Selma

Film : Selma (2014)

Réalisateur : Ava DuVernay

Acteurs : David Oyelowo (Martin Luther King Jr.), Tom Wilkinson (Président Lyndon B. Johnson), Carmen Ejogo (Coretta Scott King), Giovanni Ribisi (Lee C. White)

Durée : 02:07:00


Martin Luther King. La légende. Celui dont la non-violence et les constantes références à la bible inspirent jusqu'aux catholiques blottis dans la froidure des manifestations.

Martin Luther King, dont on a si bien doré la mémoire qu'on oublie même que sa thèse de doctorat en théologie fut un plagiat, même tromperie que celle qui coûta l'année dernière sa place au Grand Rabbin Gilles Bernheim.

Martin Luther King, si bien récupéré à droite et à gauche, qu'on en oublierait presque qu'il était à la fois anti-matérialiste et anti-capitaliste.

C'est sur les marches de Selma, dont l'avant-dernière fut surnommée « bloody sunday » à cause de la répression qu'elle engendra, que la réalisatrice afro-américaine Ava DuVernay a décidé de porter notre attention, incitée par une Oprah Winfrey qui, en plus de co-produire le film, interprète le rôle d'une bonne dame africaine rejoignant la cause de King après avoir été humiliée dans un bureau de vote.

Pour le scénario, le choix de cette période est évidemment idéal.

D'une part, à cette époque, King est au sommet de sa popularité. L'année précédente, en 1964, il venait d'avoir le prix Nobel et l'année d'avant (c'est-à-dire en 1963, pour ceux qui n'ont pas bien suivi), lors de sa campagne d'Albany, il avait reçu l'entier soutien du Président Kennedy, décédé au moment des marches de Selma (à ce moment, c'était le président Johnson). Le film peut donc installer un personnage digne, auquel les autorités sont obligées de faire attention, et qui a une action de terrain autant que politique, puisqu'il fréquente la Maison Blanche.

D'autre part on parle bien des « Bloody Sunday... » Quand on a dit ça on a tout dit. Bloody Sundae, avec ce crétin de Shérif Clark qui confond noirs et punching balls, qui envoie ses troupes fracasser sans états d'âme de pauvres gens sous les yeux de la presse internationale et qui tombe ainsi, comme le demeuré qu'il est, dans le piège tendu par Martin Luther King. Si le film avait opté pour la campagne d'Albany, dans laquelle le très rusé shérif Pritchet avait choisi de riposter à la non-violence par la non-violence et même, comble du cynisme, fait payer la caution pour la libération de King afin que celui-ci ne puisse pas se victimiser, le goût de l'épopée en eût été plus fade. Ici, le massacre est si éloquent que l'empathie atteint des sommets.

Enfin, les marches de Selma marquent d'une pierre blanche la victoire politique de la non-violence. Si Kennedy avait effectivement déjà apporté son soutien au pasteur quand celui-ci croupissait dans la prison de Birningham, c'est bien cet épisode qui contraignit Johnson à signer le Voting Rights Act en 1965.

Ajoutez à cela l'attentat qui faucha quatre fillettes dans la fleur de l'âge, crime perpétré une année plus tôt contre une église baptiste par le Ku Klux Klan, et vous comprendrez toute l'intensité dramatique du film.

D'autant que les acteurs sont vraiment remarquables. Le britannique David Oyelowo incarne un Martin Luther King plus vrai que nature, et le tout aussi britannique Tom Wilkinson, qui incarnait déjà avec beaucoup de sincérité le général dans The Patriot, entre dans la peau de Johnson avec une remarquable aisance.

Le reste de la réalisation est banale. La caméra ne prend aucun risque, mais elle n'en a pas besoin. Les faits relatés et le jeu des acteurs suffisent…

Pourtant, le film n'est pas toujours honnête. En dénonçant la surveillance opérée par le FBI sur le pasteur, il omet de dire que les communistes essayaient d'infiltrer la moindre force collective pour essayer de déstabiliser les États-Unis au profit de Moscou.

Il ne donne pas non plus suffisamment de place à Ralph Abernathy qui fut un soutien indéfectible de Martin Luther King, même s'il est vrai qu'il ne put supporter la rigueur des bidonvilles lors de la fameuse campagne des pauvres, qu'il tenta avec son ami une année plus tard.

Toutefois la figure de Coretta Scott, la femme de King, est assez bien envisagée. Elle montre que derrière tout grand homme se trouve une femme dont la force n'évacue pas la fragilité, oxymore magnifique signant la vertu suprême des femmes.

Très clairement, le film entend montrer un King simple, saisi dans sa vie conjugale et privée. Un homme ordinaire au destin extraordinaire, qui mange, boit, blague et doute ; qui allie à la bassesse de l'intelligence tactique l'innocence grandiose des idéaux rêveurs.

Ce film est-il une énième tentative désespérée de sauver la popularité de Barack Obama ? Possible, mais ce serait peine perdue. L'Amérique a fini de s'abreuver aux liqueurs du racialisme forcené. Elle est désormais capable d'aimer Martin Luther King tout en méprisant celui qui leur paraît traître aux espérances.

Il ne suffit pas d'avoir la barbe et les cheveux longs pour être Jésus, il ne suffit pas d'être noir pour être le King...