The Look Of Silence

Film : The Look Of Silence (2014)

Réalisateur : Joshua Oppenheimer

Acteurs :

Durée : 01:43:00


Au milieu des 24 films sortis cette semaine sur nos écrans (!) figure le redoutable documentaire du réalisateur suédois Joshua Oppenheimer. Redoutable parce qu’il montre, grâce à une prise de risque considérable, l’incroyable force que peut recouvrir un documentaire bien ficelé sur un sujet extrêmement sensible.

A la façon du Labyrinthe du silence (Giulio Ricciarelli, 2015), fiction retraçant la dénazification de l’Allemagne de l’Ouest, The Look of Silence replonge dans un passé récent pour retrouver les coupables toujours en vie du génocide qui a prévalu sur les communistes indonésiens en 1965. A la suite d’un coup d’état manqué du parti communiste indonésien (PKI) contre la dictature militaire de Sukarno, l’armée indonésienne, conduite par Suharto, a désigné les communistes responsables de la crise politique. Les milices du parti musulman et du parti national indonésien ont alors déclenché une répression féroce qui a fait plus d’un demi millions de morts.

Avec le talent d’un Raymond Depardon et le courage d’un Pierre Schoendoerffer, Joshua Oppenheimer est allé filmer les responsables encore en vie de ce massacre, qui vivent tranquillement au milieu de la population et occupent toujours le pouvoir pour certains. Avec sa caméra, il a suivi un jeune ophtalmologiste, Adi, 44 ans, qui entreprend de soigner la vue de clients bien particuliers : les bourreaux de son frère, qui l’ont exécuté sordidement. Dans des face-à-face saisissants, Adi essaye de comprendre la violence inexpliquée de ses interlocuteurs et d’extirper de leurs cœurs oublieux et fiers la trace inespérée du regret. Autant chercher de l'eau sur Mars ! Animé d’un pardon qui confine à celui du Christ, Adi, bouleversé intérieurement, embrasse ses bourreaux dans des scènes insoutenables filmées en direct.

Sur le fond en lui-même, le documentaire donne peu d’éclairages sur les causes politiques qui ont abouti à ce massacre. L’Indonésie, alors en proie à un triangle de forces très particulier entre la junte militaire au pouvoir, le parti communiste surpeuplé (le 3ème parti communiste au monde) et la guérilla islamiste, n’a sans doute pas fini de nous révéler la vérité sur cette affaire. La détestation du communisme et la stratégie de Suharto sont les seules causes mises en avant. Il manque sans doute quelques éclairages sur le communisme indonésien à cette époque.

Toujours est-il que ces interviews constituent de sacrées pièces à conviction pour des juges d’instruction internationaux : The Look of Silence dépasse largement le cadre du documentaire classique et suscite notre attention sur la puissance des images recueillies dans ces témoignages. Par ailleurs, au-delà des comparaisons historiques que l’on pourrait établir en France au sujet de l’épuration d’après-guerre de la Collaboration, on peut se rendre compte à quel point une société dans laquelle pullulent des assassins non jugés ou trop facilement relaxés, est une société vraiment dangereuse. Assassins et victimes ne peuvent pas cohabiter. Voilà un documentaire à envoyer de toute urgence à notre Ecole nationale de la Magistrature !