Mr. Turner

Film : Mr. Turner (2014)

Réalisateur : Mike Leigh

Acteurs : Timothy Spall (J.M.W. Turner), Paul Jesson (William Turner), Dorothy Atkinson (Hannah Danby), Marion Bailey (Mrs. Booth)

Durée : 02:30:00


Quand on s’attaque à un géant comme Turner, on doit y mettre du sien.
L’intention ne suffit pas. Il ne suffit pas de bien jouer. Timothy Spall est bon, rugueux et sensible à la fois, animal et cultivé, rustre et poète… Le personnage est romancé, quoique haut en couleurs à l’origine. Il ne suffit pas de bons seconds rôles non plus, car il y en a, certes. Et il ne suffit pas non plus de réaliser soigneusement, de jeter quelques jolies images (la plus belle est aussi la plus gênante : image de synthèse grossièrement décelée, une … peinture aurait été plus crédible !), et d’habiller le tout d’authentiques costumes, pour réussir un biopic.

Turner le vrai, a voyagé à Venise, trois fois, en Hollande aussi, en Ecosse, en France, en Suisse même ! Vous le verrez à peine bouger. Turner était le peintre de la lumière ! Et vous resterez dans l’attente, devant de pâles images à faire rougir le 7e Art à côté des œuvres du maître. Turner avait une vision de la peinture très moderne, issue de la sensation donnée par la lumière ! Vous n’entendrez parler de technique picturale que dix minutes.

Ensuite, il y a le choix de Timothy Spall. On le connaît, il ne peut s’empêcher d’en faire toujours un peu trop. On n’y échappe guère, mais il parvient à donner du relief à son bonhomme. En revanche, si vous trouvez qu’il fait penser ou surtout qu’il ressemble au « vrai », vous péchez par excès d’indulgence, ou par ignorance de sa tête surtout.

La vie du peintre est loin d’être très « cinématographique ». Entendons, sa vie privée, ses femmes, dont une chargée d’enfants dont il ne s’est jamais occupé ; son père, avec lequel il avait une certaine complicité. Le film reste fidèle aux situations, mais fait de Turner une sorte de cerf en rut, qui tripote (le mot est faible) avec l’indifférence d’un violeur (le mot est juste !), entre autres. Fallait le rendre plus « artiste ». Surtout qu’il en devient presque antipathique, même pour ceux – dont je fais partie – qui ont réussi à ne pas trop froncer les sourcils en l’entendant ruminer comme un bœuf toutes les cinq minutes … Ce fut un personnage taciturne, isolé, après la mort de son père ; pas une grosse bête non plus. Donc restons relatifs, pour l’acting …

Le portrait fait mal. Du temps perdu qui aurait été mieux employé à parler de sa peinture, ou de son inspiration. Turner la trouvait dans des circonstances très particulières. Une seule est retranscrite, la plus connue, où il fut attaché à un mât de bateau en pleine tempête, à la façon d’Ulysse … Les autres, poubelle. Le film dure pourtant 2h30, il y avait la place ! Surtout que le reste est un enchaînement de badinages, certes élégants, bien tournés, mais bon … Il y a Downton Abbey pour ça.

Finissons la déception sur la réalisation … Vous l’entendrez partout, elle est « académique ». Au sens le plus péjoratif du terme. La frilosité est incroyable. Pour une vie de peintre, quel manque d’inspiration ! C’est comme si on avait raté les dialogues d’un film sur Racine.
Turner, avec sa folie picturale durement moquée en son temps, comme beaucoup de ses semblables, ne pouvait recevoir plus fade hommage qu’une réalisation aux antipodes de son style. On ne crise pas autant devant le film, mais posez-vous la question avec Picasso, par exemple. Le cinéma, ici, n’est qu’un mauvais orateur amnésique. L’effet d’un gamin récitant bêtement un poème s’en rapproche. La vision de la peinture par un art différent, le cinéma en l’occurrence, n’apporte strictement rien.

De la peinture, on en voit, on en parle, on peut même comparer avec des collègues du bon Turner. Mais tout reste superficiel, on attend que la réflexion, sur la lumière, sur la technique, sur la sensibilité de l’artiste s’approfondisse, en vain !
Le film n’est donc pas mauvais. Il est soigné et bien joué. Mais terriblement médiocre. On regarde hébété le peintre faire ceci cela, et pas un instant, nous n’entrons dans sa tête. On ne voulait pas savoir ce qu’a fait Turner. N’importe quel article sur le web nous le dit en 20 lignes. On voulait sentir sa sensibilité, sentir sa lumière, entrer dans ses pensées. Pour ça, Mr. Turner n’est même pas une esquisse.