Sicario

Film : Sicario (2015)

Réalisateur : Denis Villeneuve

Acteurs : Emily Blunt (Kate Macer), Benicio Del Toro (Alejandro), Josh Brolin (Matt Graver), Jon Bernthal (Ted)

Durée : 02:02:00


Avec Denis Villeneuve, on ne sait jamais. Incendies avait été acclamé par la presse et, pourtant, laissait circonspect. Ensuite, cette même critique avait cru complimenter le Québécois en comparant son Prisoners à Seven. En arrêtant un peu de lécher les bottes de David Fincher, comme on le fait pour Tarantino et d’autres, il fallait se rendre à l’évidence que Prisoners se situait un ton au-dessus. Puis vint discrètement un essai d’auteur ésotérique, le gênant (et ennuyeux) Enemy

Mais le réalisateur semble revenir à des codes cinématographiques moins déroutants (même si, oui on sait, Enemy a été réalisé avant Prisoners). Si on ne le connaît pas, on peut même s’attendre à un thriller parmi les autres, dans un univers déjà visité, dans lequel le « grand » Ridley Scott s’est gentiment planté (avec son Cartel).

Rassurez-vous. Il était impossible de comparer un nouveau film de Villeneuve avec un de ses précédents, et la chose se confirme. N’allons donc pas nous demander vainement si Prisoners est meilleur ou non, car tout le fond y est différent.

En revanche, difficile de ne pas à nouveau frémir : dans l’enfer de la frontière mexico-américaine, le spectateur est plongé comme rarement dans l’ombre des agissements de la CIA. Si les fusillades ne valent pas celles d’un Michael Mann, celles-ci sont en tout cas amenées dans un suspense écrasant, propre à Villeneuve, qui arrive à réinventer la préparation de l’action, alors qu’on croyait avoir déjà tout trouvé.

Celui-ci veut nous faire réfléchir sur la limite du bien et du mal. On se demande, comme le personnage ingénu d’Emily Blunt (malgré son flingue), si les pratiques des services secrets sont très morales, très démocratiques (très Charlie ?), etc.
L’action divise : est-elle l’équité, pragmatique, comblant les vides de la justice, ou l’affranchissement de la loi ? Le symbolisme soutient la réflexion : la femme, blonde, pure, sous la lumière du directeur photo, l’idéaliste en un mot, torturée dans cette fournaise de loups, bruns, barbus, violents, filmés dans l’ombre, à la fois plus adaptés face au mal des cartels, et plus salis par leurs choix. Difficile de trancher. Nietzsche, vous le savez sûrement, prévenait : « Quiconque lutte contre des monstres devrait prendre garde, dans le combat, à ne pas devenir monstre lui-même. »
Villeneuve lui-même assume, dans une interview au Figaro, la non-réponse du film, ainsi que la comparaison, difficile à ne pas faire (à laquelle j’ajoute quelques ingrédients odieusement réacs), entre l’Amérique du confort, bien intentionnée et pacifique, et le Mexique de la réalité, sombre, dure, éprouvante.

Doté d’impressionnantes qualités de réalisation (plans panoramiques, immersion par les vues « à la 1ère personne », son, musique aux tambours guerrière), le Sicario de Villeneuve est une virée en enfer, avec les images et coups que cela suppose. N’oubliez pas la suite de la phrase célèbre de l’obscur Friedrich : « celui qui scrute le fond de l'abysse, l'abysse le scrute à son tour » …