Ratatouille

Film : Ratatouille (2007)

Réalisateur : Guillaume Lebon

Acteurs : les voix françaises de Guillaume Lebon (Rémy), Thierry Raqueneau (Linguini), Camille (Colette), Pierre François Martin-Laval (Emile)… . 

Durée : 01:50:00


Souvent les meilleures idées jaillissent au moment où on ne les attend pas : ainsi Ratatouille, le dernier Pixar qui monopolise nos écrans de cinéma, est né dans la cuisine du scénariste Jan Pinkava, qui, en voyant sa femme
cuisiner, s’est demandé « et si un rat devenait chef cuisinier ?... ». A cette idée folle, Brad Bird, déjà réalisateur des
Indestructibles chez Pixar en 2004, s’est associé sans hésiter. En envisageant l’univers de la cuisine et du grand Paris d’un point de vue si original, Ratatouille créé indiscutablement la surprise et renoue avec l’inventivité des films d’animation, qui va de pair avec leurs exploits techniques (la forme
semblant avoir pris le dessus sur le fond ces derniers temps…). 



Depuis
Les Indestructibles, la collaboration des studios Pixar et du réalisateur Brad Bird semble avoir pour politique de faire du neuf avec du vieux. Ratatouille, comme les
aventures des super-héros susmentionnés, est une histoire un brin nostalgique, un conte merveilleux à la Disney (nouveau propriétaire du studio). A côté de cet aspect rétro, sa réalisation dépasse de loin toute la concurrence. Le choix de la ville de Paris, baignée de la lumière d’un mois d’octobre ou scintillante dans la nuit, recréé une atmosphère particulière, de douceur et de plaisir de vivre comme la France en bénéficie, et si bien maîtrisée que l’image en est bluffante. Sharon Calahan, directrice de la photographie, a voulu une lumière «
argentée et diffuse », afin de restituer un univers « class="Apple-style-span">doux, chaleureux et accueillant… ». Mission accomplie : les ombres et les couleurs ne sont pas franches, mais présentes par touches, ainsi qu’un tableau impressionniste, qu’il s’agisse de la campagne humide ou des cuisines odorantes du grand restaurant Gusteau’s, ou encore des quelques 30 000 poils animés de Rémy qui contribuent à élaborer une fourrure soyeuse et lumineuse.

Le décor est crédible, mêlant ancien et moderne (tout en évitant les trop nombreux clichés dont est affublée notre belle capitale). Les images magnifiques et intemporelles montrant Paris la nuit, ou encore celles du grand restaurant de Gusteau avec ses cuisines et sa salle de réception, sont le fruit d’un méticuleux travail d’approche suivi de prouesses techniques d’avant-garde. Par exemple, une partie de l’équipe du film s’est imprégnée de la vie des
grands restaurants parisiens, tandis que la réalisation de la ville de Paris nécessitait pas moins de 4500 clichés… La cuisine elle-même a exigé une attention toute particulière, «

sa conception visuelle ayant évolué sur près de deux ans », surtout en fonction des exigences cinématographiques.

Pas de fable sans héros, et nos deux compères Rémy et Emile, le rat et le commis, forment un duo formidable. Notre « petit chef », grâce à une animation hors pair, est à croquer. Un travail en profondeur a été réalisé sur ce personnage : une fourrure criante de vérité (jusqu’aux reflets sur les poils, différents selon les zones), une articulation faciale très étudiée (160 contrôles d’animation différents) suivie de
nombreux essais destinés à mieux faire comprendre au public les attitudes et expressions de Rémy… Le design des autres protagonistes est lui aussi très réussi : du longiligne critique gastronomique Anton Ego au teigneux chef Linguini, en passant par la très masculine Colette, les seconds rôles sont eux aussi croustillants. Mais c’est surtout l’association du rat et de l’homme, le second devenant la marionnette du premier, qui décuple le potentiel scénaristique et humoristique de ce film. Le burlesque (le « petit chef » dirigeant un Emile endormi) ne noie pas le scénario : celui-ci est visiblement travaillé, documenté (notamment quand Gusteau explique au petit rat le fonctionnement de sa cuisine), fondé sur des bases solides (le tiraillement entre ses rêves et sa condition). D’un autre côté l’humour s’est fait plus discret, pour laisser place à une douce rêverie. Par l’ensemble de ce travail, il ressort de l’ambiance générale du film un hymne à l’art de vivre à la française, une invitation à prendre son temps,
une bonne atmosphère rétro, et aussi une réussite parfaite d’un point de vue artistique, venant couronner des années d’effort technologiques.

Le rêve du rat gastronome s’inscrit dans une thématique chère à Disney : il faut croire en ses rêves. Partant de la passion peu orthodoxe qu’un rongeur a pour la grande cuisine, Ratatouille est une réflexion sur le dépassement de soi, pour ses passions, ses amis, pour un idéal. La métaphore du rat qui observe l’humanité d’en bas conduit à une démassification de la société, considérée non plus comme un agglomérat d’êtres (au passage le film égratigne les fast-food et la culture de masse), mais comme un monde dans lequel les valeurs de
solidarité, du travail bien fait, d’exigence personnelle sont nécessaires et doivent être absolument défendues. « On a toujours besoin d’un plus petit que soi », et notre « petit chef » nous donne une belle leçon d’humanité, qui souvent trébuche mais aspire à se relever, qui pêche par égoïsme mais sait pardonner. Si la grandeur d’âme peut être confondue de prime abord avec la naïveté ou la faiblesse (comme Emile le commis apparaît au premier regard), l’éclatante réussite finale des deux héros montre combien ces qualités sont loin d’être futiles.

Le thème de Ratatouille, la grande gastronomie, peut paraître comme très épicurienne dans la manière dont il est traité : Rémy, prêt à tout pour une pincée de safran, va risquer sa vie et son amitié pour les plaisirs de la table. Toutefois la vraie leçon ne réside pas en ce goût des bonnes choses qu’il faut retrouver et conserver vaille que vaille ; il est bien plutôt dans la réalisation de soi, dans les efforts consentis et le pardon réciproque de notre
duo (qui d’ailleurs abandonne la grande cuisine pour ouvrir un petit bistrot appelé La ratatouille… ).

*Citations tirées des notes de production


Stéphane JOURDAIN