes les notes de la gamme humaine. Qu'ils pleurent et la salle sanglote, qu'ils rient et elle s'esclaffe. Le spectateur qui
voudrait fuir l'histoire ne le peut pas : il en est l'acteur et les traits de caractères des personnages sont aussi les siens : la colère, la haine, l'affection, l'amitié... Peu échapperont à l'identification.

L'histoire, à la différence du scénario, est pourtant simple. L'accident grave d'un homme et la réaction de ses amis, qui se résignent à passer des vacances sans lui.

Parfait reflet d'une société hypocrite qui sacrifie l'être au paraître, ce groupe d'amis croit s'aimer mais se ment, croit s'aider mais se perd, comme le rappelle Joël Dupuch, alias
Jean-Louis, dans un numéro d'acteur époustouflant. En dénonçant les artifices, il devient la voix du réalisateur.

François Cluzet, qui s'est entre autres illustré dans l'excellent Association de malfaiteurs (en 1987) et qui a déjà tourné en 2006 sous la direction de Guillaume Canet, incarne Max, un homme en apparence sûr de lui mais en réalité très fragile, que la situation va révéler tel qu'il est.

De son côté, en incarnant Marie, Marion Cotillard joue avec son corps pour mieux tromper son coeur. Incapable d'aimer un homme pour ce qu'il est, le
drame qu'elle vit l'invite à repousser brutalement les questions sur le sens de sa vie, par peur des réponses, mais la réalité la rattrape sans pitié. Elle est le pendant féminin d'Éric, admirablement joué par Gilles Lellouche, récemment à l'honneur dans Krach. Tous deux en effet ne comprennent pas pourquoi leurs relations sont sans lendemain, alors qu'ils fuient prestement la moindre responsabilité. Parfaits représentants de l' « adulescence, » chère à Tony Anatrella, ils projettent leur coeur faussement libre où bon leur semble et peinent à en assumer les frais.

Vincent, incarné par Benoît Magimel, est victime de sa grande sensibilité. Il se sent homosexuel sans vouloir l'
accepter, ce qui permet au passage un couplet politiquement correct sur l'homosexualité (tout propos contraire serait de toute façon tombé sous le coup de la loi française), pendant que sa femme traîne sur les sites Internet pornographiques, ce qui donne droit à une scène trioliste particulièrement crue (comme il est dommage de restreindre son public à ce point, quand on a quelque chose à dire !). Quand il avoue à Max son attirance pour lui, celui-ci ne l'accepte pas du tout, ce qui donne lieu à des scènes particulièrement cocasses. Toute la question pour les deux hommes va être de savoir gérer leur amitié dans ce contexte. Dur dur, d'autant que Max ne va pas chercher à aider Vincent : il va instaurer une ligne de démarcation brutale et sans appel. Si d'ailleurs il voulait le soutenir, l'aiderait-il à assumer sa vie de couple et sa paternité, ou partirait-
il du principe que Vincent étant homosexuel, il faut accepter cet état de fait quelles que soient les conséquences sur sa femme et ses enfants ? Guillaume Canet n'y répond pas directement.

Antoine, incarné par Laurent Lafitte, est à la fois effacé et accaparant. D'un côté il ne dit pas un mot plus haut que l'autre, et de l'autre il sollicite en permanence l'avis de ses amis sur ce qu'il n'ose pas affronter : son propre rejet par son ex-compagne. Comme les adolescents une fois encore, il ne profite pas du moment présent mais s'enferme en pianotant sur son téléphone portable, essayant d'interpréter les moindres mots que Juliette lui envoie.

Il ressort de tout cela un film sur le mensonge. Chacun cache des choses à l'autre ou à soi-même, et lorsqu'une chose est dite (la déclaration de Vincent à Max par exemple), elle provoque de telles conséquences qu'on comprend pourquoi tout le monde se taisait. De ce fait, cette histoire est celle d'un groupe d'amis dont les faux-semblants volent en éclat et qui finissent par se voir tels qu'ils sont. Qu'il faille parler et se dire les choses, c'est le message principal du film. Qu'il soit nécessaire d'accepter ce que l'autre doit dire, c'est le deuxième volet. Mais pour autant, et cette précision est fondamentale, Guillaume Canet ne tombe pas dans le déballage, tellement à la mode aujourd'hui. Rien ne conteste le droit à l'existence d'un jardin secret, rien ne donne le droit au viol des conscience par la transparence absolue, ou à l'
exhibitionnisme malvenu du moindre sentiment intérieur. Tout ce qui est vraiment personnel est dit à de vrais amis, fort éloignés de l'amitié holographique des réseaux sociaux sur Internet.

C'est le deuxième message du film : l'amitié. D'un point de vue purement artistique d'abord, cette amitié est un terrain pratique pour l'expression des sentiments. Alors que beaucoup de cinéastes, confondant le cinéma et la littérature, et de ce fait complexés, entendent montrer les mouvements de l'âme à l'aide de plans interminables et ennuyeux, l'amitié est un excellent prétexte pour expliquer ses sentiments. Les mots reprennent leurs droits, qui peuvent seuls exprimer avec suffisamment de justesse les tourments inté
rieurs. Dans les conversations, à table ou au téléphone comme dans n'importe quel lieu, les amis apprennent à se parler avec profondeur. Ainsi lorsque Éric et Antoine discutent, le premier va exprimer son incompréhension. Il ne comprend pas pourquoi il ne connaît pas un amour dont il sait néanmoins qu'il le sabote chaque fois de manière plus ou moins consciente. Ce partage spirituel caractérise l'amitié. Il ne s'agit plus de simplement passer un moment agréable, ou d'utiliser ses relations pour quelque avantage éphémère. Il s'agit de gratter le fond de sa vie, d'aborder les questions existentielles qui ont bâti l'histoire de la philosophie. Il s'agit de passer de la relation au copain, puis du copain à l'ami. Un ami qui rend meilleur et plus heureux, un vrai ami.