Marie Heurtin

Film : Marie Heurtin (2014)

Réalisateur : Jean-Pierre Améris

Acteurs : Isabelle Carré (Soeur Marguerite), Ariana Rivoire (Marie), Brigitte Catillon (Mère Supérieure), Noemie Churlet (Soeur Raphaëlle)

Durée : 01:38:00


Comme Miracle en Alabama, qui retrace la vie d'Helen Keller, Marie Heurtin est un de ces films dont on connaît à l'avance le contenu, auquel on va parfois à reculons, et qui vous frappe en plein cœur dès les premières images.

L'histoire (vraie !) de cette jeune fille sourde, aveugle et muette était certes une matière de prédilection pour un drame cinématographique, mais le risque était précisément de tomber dans le mièvre et le dégoulinant.

Ici, rien de tel.

Il faut, c'est entendu, accepter de jouer le jeu dès le début, essayer de se mettre dans la peau d'un être fragile qui n'a d'autre moyen de communiquer avec le monde que le toucher et l'odorat. Ariana Rivoire, actrice réellement sourde dans la vie, s'introduit dans la peau de son personnage avec une facilité et une sincérité confondante. En face d'elle Isabelle Carré (déjà mise en scène par Jean-Pierre Améris dans l'excellent Les émotifs anonymes) est remarquable. La justesse de son jeu, l'innocence qu'elle met dans ses yeux et la grâce de son jeu lui permettent de donner à son personnage toute la force qu'il mérite.

Heureusement, car la réussite du film dépendait de ces deux caractères bien trempés dans leur apparente fragilité. Quoique très efficace, l'exploitation que le réalisateur fait de l'espace filmique est en effet très sobre et, souvent, prévisible. Une femme chancelante prise en contre-plongée dans un plan d'ensemble, tout est vide autour d'elle, elle tombe, pas de surprise. Et pourtant, même dans la simplicité de ce plan, une beauté des formes qui épouse celle du fond.

C'est donc la relation entre la religieuse et son élève qui va capter l'émotion. Une relation difficile, après une prise de contact pire encore, mais un souci pédagogique chevillé au corps. Le film aurait gagné, soyons tatillon, à approfondir les nerfs de cette éducation. Comment (c'est en tout cas la question que je me posais en allant voir ce film) est-il possible de communiquer avec un enfant aussi coupé de tout ? Puisque l'éducatrice est une Fille de la sagesse (la congrégation fondée par Saint Louis-Marie Grignon de Montfort), comment a-t-elle construit la relation de ce petit être avec Dieu ?

Dans les moments de crise et de caprice de Marie, par exemple, nul doute qu'il a fallu à la religieuse faire preuve d'autorité, et même de violence, n'en déplaise à notre société qui rêve d'une éducation aseptisée ! Ici sœur Marguerite semble remplacer la coercition par la patience. Était-ce le cas ? Peu probable. Jean-Pierre Améris dit lui-même que sur les photos la vraie religieuse était une « femme forte, avec sur le visage une espèce de dureté, un côté âpre, déterminé. » C'est qu'il ne fallait pas lui marcher sur les pieds, la bonne sœur ! Mais ici le film la transforme en une pimpante jeunette un peu dépassée, toujours souriante, et manque ainsi de donner une leçon au monde sur la vraie force, celle qui, tout en acceptant la vraie joie, ne s'encombre pas de fausse exaltation. On retrouve ici en quelque sorte l'image d'Épinal de sainte Thérèse de l'Enfant Jésus, qu'on rêve toujours douce, gentille, avec son bouquet de roses à la main, alors qu'elle était un tempérament de feu, colérique, et que toute sa gloire est d'avoir non pas tué cette colère, mais de l'avoir ordonnée à Dieu.

Il reste que Marie Heurtin est un film remarquable, joliment accompagné musicalement, qui donnera matière à réfléchir et à comprendre, entre autres, la chance que nous avons de pouvoir goûter immédiatement aux couleurs et aux sons qui nous entourent.

Si j'étais familier des formules toutes faites, je dirais sans hésitation : « À ne manquer sous aucun prétexte ! »