Manchester by the sea

Film : Manchester by the sea (2016)

Réalisateur : Kenneth Lonergan

Acteurs : Casey Affleck (Lee Chandler), Michelle Williams (Randi Chandler), Kyle Chandler (Joe Chandler), Lucas Hedges (Patrick)

Durée : 02:18:00


Quelle tristesse… A n’en pas douter, Manchester by the sea est un drame éprouvant. 
Nous suivons les pas d’un père divorcé, homme à tout faire dans son modeste quartier, bourru, asocial, manifestement blessé en profondeur. Endeuillé de son frère, il doit s’occuper du fils de ce dernier, seize ans, devenu à moitié orphelin à cause de sa mère pas tout à fait stable. Tout de suite, on sent qu’on va se marrer.
La rencontre des deux générations d’hommes oscille entre le devoir obligé et le vrai dévouement, entre une relation convenue et un rapport père-fils. Ils essaient de se tirer vers le haut, mais l’ado, pas en avance pour son âge, davantage préoccupé par ses deux copines que par son oncle brisé, devient presque malgré lui une nouvelle raison d’agir pour ce dernier. 

Mais que faire, écrasé par un tel spleen ? Le tonton erre tel un mort parmi les vivants. Les symptômes de la dépression sont bien présents. 

Chaque fois, la solution qui s’offre à lui pour espérer en sortir est familiale. Et dans cette même logique, les causes de ses maux sont des ruptures. Sans le proclamer explicitement, le film confirme la parole biblique : « Il n’est pas bon à l’homme d’être seul ». Voilà ce que devient l’homme prétendument libre, l’individu roi : un malheureux loup blanc dans un village aussi sinistre que lui, tirant le diable par la queue, attendant sa mort alors qu’il n’a pas quarante ans. Le tableau est dur, en effet. 
Et loin de céder aux envies trop faciles de catharsis, de rédemption en une heure et demie dont le public est friand, Manchester by the sea a cette qualité rare d’être une fenêtre sur le réel. Sortir de ce genre d’état ne se fait pas sur un déclic, sur une rencontre, sur un nouveau job. Ce qui pèse probablement avant tout dans la dépression est le découragement. Quand une opportunité s’offre à l’oncle, il la rejette, il n’en veut pas ; syndrome de ceux qui ne veulent plus vivre. 

Un film à se tirer une balle ? Peut-être pas non plus : à moins que vous préfériez le divertissement pur armé de vos lunettes 3D, assister à l’évolution des liens qui réunissent ces personnages complexes est loin d’être dépourvu d’intérêt, au contraire même. 
Le film se montre d’une psychologie extrêmement fine, au point que vous croyez voir de vraies personnes. Jamais un raccourci, une facilité ou un choix trop dirigiste du scénario ne vient gêner le réalisme de l’histoire. Celle-ci semble parfaitement varier selon les aléas de l’existence, comme la vie, en somme, au contraire de la plupart des scénarios. 

Ainsi, l’oncle et les autres peuvent servir de support à une réflexion sur la dépression, sur la force et l’utilité de la famille, le deuil, l’adolescence, l’éducation, la mort même.
Les portraits ici brossés lancent le spectateur dans une empathie qui sort du cadre du film. On n’a pas vu un personnage, on a vu un dépressif. On n’a pas vu une scène d’enterrement, on a vu un enterrement ; on n’a pas vu un bon acteur, mais une personne ; et ainsi de suite. 
Certes les thématiques ne sont pas très gaies, mais le tableau n’est pas peint non plus par un dépressif : comme c’est la vie véritable, on y trouve aussi ce qui donne envie de se lever chaque matin. Même dans cet état-là, on peut rire, taquiner, réagir encore ; les bonnes et authentiques répliques s’enchaînent. Comment s’occuper de lui, comment aider cet homme à se ressaisir ? Que peut apporter une famille à l’homme seul et malheureux ? Alors que Noël vient de passer, on peut effectivement se demander ce que peut apporter la famille à l’homme. 


Manchester by the sea marque, non par l’aspect tragique de ses intérêts, mais par son réalisme. Celui-ci, au-delà de la finesse des dialogues et de l’évolution de l’histoire, s’appuie sur une réalisation discrète, qui d’un œil très spectateur, et pourvue d’une musique effacée (à part un Adagio d’Albinoni pour une fois placé pertinemment dans un film), nous laisse voir et réfléchir sur le réel. Dans ce réel, il n’y a pas de piano pour accompagner nos tristesses. Il n’y a pas de ralentis. Et personne ne se voit en plan zénithal. 
Ainsi, dans ce même esprit, tous les acteurs jouent sans jamais trop en faire. La palme revient à un Casey Affleck, qui pourtant, devait être bien tenté d’en faire des tonnes tant les malheurs de son personnage sont graves. Son jeu, loin des hurlements, des torrents de larmes et des démonstrations de sensibilité, se veut sobre ; de fait, plus vrai que nature, et par là saisissant. 

On en ressort éprouvé de tant de malheurs, mais engagé dans la réflexion. On ne se demande pas si la direction photo était bonne ou très bonne, mais plutôt comment comprendre ces malheureux, qui ont tant besoin d’aide, que sont les dépressifs. Et ce pont de la fiction au réel, de l’imaginaire à la réflexion, finalement du récit à l’empathie profonde, est le véritable tour de force de ce Manchester by the sea