L'Hermine

Film : L'Hermine (2014)

Réalisateur : Christian Vincent

Acteurs : Fabrice Luchini (Michel Racine), Sidse Babett Knudsen (Ditte Lorensen-Coteret), Eva Lallier (Ann Lorensen-Coteret), Corinne Masiero (Marie-Jeanne Metzer)

Durée : 01:38:00


« Le travail de la justice n’est pas de découvrir la vérité, mais de rappeler la loi ». Cette phrase couperet résume le dernier film de Christian Vincent (Les Saveurs du palais, 2012) sur une affaire d’homicide. Un film récompensé à la Mostra de Venise, porté par des acteurs magiques (notamment Fabrice Luchini), mais un film malheureusement construit sur un faux théorème : l’évidence de l’agnosticisme judiciaire. Autrement dit l’évidence selon laquelle on ne pourra jamais restituer la vérité judiciaire. L’idée complètement farfelue qui voudrait que tout homme s’incline naturellement devant l’impuissance de la magistrature à dire les faits et à restituer la vérité. On ne peut pas statuer. On ne peut pas définir. Donc on ne peut pas condamner. Et pourtant il y a eu meurtre. L’émotion dissout la véracité des actes humains dans une compassion gluante. Le juge ne tranche pas ! Il se fait le parangon du nihilisme.

Attention, on ne reproche pas à ce docu-fiction de s’intéresser aux mécanismes visiblement défaillants du système judiciaire français, lequel est d’ailleurs filmé avec une dose assez déconcertante de réalisme (avocats quittant la salle pour passer des coups de fil, jurés peu investis, dialogues procéduriers bien restitués). Non, on reproche au film de Christian Vincent de ne pas assumer jusqu’au bout son réalisme. La justice ne parvient pas à obtenir tous les éléments nécessaires pour trancher ? Soit, mais cela devrait soulever la colère et l’indignation d’au moins une partie des proches. Pas du tout ! La résignation est ici souveraine. On ne saura pas la vérité, et il faudra s’en contenter. L’assassin présumé sera relâché. On nage dans la dénaturation complète du réalisme.

Le film, construit autour de l’éloquent Fabrice Luchini, s’arrête à moitié sur le chemin du réalisme et prend la direction d’une romance qui, pour le coup, apporte un vrai de terrain de réjouissance, parce qu’elle est dosée avec l’art d’un dialogue bien écrit. Elle est assumée. Elle permet de montrer les coulisses d’un tribunal, l’état de santé et les dispositions personnelles d’un juge suprême, sa vie privée. Oui cet aspect est intéressant. Mais pourquoi ne restons-nous pas dans la fiction assumée ? Pourquoi au lieu de se fatiguer à nous restituer une réalité à moitié fausse, ne nous laisse-t-on pas entrer dans une réelle fiction permettant de débrider le talent de Luchini ? Une fiction qui dise sa finalité, qui décline son identité ! On a reproché à de Funès de ne faire que du de Funès. Mais c’est ainsi que de Funès est devenu un concept à part entière dans le cinéma. Aujourd’hui, Luchini n’a pas fait du Luchini, et c’est presque dommage. « Je porte cette écharpe rouge, afin d’attirer l’attention sur elle, et non sur moi, pour que l’on ne me reconnaisse pas », affirme drôlement son personnage. Oui, mais justement, ce n’est pas de l’écharpe qu’on veut se souvenir, c’est de toi, Luchini !

Le docu-fiction de Vincent épouse le relativisme judiciaire comme une vérité dogmatique. Cela est contradictoire et ce n’est pas le rôle du cinéma. Raconter une histoire, susciter l’imagination du spectateur, questionner, sont autant de règles d’or oubliées par un réalisateur qui a perdu la saveur de l’intégrité. Son film n’en est pas un. Il est un catalogue d’images vraies et fausses chamboulé par des émotions anarchiques. Chacun aura pioché une phrase drôle, un émoi passager, mais chacun aura eu de l’eau tiède à la bouche. Car, au final, on ne sait plus ce qui est vrai et faux.