Silence

Film : Silence (2016)

Réalisateur : Martin Scorsese

Acteurs : Andrew Garfield (Père Sebastião Rodrigues), Adam Driver (Père Francisco Garupe), Liam Neeson (Père Cristóvão Ferreira), Tadanobu Asano (L'Interprète)

Durée : 02:41:00


Scorsese décide enfin d’aborder la religion catholique, qui l’obsède, avec sérieux (le projet a germé une vingtaine d’années dans la tête du maître). 

Son dernier-né, Silence, aborde un sujet sensible, l’apostasie. A travers cela, le monumental réalisateur touche à plusieurs problématiques depuis longtemps clarifiées, mais pas évidentes pour autant. 

Tout d’abord, la foi : le silence du titre est celui de Dieu. Principe de toute la vie de ces deux prêtres chargés de tenir allumée la flamme de l’Eglise dans un Japon hostile, Dieu n’en demeure pas moins théoriquement invisible, insaisissable, impossible à localiser, non dépendant du temps, de la matière. Et par conséquent, il est théoriquement silencieux. Habitude prise dès que l’on apprend à prier, le silence physique répondant aux paroles humaines peut devenir objet de vertige pour une âme tourmentée. 

Et notre âme tourmentée est celle d’un jeune jésuite, plein de fougue, fier et volontaire. « Arrogant », dit un de ses observateurs japonais. L’arrogance consiste peut-être à aller confronter son esprit aux pires épreuves, non seulement physiques, mais surtout morales. Il peut sembler bien imprudent, arrogant pourquoi pas, de se lancer dans un véritable enfer avec une foi sensible à quelques doutes. Non pas que les épreuves qu’il subit soient aisément surmontables (sûrement pas : Silence est formellement le spectacle éprouvant d’incessantes persécutions), mais partir dans un lieu de souffrances ahurissantes et ne pas supporter la vision de la souffrance semble quelque peu risqué. 

Au-delà des problèmes de foi, il y a bien sûr celui de l’apostasie. Scorsese n’entre pas dans la logique de l’Église sur ce point, celle du martyr (que Scorsese, pourtant, a l’air de trouver courageuse), qui consiste à considérer qu’un bien (la survie) ne pouvant être obtenu par un mal (l’apostasie), celle-ci ne peut être choisie. Il n’entre pas non plus dans le principe expliquant que Dieu ne laisse jamais l’homme subir l’insupportable (au sens strict de l’adjectif). 

On pourra toujours essayer de trouver des brèches : moindre mal, absence de liberté des malheureux poussés à renier leur foi… La logique demeure la même : les circonstances atténuantes d’un acte mauvais ne le rendent pas bon, ou neutre. Du lâche préférant errer, traître, renier encore et encore, au prêtre à l’endurance héroïque, le film retrace le dilemme qui a rongé l’apôtre Pierre, reniant le Christ trois fois, et commençant pourtant plus tard l’œuvre colossale de la propagation de l’Évangile, sans toutefois évoquer ce possible parallèle, en donnant un avis très clair, et pas franchement catholique… 

On apprécie toutefois l’admiration ostentatoire pour le courage de ces chrétiens privés de liberté, de ces missionnaires, de la persistance de l’amour de Dieu, et la réponse finale à ce terrifiant silence. Pour l’essentiel, Scorsese fait agir Dieu même, avec la logique des hommes (grave erreur !), mais surprend en livrant aussi des actes divins suivant une logique crédible de Dieu (se manifester à travers les plus petits, par exemple). 

Voilà comment on pourrait parler synthétiquement de ce Silence qui en dit sacrément long sur des questions complexes et passionnantes. C’est d’ailleurs une force du film, que de choisir un sujet pas vraiment brûlant d’actualité et d’en faire un objet si fouillé, si fertile en réflexions, et finalement, si brûlant. 

Spectacle véritablement éprouvant par les tortures morales infligées par des Japonais radicaux, attachés à la fois à une image d’hommes d’État, et à celle de Satan, harceleur et menteur, Silence vaut toutefois le détour, si on a le cœur bien accroché. Dialogues de qualité, non seulement sur ces sujets, mais aussi sur la place de la religion chrétienne dans un pays nouveau, sur le rapport entre religion universaliste et identité nationale bouddhiste, Silence, quoi qu’on pense de son discours, est un objet cinématographique digne des grands classiques. 

De la nature hostile aux tourments intérieurs d’un missionnaire isolé, en passant par des images-tableaux et des personnages particulièrement profonds, le travail derrière cette histoire est colossal. Digne des grands classiques pour sa richesse, mais en même temps, incomparable : non, Silence n’est pas un Mission version Scorsese. Plongée dans les entrailles du Japon de l’époque des grandes découvertes, plongée dans les tourments sur la foi l’amour, la fidélité, le pardon, ce Silence est unique. Non seulement pour tout cela, mais aussi grâce à sa réalisation, superbement maîtrisée : on frise les trois heures sans une seconde d’ennui, dans une ambiance et une reconstitution saisissantes, et un enchaînement de péripéties jamais prévisibles, de bout en bout. 

Une aventure dans les tréfonds du Japon et des âmes, discutable sur des pages entières, mais formellement magnifique.