Spotlight

Film : Spotlight (2015)

Réalisateur : Tom McCarthy

Acteurs : Michael Keaton (Walter Robinson), Mark Ruffalo (Michael Rezendes), Rachel McAdams (Sacha Pfeiffer), Liev Schreiber (Marty Baron )

Durée : 02:08:00


 Récompensé de l’Oscar du meilleur film 2016, Spotlight porte un coup de projecteur sur la sombre affaire de pédophilie qui a ébranlé en 2002 la ville de Boston, bastion du catholicisme aux Etats-Unis. Si le sujet est brûlant, les proportions de l’affaire ayant eu un retentissement énorme, notamment dans l’Eglise catholique, le réalisateur Tom McCarthy n’a pas souhaité en rajouter. Il s’est emparé d’un scénario figurant sur la Blacklist 2013 des meilleurs scripts n’ayant pas trouvé de réalisateur, pour le modifier de façon à ne laisser transparaître que l’exactitude historique des faits et du comportement des principaux protagonistes. De ce fait, il s’appuie sur une réalisation très sobre et un thème musical grave et répétitif. La simplicité de sa mise en scène lui permet de traiter le sujet de manière dépassionnée et, disons-le, intelligente.

Le film redonne au journalisme d’investigation ses lettres de noblesse. Pour cela il s’inspire ouvertement des Hommes du Président (Alan Pakula, 1976) avec la lumière froide de ses salles de rédaction, ses témoins anonymes proches du pouvoir, l’émulation constante de ses journalistes hyperactifs bravant les dangers et surmontant les défis. On est assez loin du journalisme d’aujourd’hui presqu’exclusivement accro de petites phrases ! Côté interprétation, l’artillerie lourde d’Hollywood est bien mobilisée pour pilonner les bases corrompues de l’archidiocèse de Boston : Mark Ruffalo (l’intraitable enquêteur du Zodiac de D. Fincher, 2007), Rachel McAdams (habile et séduisante enquêtrice perçant les secrets intimes) et Michael Keaton (déjà oscarisé en 2015 pour Birdman) composent l’équipe « Spotlight » du Boston Globe chargée des enquêtes spéciales.

Un film sur la loi du silence imposée par l’épiscopat américain 

Sur le fond proprement dit, le film a le mérite de soulever sans lourdeurs ni vulgarités excessives un sujet plutôt repoussant tant pour les spectateurs en général que pour les catholiques eux-mêmes. Cette approche pleine de recul sur les événements et bien recadrée historiquement permet de tirer des leçons très enrichissantes.

Elle permet de réfléchir sur la nature du phénomène. En cela le film insiste sur la détermination des journalistes de l’époque à prouver le caractère systémique du scandale de pédophilie aux Etats-Unis. Il évite de s’attarder avec trop de détails glauques sur la spécificité de tel ou tel cas isolé visant une minorité de prêtres, pour pointer du doigt la vraie nature du scandale : le fait que la hiérarchie ecclésiale, informée des faits depuis plus de vingt-cinq ans, ait couvert ces agissements par tous les moyens en imposant une loi du silence. Indemnisation des victimes à hauteur de 20 000$ en échange de leur discrétion, intimidation de leurs avocats, intimidation de journalistes, suppression des pièces à conviction détenues par la justice américaine : les faits sont accablants pour le cardinal Law et son archidiocèse.

Le film use de procédés assez classiques pour mettre en image cette loi du silence : téléphones qui raccrochent au nez sans raison, témoins mystérieux délivrant leurs indices au compte-gouttes, phrases chargées de sous-entendus quant à l’inaction des pouvoirs publics eux-mêmes suspectés d’être phagocytés par les ramifications de l’Eglise… on retrouve bien là en filigrane les spéculations souvent hasardeuses sur le culte du secret qui serait en vogue dans le catholicisme depuis de nombreux siècles… Néanmoins le film est intelligent parce qu’il contrebalance ce préjugé en armant de prudence ses enquêteurs devant les témoignages des victimes parfois emportées par leur émotivité. Par ailleurs, ces enquêteurs ont bien conscience de s’en prendre à des hommes d’Église et non au catholicisme lui-même. Distinction qui a son importance, car un autre film aurait très bien pu profiter de l’aubaine pour dégommer le message chrétien dans son ensemble. Spotlight au contraire ne se soucie que de la recherche de la vérité. Une posture évidemment avantageuse en ce qu’elle convertit en parangons de vertu des professionnels pas toujours réputés pour leur respect de la déontologie. Mais une posture valeureuse qui pose de vraies questions pour la foi : avoir son catéchisme dans sa bibliothèque et participer à des galas de charité fait-il de vous un bon chrétien ? Défendre par le silence l’indéfendable au nom de la bonne réputation de l’Eglise et du christianisme, est-ce faire avancer la cause de la foi ? En réponse à cela, le témoignage d’une victime tombe comme un couperet : « Le plus grave ce ne sont pas les sévices physiques, mais les sévices spirituels, car quand un prêtre vous fait cela, il vous dépouille de votre foi »

Une enquête poussée sur les improbables raisons de ce silence

Evidemment la pilule est dure à avaler du côté du catholicisme. Comment un tel état de pourrissement du clergé a-t-il pu se généraliser pendant des décennies aux Etats-Unis et dans certaines parties du monde sans que personne n’en soit informé ? Tom McCarthy ne se résout pas à une solution facile, monocausale, qui se contenterait de dénoncer uniquement le culte du secret imputé à l’Eglise catholique la plupart du temps. Car, fait-il dire aux défenseurs de l’archidiocèse, l’Eglise est plus qu’une chasse gardée du secret : elle est constituée en majorité de personnes qui œuvrent ouvertement au bien de la société. 

Alors Tom McCarthy va chercher d’autres explications. Tout d’abord les démarches poussives de l'association « Snap » (Réseau des survivants des victimes de prêtres). Ce réseau met en contact les victimes d'un même prêtre au travers des Etats-Unis. Mais il se heurte pendant longtemps à l’absence de réaction des médias eux-mêmes et à la timidité des victimes préférant ne pas se livrer. Il faut dire que les enfants sont souvent poussés au silence par leurs parents, pour l’honneur de leur communauté paroissiale et de l’Eglise elle-même. 

Ensuite, pour expliquer l’éclatement tardif de ce silence, l’auteur recourt bien sûr aux éléments historiques dont il dispose : tout d’abord l'arrivée en juillet 2001 d'un nouveau directeur de la rédaction, Martin Baron, à la tête du Boston Globe. Avec lui, le 6 janvier 2002, le Boston Globe ouvre une voie inédite, celle de la bataille juridique. Les juristes de ce journal, des avocats, attaquent le diocèse de Boston devant la justice et parviennent à obtenir l’ouverture d’archives confidentielles concernant le dossier clé du Père Geoghan. Mais les soupçons de complicité pèsent sur le journal lui-même : on découvre que la rédaction avait été mise au courant de faits très graves 20 ans auparavant et disposait déjà de toutes les pièces à conviction. Cependant personne n’avait réagi et l’affaire avait été inexplicablement enterrée.

Il faut dire qu’au moment des faits qui ont débuté dans les années 60/70, la pédophilie est parfois assimilée à une forme de libération sexuelle notamment par la contre-culture hippie qui a pignon sur rue à Boston et dans le Massachussetts. Si le film évoque des problèmes de continence pour 50% des prêtres américains, il ne peut s’empêcher de faire également allusion à ces prêtres qui ont des connivences avec le mouvement hippie. Au même moment en France, en 1977, le journal Libération prône ouvertement la pédophilie au nom de la liberté sexuelle et milite pour la création d’un Front de libération des pédophiles (Flip), injustement incarcérés selon le journal. Il n’est donc pas si étonnant que les scandales de pédophilie n’aient pas secoué l’actualité durant des décennies où elle semble avoir été implicitement institutionnalisée. Personne n’a jugé bon de réagir, rappelle plusieurs fois le film, qui ne s’étend malheureusement pas sur les raisons du silence des médias. 

Dans ce contexte, la démarche qui consiste à faire enfin éclater la vérité dans les années 2000 ne procède pas tant d’un désir d’éclabousser l’Eglise que d’une volonté de rendre justice à tous les enfants victimes d’un odieux silence généralisé. Spotlight révèle ainsi des vérités dures, mais des vérités qui restituent un cadre de vie plus digne à des familles secrètement bouleversées par ces drames répétés. La lumière sur cet effroyable système édifié par le chantage autant que l’omission, ne peut qu’encourager l’Eglise à rechercher les causes de son propre délabrement. « On ne peut pas défendre l'indéfendable », a déclaré le porte-parole du diocèse de Boston, le Père Christopher Coyne. « C'est nous qui avons créé ce sujet. C'est nous que nous devons blâmer. Les médias font leur travail. »