Phénoménologie de la migration subie

Film : Fortuna (2018)

Réalisateur : Germinal Roaux

Acteurs : Kidist Siyum (Fortuna), Bruno Ganz (Brother Jean), Patrick d'Assumçao (Mr. Blanchet), Yoann Blanc (Brother Luc)

Durée : 1h 46m


Gravure expressionniste de la figure d’une migrante de 14 ans dans les neiges suisses, Fortuna s’étire en silences et en méditations pour explorer le drame vécu par cette femme. Des neiges de contraintes et de désillusions s’abattent sur elle : sans famille ni ressources, originaire d’une lointaine contrée africaine, catholique, compagne précoce d’un musulman pratiquant sans papiers, enceinte, incitée à avorter…  Le scénario pâtit d’une sorte d’effet de cumul de problématiques aussi cruciales les unes que les autres, sans parvenir à choisir l’une d’entre elles.

Tourné en noir et blanc avec de longues focales sur les visages larmoyants, un peu dans le style de l'allemand Friedrich Murnau (L'Aurore, 1927), le film a tendance à se cristalliser dans un dolorisme statique élaborant une figure romanesque du migrant. Celui-ci paraît défini comme une personne qui est là et qui souffre, sans que l’on sache vraiment d’où il vient ni où il va. Fortuna s’installe ainsi dans une phénoménologie de la migration subie, tant par les migrants eux-mêmes que par les populations accueillantes. La balle se retrouve d’ailleurs rapidement dans le camp de ces dernières : la congrégation religieuse qui les reçoit en fait-elle assez ? Suit-elle convenablement les principes charitables de l’Evangile ?

De la passion du migrant à l’enterrement de la dialectique

La question de la gestion politique des migrations est abordée, mais sous le seul angle du phénomène local. Si les religieux se posent honnêtement la question des capacités d’accueil et de l’impact de ce phénomène sur leur vie religieuse, la police est assimilée ni plus ni moins à une Gestapo de circonstance, chargée de traquer les demandeurs d’asile en situation irrégulière. Le film ne prend donc pas la peine de resituer ce phénomène dans le contexte des flux de migration internationaux. Il capture le tableau fataliste d’un destin infortuné sans prise apparente avec l’histoire et la géographie. Il dépeint des personnages sans racines abandonnés à l’instant.

Car la sensibilité du capteur incite à la neutralisation de la réflexion contradictoire. Le quotidien devient le fait d’une souffrance souveraine qui édicte ses besoins, ses souhaits, ses volontés, ses prières, son urgence… sans se soucier véritablement du déséquilibre politique qu’elle suscite en chemin. Les cris, les larmes, la contrariété de l’existence subie procurent un sauf-conduit menant à l’exigence d’empathie, à l'empêchement de toute dialectique et même à l’effritement de la morale du migrant. Qu’importe la valeur éthique de ses actes puisqu’il souffre ! La souffrance interdit le questionnement. Elle impose le consentement du silence. Comme une vengeance sociale à l’encontre de celui qui est supposé ne pas souffrir parce que sa vie paraît plus aisée. Un versant de la réalité que le réalisateur suisse Germinal Roaux aborde à pas de… raquettes, équipé d’un humanisme sans frontières alourdi par son imprudence forfaitaire.