Neverland

Film : Neverland (2004)

Réalisateur : Marc Forster

Acteurs : Johnny Depp (James M. Barrie), Kate Winslet (Sylvia Llewelyn Davies), Radha Mitchell (Mary Barrie), Dustin Hoffman (Charles Frohman)

Durée : 01:41:00


La genèse de la création de Peter Pan devait forcément traiter de poésie, de rêve et d’imagination.
Mais loin de se contenter d’évoquer le rêve comme un simple nid confortable, il compare celui-ci à la réalité. En montrant les dégâts du mensonge, de l’illusion qui cache la vérité, Neverland fait à la fois l’éloge de l’imaginaire, et celui du réel. Celui-ci est certes dur, parfois atroce, mais l’imaginaire ne fait pas le poids.
Inception, dans un autre registre, touche (six ans plus tard) à cette comparaison ; Memento également, pour rester chez Nolan, et tant d’autres. La particularité de Neverland, est à la fois son appel à retrouver parfois son âme d’enfant, et sa poésie.

Neverland montre avec sensibilité (mais peu de folie) à quel point, dans nos têtes, « l’imagination dirige le monde » (eh oui, Napoléon en personne, s’il vous plaît). La folle du logis, chez Molière, ou le Léthé, chez Baudelaire. Mais contrairement au poète, le film s’arrête à l’amour de l’imaginaire lorsque celui-ci flirte avec la réalité, lorsque le rêve prétend changer le réel (Inception aussi, insistait sur l’importance de ne pas les confondre). Tout le contraire de l’auteur de « L’amour du mensonge », justement, où l’on peut lire « Mais ne suffit-il pas que tu sois l'apparence, / Pour réjouir un cœur qui fuit la vérité ? / Qu'importe ta bêtise ou ton indifférence ? / Masque ou décor, salut ! J'adore ta beauté. »

Enfin, cette histoire appelle à savoir redescendre de son piédestal d’exigence, de soif de pompes et de grandeur, pour s’arrêter un instant sur les petites choses, sur la beauté simple, innocente, que nous abattons si facilement d’un cynique rictus. Mais un instant seulement, car prendre la vie pour un jeu mène au drame. Je pense au désagréable Jeux d’Enfants (2003), notamment, mais Neverland le montre aussi fort bien.

Ainsi le film n’oublie-t-il pas de traiter chaque question de cette foisonnante comparaison entre le réel et le rêve, à travers son histoire touchante, quoiqu’un peu trop enfantine. Le tragique réalisme avait sa place, on parle tout de même d’un homme en manque d’enfants, de muse, d’inspiration, lassé de son ennuyeuse femme. Notre héros s’évade, fuit le réel, joue avec les autres, en oubliant justement, que la vie n’est pas un jeu dont l’autre serait le jouet. Plongé dans le faux, il laisse en friche tous les devoirs que lui demande le réel. L’imaginaire est toujours plus facile à affronter… Doué dans les rêves, absent du vrai, c’est toute la grandeur et la médiocrité de l’Albatros : « Ses ailes de géant l’empêchent de marcher ».

Nerverland, d’une façon élégante (mise en scène soignée, dialogues fins, acting excellent), enchante en nous emmenant dans ce curieux endroit qu’est l’« imaginarium » d’un dramaturge en quête de renouveau. La réalité est bien plus que la somme de nos pulsions, de nos « ressentis » ; ainsi, rêver peut être bon, comme dormir peut l’être… Mais encore faut-il croire que la réalité vaut le coup de se réveiller ! Neverland s’insurge en douceur contre une pensée comme celle de Calderón: La vida es sueño.