Prisoners

Film : Prisoners (2013)

Réalisateur : Denis Villeneuve

Acteurs : Hugh Jackman (Keller Dover), Jake Gyllenhaal (L'Inspecteur Loki), Viola Davis (Nancy Birch), Maria Bello (Grace Dover)

Durée : 02:33:00


Deux fillettes sont enlevées ; un des deux pères, Keller (Hugh Jackman), remue ciel et terre pour les retrouver, le second, lui, préfère laisser la police faire son travail, en l’occurrence l’inspecteur Loki (Jake Gyllenhaal). Les pistes sont nombreuses, l’enquête est complexe, les suspects ne disent pas un mot, alors que les jours des fillettes sont comptés. Chacun se saisit de l’affaire à sa manière : par la justice, ou par l’instinct paternel qui pousse Keller à dépasser les limites. Le père, et les deux familles entières en fait, sont poussés dans leurs derniers retranchements moraux, pris de panique par le temps qui court, à des degrés différents. Prisoners montre, par les simples faits, qui agit le plus efficacement. « Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage » certes, mais quand vous savez qu’après une semaine de disparition, les chances de retrouver vivants les disparus se divisent par deux … Ainsi, le débat se situe sur la légitimité des agissements des personnages, en fonction de leurs rapports avec le problème de l’enlèvement. La justice publique est-elle suffisante ? La justice privée est-elle légitime ? Platon ou Aristote : l’injustice commandée par l’État doit-elle être respectée, ce qui vous fera boire la ciguë, ou bien faut-il réparer soi-même ce que l’État ne peut compenser ? La première façon de faire, adoptée par l’un des deux pères, revient à une neutralité sans effet, tandis que la seconde, celle de Keller, offre une chance, semble-t-il, supplémentaire, pour retrouver les petites, mais le risque est double : déconcentrer la police de l’enquête principale, et faire des erreurs de jugement. Prisoners nous pose la question, véritable dilemme moral.

Prisoners est tout d’abord original. Il l’est dans ses introspections poussées des personnages concernés, en particulier celles des victimes et de l’inspecteur. Les mécanismes propres au genre sont bien plus quelconques ; mais cette réflexion morale sur les gens ordinaires, pris par de terribles dilemmes, nous implique dans l’histoire comme s’il s’agissait de la disparition de nos propres enfants. La plongée psychologique est en effet assez profonde pour que nous la fassions nôtre. Comme eux, nous sommes dans un labyrinthe : Que faire ? Quelle voie choisir ?

Cette marque personnelle du film s’exprime dans une leçon de cinéma de suspense, de mise en scène et d’acting. Prisoners, à n’en pas douter, est un polar magistral. Par la dureté de ses questionnements et la noirceur des péripéties, le film est sombre, et nous emmène dans le calvaire des victimes d’une façon froide et réaliste. Scotché à l’écran, on craint toujours le pire : le film provoque en nous une empathie véritable, une réelle angoisse. Elle l’est d’autant plus que le jeu de Gyellenhaal retrouve le sommet qu’il avait connu avec l’injustement méconnu Brothers, et qu’Hugh Jackman tient enfin un film assez grand pour son potentiel : il joue ce qu’il y a de plus dur avec une maestria époustouflante. Certains ont eu l’oscar du meilleur acteur pour moins que ça …

Le film policier retrouve ses plus belles heures : Denis Villeneuve confirme son talent monstre (auteur d’Incendies), Hugh Jackman se révèle enfin dans un grand rôle de composition. Suspense, complexité, dilemmes, réflexions morales, casting au sommet, et tension en augmentation exponentielle : l'immersion est parfaite. C’est ça, le génie du cinéma.