Nocturama

Film : Nocturama (2015)

Réalisateur : Bertrand Bonello

Acteurs : Finnegan Oldfield (David), Vincent Rottiers (Greg), Hamza Meziani (Yacine), Manal Issa (Sabrina)

Durée : 02:10:00


L'anarchisme est de retour avec ce nouveau film de Bertrand Bonello (Yves Saint Laurent, 2014) cherchant à sublimer le geste inconscient d'une poignée d'adolescents prêts à "passer à l'acte". L'auteur de ce film a voulu montrer comment quelque chose "devait forcément péter un jour" dans notre société standardisée à l'extrême, rendant ses individus claustrophobes. Du terrorisme d'origine étrangère que nous connaissons, on passe ainsi au concept d'"ennemis d'Etat". La vie dans le monde capitaliste est devenue insupportable, notamment la vie à Paris, avec sa signalétique omniprésente, ses enseignes identiques, ses habitants stéréotypés, sorte de clones aseptisés. Autant de raisons donnant à Bonello l'idée de réunir des jeunes de tous milieux pour les faire rejeter le modèle capitaliste. 
On peut dire sans hésiter que le scénario contient de la graine de génie, se rapprochant de la tension palpable de Fight Club (1999) sans malheureusement jamais vraiment l'atteindre. Nocturama partage avec le célèbre film de David Fincher la même innocence pour décrire l'impuissance de ces révoltés face à l'ogre capitaliste. Mais il s'arrête trop vite dans la quête du pourquoi, des motivations faisant agir ces nouveaux rebelles. "Ça devait arriver" est le slogan auquel se rattache le réalisateur. Comme si la fatalité devait s'imposer d'elle-même. Une fatalité qui gagne du terrain au fil de l'histoire : non seulement ces jeunes étourdis vont se rendre compte de la gravité de leur geste et de la lividité de leur adversaire, le monstre froid étatique, mais encore vont-ils se laisser happer eux-mêmes par la société consumériste qu'ils dénonçaient sans le savoir. La deuxième partie du film, trop longue, les voit en effet se réfugier dans un immense supermarché où ils vont céder, chacun, à l'objet de leur désir, vandalisant tout ce qu'ils trouvent au passage.

De la bombe politique au pétard scénaristique

A ce moment le film s'enferme dans sa boucle fataliste et oublie la quête pseudo-politique de la première partie qui a vu ces jeunes s'en prendre aux symboles de la République, du capitalisme, et de l'histoire de France. Bonello se prend les pieds dans un délire graphique ne correspondant plus à l'idée de révolution, et illustrant au contraire la victoire du virus social-libéral sur la guérilla marxiste. Alors Bonello consacre le triomphe de l'impuissance. Rien ne peut venir à bout de ce système, puisque ses opposants sont eux-mêmes contaminés par la culture pop dont ils sont nourris depuis leur berceau.
L'impression finale est moyenne. Pourquoi avoir choisi des adolescents et donc réduit la portée politique de leur geste ? La fébrilité de l'auteur, sur ce point, a pour effet de neutraliser toute réflexion intelligente sur les symboles attaqués et par conséquent sur les institutions de notre pays. Certes le modèle social-libéral endort les gens. Il les infantilise, même. Cependant la société est aussi composée de personnes adultes qui se posent des questions et qui ne sont pas immobilisées par leur écran de télévision à 100% ! Les vrais sujets politiques demeurent difficiles à aborder en France. Bonello est passé par la petite porte. Son oeuvre se limite à une resucée du vieux romantisme blanquiste, sorte de crime joyeux résonnant tel un cri de liberté sanguinaire dans le vide. En poussant sa logique jusqu'au bout, il aurait dû nous montrer une société gouvernée par des adultes-enfants ne se cachant pas de vivre uniquement pour les loisirs. Mais la pince de l'impuissance s'est refermée sur sa pensée : l'explosion arrive parce que nous sommes des êtres pulsionnels épris de liberté ; et la répression est féroce parce qu'elle seule peut comprimer nos comportements anarchiques de toute façon voués à la soumission, inconsciente ou forcée. Ne pas s'intéresser à la cause du malaise capitaliste en évitant les questions mâtures : voilà le grand tort de Nocturama, sorte de souvenir rayé d'une tournée diurne qui a mal tourné pour ses "teen-agers"...