Les Voies du destin

Film : Les Voies du destin (2013)

Réalisateur : Jonathan Teplitzky

Acteurs : Colin Firth (Eric Lomax), Nicole Kidman (Patti Lomax), Jeremy Irvine (Eric Lomax jeune), Stellan Skarsgård (Finlay)

Durée : 01:56:00


Hé oui ! Ça arrive ! Au milieu des bangs-bangs, des gouzis-gouzis, des slurps, de la propagande idéologique que charrie avec lui le cinéma, il arrive qu'un film prenne le contre-pied de l'hystérie collective et prenne le temps d'aborder les questions essentielles.

Il faut avouer que ça fait tout drôle… On s'était à peu près habitués aux films de Terrence Malik, plongés dans une inquiète quiétude, on a appris à s'accoutumer aux films contemplatifs de tous poils, qui contrastent avec notre quotidien pressé, on avait même résolu d'aller goûter de temps en temps la lenteur d'un film français en se jurant de ne pas trop y déprimer, mais un film tiré de l'autobiographie de l'écossais Éric Lomax, qui fait la promotion du pardon, revendique l'espérance et rappelle la définition de l'honneur, qui exhale un sacrifice courageux et s'affranchit des habituelles douleurs de la persécution nazie, voilà de quoi énerver toute l'intelligentsia française, la critique n'ayant pas eu assez de poignards pour exécuter le film !

Sur la forme, celui-ci n'est pas extraordinaire. L'exploitation de l'espace filmique est assez conventionnelle, même si les plans d’ensemble ou larges trahissent une authentique recherche d'esthétisme et empruntent à la nature thaïlandaise sa beauté, pour mieux trancher avec les drames terribles qui s'y déroulent. La mer quant à elle, symbole de l'infinie puissance, accompagne dans le film l'amour et la sérénité recouvrée. Un peu facile, nous dira-t-on. Certes, mais la formule continue de faire mouche, alors pourquoi s'en priver ? D'autant que les décors sont chargés d'histoire, puisque le film a été tourné sur les lieux réels, à Edimbourg en compagnie du vrai Éric Lomax, malheureusement décédé pendant le montage, et dans la « vallée ferrée de la mort ».

Les rôles, portés par l'Américaine Nicole Kidman, le très British Colin Firth (Orgueil et préjugés, Le discours d'un roi), l'attachant Suédois Stellan John Skarsgård et le Japonais Hiroyuki Sanada, sont à la mesure de l'ambition scénaristique. Ils sont authentiques, sincères et, pour tout dire, brillants.

Mais c'est bien plus sur le fond que le film acquiert ses lettres de noblesse. Dans une époque où la loi du talion a remplacé la charité dans les meilleurs milieux, dans un temps où les victimes n'ont de cesse de traquer leurs bourreaux, au moment où la vie sociale est partout la proie des conflits d'intérêt de toute nature, quoi de plus édifiant que de s'interroger sur ce qui pousse un homme qui a toutes les raisons de se venger à pardonner « totalement » ?

Tiré d'une histoire vraie, ce pardon paraîtra naïf aux âmes désenchantées, mais il a bien eu lieu, et le film s'emploie à en dénuder les racines : le temps d'abord, nécessaire à la cicatrisation, l'affection d'une épouse ensuite, baume rédempteur, la foi, qui transcende tout le reste. Le scénario se sort donc habilement d'une mauvaise posture : comment faire un film plein d'espoir sur une histoire aussi noire ?

La règle du jeu est la suivante : en parcourant la vie de cet homme tourmenté, le spectateur doit choisir. Qu'aurait-il fait ? Se serait-il offert à la place des autres prisonniers, aurait-il vécu normalement après sa libération, se serait-il vengé, se serait-il dégonflé, ou aurait-il pardonné ? Et plus conventionnellement, au-delà de la souffrance d'un seul homme, c'est la rituelle question que posait Hannah Arendt au sujet des horreurs nazies : comment en est-on arrivé là ?

Il est de ces films qui agissent comme des miroirs pour ceux qui acceptent de se prêter à l'intrigue.

Les autres ni verront que des scènes lénifiantes, des dialogues convenus, des sentiments en carton et toutes ces choses que voient les aveugles.

Y a-t-il un public pour sauver ce film ?

C'est vous qui voyez !