Maléfique

Film : Maléfique (2014)

Réalisateur : Robert Stromberg

Acteurs : Angelina Jolie (Maléfique), Elle Fanning (Princesse Aurore), Brenton Thwaites (Prince Philippe), Juno Temple (Thistlewit)

Durée : 01:37:00


Cela fait quelques années que nous dénonçons chez Disney et dans le monde de l'animation en général une tendance à brouiller les frontières entre le bien et le mal. Gentils et méchants sont de plus en plus complexes et s'aventurent dans des terres inconnues aux enfants. C'était par exemple le cas de Raiponce, film d'animation d'excellente facture dans lequel la marâtre adopte des attitudes perverses mais dangereusement proches, extérieurement, de celles des mères « normales ».

Dans ce premier film de Robert Stromberg, magnifique sur la forme (décors, costumes, effets numériques, etc.), cette opération de brouillage entre bien et mal se fait à un degré rarement atteint dans un film à destination de la jeunesse.

Vous connaissez, probablement, l'histoire de la Belle au Bois dormant. A y regarder de près, c'est tout simplement l'histoire d'un roi qui vexa une sale sorcière en ne l'invitant pas au baptême de sa petite (on le comprend un chouilla).

Celle-ci incarnait le mal. Artisane de magie noire, entourée de monstres, vivant dans une sombre solitude et se transformant en dragon pour tenter d'occire un prince armé (excusez du peu !) d'une épée de vérité et d'un bouclier de vertu (ça déchire !).

Hé bien si, comme moi, vous aviez compris ça alors vous n'avez rien compris. Non non ! Dès le début du film on vous explique : vous croyez connaître l'histoire mais en fait…

En fait, dans ce scénario très bien construit, Maléfique était une gentille fée du pays de la Lande, contrée splendide à l'écran, trahie par un prince Stéphane qui n'a rien à voir avec le film d'animation : c'est un cinglé cupide et violent qui arracha les ailes de la pauvrette pour pouvoir revendiquer le trône. Du coup celle-ci se mit en colère, fit plein d'effets spéciaux très bien faits tout partout et maudit la princesse. Mais, rassurez-vous, elle regretta bien vite son geste et veilla sur elle toute sa jeunesse puisque les trois fées sont en fait des cruches débiles, égoïstes et incompétentes, dont le choix est bien éloigné de la figure monacale du dessin animé (retraite dans la solitude, abandon de la magie, soin de la princesse dans un esprit de sacrifice, etc.).

C'est donc très clair. Les trois gentilles fées sont des saloperies, le bon roi est un sagouin, la sorcière une bonne femme digne de compassion : ce qui était noir devient blanc, et inversement. Comme d'habitude on a droit à la rituelle auto-flagellation de la race humaine perfide et cupide, et celle qui s'appelle Maléfique (quand même !) est donc le personnage méritant de l'histoire, héroïne gothique parfaite : pantalon de cuir, ailes de dragon, tourments intérieurs et beauté pâle, magie noire bienfaisante (si si !), face à une Aurore tout aussi empruntée à l'univers gothique puisque pure, innocente et victime d'un sort irréversible. Est-il vraiment étonnant que ce soit Angelina Jolie, ancienne punk, adepte revendiquée de l'auto-mutilation, qui incarne ce rôle de toutes ses forces et va jusqu'à impliquer sa fille en lui faisant interpréter le rôle d'Aurore petite ?

On a beau nous coller par-dessus une histoire d'amour sincère à laquelle Maléfique ne croit pas avant de se rendre à la raison, on a beau nous expliquer que Maléfique n'a quand même pas super bien agi en jetant son sort, il reste un univers que les enfants ne peuvent voir (il y a d'ailleurs beaucoup d'images impressionnantes), et auquel les autres ne sauraient se confronter sans risquer de pendre les vessies maléfiques pour des lanternes angéliques.

Au lieu d'éclairer il obscurcit, au lieu de montrer des modèles il montre de pâles figures…

Si ce film est un bijou, il est un diamant noir.

Disney a failli…