Miracle en Alabama

Film : Miracle en Alabama (1962)

Réalisateur : Arthur Penn

Acteurs : Anne Bancroft (Annie Sullivan), Patty Duke (Helen Keller), Victor Jory (le capitaine Keller), Inga Swenson (Kate Keller)

Durée : 01:42:00


            Deuxième film d’Arthur Penn, Miracle en Alabama relate une partie de l'enfance d'Helen Keller (1880-1968), devenue sourde, aveugle et muette, à la suite d’une congestion cérébrale. C'est dans un contexte où le handicap est perçu comme une dégénérescence mentale que la petite Helen a grandi.

 

            À travers ce drame, Arthur Penn tente de nous faire réfléchir sur la manière dont la personne handicapée est accueillie tant au sein de la société qu’au sein de sa propre famille. Cette dernière, en notre histoire, considérant Helen comme une semi-arriérée, finit par n’envisager d’autre issue pour elle que l'asile de fous, unique idée d'ailleurs illustrée par des dialogues souvent imprégnés de désespoir. Elle accepta néanmoins de faire venir une jeune diplômée, Annie Sullivan, pour l'aider. Cette dernière eut pour mission d'élever la jeune enfant, de lui apprendre à s'ouvrir aux autres, à communiquer. Cette éducatrice-née, ancienne aveugle elle-même, ayant subi l'horreur de l'asile psychiatrique, joua un rôle immense dans la vie d'Helen Keller. C'est elle qui l’ouvrit au monde.

 

            Cependant, les parents d’Helen ne partageaient pas les mêmes ambitions pour leur fille qu'Annie. Certes, ils souhaitaient comprendre leur fille mais ne remettaient pas en question l’éducation qu’ils lui donnaient. C'est sur ce point que le réalisateur souhaite retenir notre attention, notamment à travers les plans rapprochés. Considérant leur fille comme une attardée mentale, ses parents lui donnent tout ce qu'elle désire car, pour eux, « elle n'a pas conscience de ce qu'elle fait ». Ils lui cèdent absolument tout, sous prétexte qu'elle ne comprend rien, et n'osent la réprimander. Helen est prisonnière de cet amour et de cette pitié.

 

Annie Sullivan fait remarquer aux parents qu'ils se conduisent avec leur fille comme avec un chien, qui lui, pourtant, est éduqué. Même le spectateur est agacé et perplexe devant le manque total d'autorité des parents et les colères d'Helen.

 

Cette enfant est un être humain enseveli. La laissera-t-on mourir ? Voilà la question que pose Annie. L'importance de la lumière portée sur les visages attire immédiatement le spectateur vers l'essentiel des émotions. Il est vrai que le visage et le regard sont essentiels pour communiquer et pour percevoir les sentiments éprouvés par autrui. C'est justement ce qui dérange le père de famille et qui sert d'obstacle à la communication dans le cas d’Helen. Avec beaucoup de patience et de zèle, Annie va parvenir à éduquer Helen en-dehors du cadre familial, cadre dans lequel la petite fille sait pertinemment que rien ne lui est refusé. Le jeu des deux actrices est impressionnant et permet aux spectateurs de se sentir pleinement concernés par l'importance des problématiques proposées. Les parents d'Helen sont surpris et ravis des progrès de leur fille : elle mange avec des couverts, plie sa serviette, joue calmement, range. Pourtant, ces résultats ne satisfont pas Annie Sullivan. Elle sait très bien qu'une fois rentrée dans le cadre familial, Helen retrouvera ses mauvaises habitudes car l'enfant ne lui obéit que par peur d'une sanction. Helen n'est pas libre. La difficulté de son éducation est de lui faire comprendre que l'apprentissage est bon pour elle et pour ceux qui l'entourent. C'est par les mots, enseignés sous forme de signes, et par la découverte de leur signification qu'Annie tente d'éveiller Helen, afin qu'elle acquière un langage. La patience d'Annie est exemplaire et illustre parfaitement que « la vie humble aux travaux ennuyeux et faciles, est une œuvre de choix qui veut beaucoup d'amour » (Verlaine, Sagesse).

 

            Arthur Penn signe ici un film rempli de sens. L'aveuglement dont il nous parle est un aveuglement partagé. Au fond, les parents sont plus aveugles que leur fille, dont ils ne voient ni l’intelligence ni le combat livré au fond d’elle-même pour se faire comprendre des autres. C'est d'ailleurs cette force intérieure qui, plus tard, permettra à Helen Keller d'apprendre à lire, à parler, à écrire et à devenir la première personne handicapée diplômée.

 

Ce regard de parents porté sur une handicapée, au 19e siècle, pourrait en choquer plus d'un. Pourtant, il n’est pas assuré que la société moderne soit plus lucide, elle qui voit dans le handicap une erreur dont l’avortement, en particulier, doive permettre de délivrer le monde. Paula Cavalieri, philosophe italienne contemporaine, ne range-t-elle pas les handicapés dans la catégorie des grands singes sous-évolués ? Le film d’Arthur Penn, au contraire, est une invitation à humaniser notre regard sur l’univers mystérieux et douloureux des handicapés.