Star Wars : Episode I - La Menace fantôme

Film : Star Wars : Episode I - La Menace fantôme (1999)

Réalisateur : George Lucas

Acteurs : Liam Neeson (Qui-Gon Jinn), Ewan McGregor (Obi-Wan Kenobi), Natalie Portman (La reine Amidala / Padmé Naberrie), Jake Lloyd (Anakin Skywalker)

Durée : 02:13:00


 « Chaque génération a sa légende. Chaque voyage a un premier pas. Chaque saga a un commencement ».

Si vous êtes nés, comme moi, dans les années 90, ou après, vous vous rappelez avoir toujours vu les bandes annonces de films sur internet. Mais avant, comment faisait-on ? On allait au cinéma ! En 1998, la bande annonce du premier épisode de la saga Star Wars sort en première partie des films déjà en salle comme Rencontre avec Joe Black. Le public est si excité que la fréquentation des salles pour ces films est multipliée par dix, les guichetiers de cinéma racontent même que les salles se vidaient une fois la bande annonce diffusée. Il faut dire qu’après Le retour du Jedi (1983) les fans de la saga ont attendu quinze ans d’avoir un nouveau film ! Le film, qui n’est en soit pas mauvais, n’a pas plu aux fans. Essayons de comprendre pourquoi en le replaçant dans son contexte.

Les principaux reproches concernent le jeu d’acteur qui sans être faible semble trahir ce à quoi la saga avait habitué son public. Reconnaissons que le casting est alléchant avec justement Liam Neeson (La liste de Schindler) doué de charisme certain, Ewan McGregor (Trainspotting, Moulin rouge) et Natalie Portman – à l’époque uniquement connue pour son rôle déjà très mûr dans Léon – et le jeune de l’équipe : Jake Lloyd, qui malgré ses 10 ans se voit sévèrement critiqué. Quel défi pour le jeune garçon qui doit jouer le futur Dark Vador ! Seul Ewan McGregor, malgré son faible temps d’écran, semble tirer son épingle du jeu, en devenant par la suite le pilier d’une saga en mal de reconnaissance. Natalie Portman, jouant tantôt le visage froid et inerte d’une reine léthargique sous un masque de maquillage, tantôt le visage souriant et énergique d’une femme en quête d’aventure, n’arrive malheureusement pas à nous sortir une réelle performance d’actrice : dommage, car la schizophrénie de son rôle s’y prêtait bien. Liam Neeson, de son coté, convainc en vieux père adoptif mais peine à incarner le Jedi rêvé du public.

Pour comprendre ces erreurs de jeu, rappelons les bases de l’univers Star Wars : le Bien et le Mal s’affrontent dans une galaxie (très) lointaine. Dans la foule immense, où de nombreuses espèces intelligentes se côtoient, certains sont appelés à une vocation singulière : la très mystérieuse « Force » serait en eux. Ces élus peuvent se former pour devenir Jedi et rejoindre une vieille organisation dont le but est de défendre le bien. Ils peuvent tout autant se perdre dans les ténèbres et servir le mal, l’ambition et la colère en devenant des Siths. Pour de nombreux enfants, Star Wars c’est donc ça : des chevaliers puissants capables de magie, un mal personnifié à combattre, des vaisseaux spatiaux, des armes laser etc. Un mythe empaqueté d’humour et de la nécessité qu’a chaque personnage d’être « classe » ! Alors découvrir des acteurs plutôt mièvres, qui ont l’air peu emballés par leurs propres rôle, c’est assez frustrant ; c’est ce que corrigea le troisième film (La revanche des Siths, 2005)

A cela s’ajoute le problème principal du film, et le dernier que je citerai : son scénario. Là où la trilogie originale se déroulait dans des déserts de sable ou de glace, à l’intérieur de vieux vaisseaux rouillés que l’on bricolait pour combattre le puissant empire du mal, l’histoire se déroule à présent dans une planète-ville, au sénat, et dans une salle du conseil, où l’on parle politique. En un mot, ça bavarde ! La magie de l’univers perd de son mystère. À l’étrangeté de la Force, on substitue les « médi-chloriens » : de petits parasites donnant leur pouvoir aux Jedi et dont on peut mesurer l’importance par une simple prise de sang.


Néanmoins, le film propose de nouveaux centres d’intérêt : une approche plus humaine des personnages, moins humoristique, ainsi qu’une intrigue plus développée et moins linéaire. Alors que les précédents films proposaient une quête par film et une quête englobant toute la trilogie, nous suivons maintenant les plans de Palpatine, ceux du Sénat et des Jedi, le combat d’Amidala, etc. Un virage risqué est pris avec cette nouvelle trilogie, celui de changer de genre. Car il faut conquérir un autre public, en évitant de trop dégoûter l’ancien.

Pour cela, George Lucas, créateur de la saga et réalisateur, sait s’y prendre avec l’arme ultime des blockbusters d’Hollywood : le fan service. En l’occurrence la scène de course, et le combat aux sabres laser final qui sont, il faut l’avouer, très bien réussies, correspondent à ces canons. La course a lieu dans un désert rocheux semblable à celui d’Un nouvel espoir (premier film Star Wars, 1977). Un enfant, seul parmi des adultes, parvient à construire son propre bolide de bric et de broc, et se lance dans une course de près de quinze minutes. George Lucas s’autorise pour cette scène d’explorer toutes les nouvelles possibilités de l’informatique pour livrer un spectacle hors norme. On reconnaît le style de la bataille d’Endor du Retour du Jedi, comme l’image accélérée, ou les plans moyens sur le visage du pilote permettant de voir défiler le paysage derrière lui, etc. Ces scènes et quelques autres réveillent chez certains le goût presque fané qu’avait eu la trilogie originale. Mais pour ceux qui découvrent l’univers, il s’agit d’un nouveau cinéma, mêlant politique, aventure et romance : un cinéma d’enfant qui pourrait être sérieux, mais qui permet surtout de s’évader.

Car c’est bien d’évasion qu’il s’agit dans cette nouvelle trilogie. On ressent dès le début du film un désir du réalisateur de se libérer de son œuvre précédente. Ou plutôt d’en redevenir maître, en se libérant de ces principales contraintes : la technique et le regard critique. Le regard critique dont George Lucas s’émancipe tout au long de sa carrière, grâce à Star Wars, est avant tout celui des studios. Après des années 50 très fructueuses pour Hollywood, les années 60 furent une période plus difficile. La seule solution envisageable au début des années 70 fut de faire confiance à des nouveaux esprits, à des imaginations fraîches, Georges Lucas en fait partie. Et cette nouvelle génération releva le défi avec entre autres Le Parrain, Les dents de la mer et bien sûr Star Wars, mais en travaillant sous la pression de producteurs qui craignaient la faillite. Vingt ans après ce combat, Lucas comprend que le nouvel obstacle est le public. Il reconnaît maintes fois en interview qu’il se sent obligé de renoncer à certaines choses à cause de la réaction pressentie de son publique. Ainsi coupe-t-il la poire en deux encore une fois entre le fan service et ses rêves d’auteur.

Grâce à l’informatique, l’auteur se libère de la contrainte technique et s’autorise toute extravagance dans la direction artistique. Il faut reconnaître que son œuvre est splendide, que les palais et les robes de la reine Amidala – Natalie Portman – sont d’un baroque flamboyant qui prend de nouveau le contrepied des productions contemporaines à l’esthétique plus sombre (comme Terminator, ou Matrix – qui remporta de nombreux oscars qui semblaient promis à Star Wars). Encore une fois, la production Lucasfilm se place au début d’une nouvelle ère…

Malheureusement pour eux la contrainte est essentielle à l’art. En mise en scène par exemple, où de nombreuses trouvailles sont nées pour contourner un défaut budgétaire. Ici, rien : les acteurs sont perdus dans de grandes salles vides et bleues, que des informaticiens doivent décorer sur leur ordinateur en piochant un décor dans le stockage infini de la machine. Alors acteur, graphiste et réalisateur… Nul ne sait que faire, puisqu’il n’y a rien à faire, si ce n’est sortir les répliques. Aucun combat à mener chez l’acteur, aucune confrontation… Aucun accessoire à reforger, repolir et repeindre chez le graphiste, et chez le réalisateur, aucun critère de choix. Lucas, en pionnier, profite d’une nouvelle manière de faire des films, mais le film en pâtit. Nous ne pouvons pas lui en vouloir : après 20 ans d’informatique au cinéma, rares sont ceux qui ont réussi. Car lorsque l’on peut tout imaginer, il faut tout imaginer… C’est là qu’on mesure que la libération numérique du cinéma pourrait finalement devenir sa nouvelle prison.

Cette espace infini de possibilités est propre à l’univers même de Star Wars. Une mythologie complète, une multitude de destins entremêlés, des mondes imaginés de l’infiniment petit à l’infiniment grand. Une galaxie qui évolue sur plusieurs générations d’histoire… Il fallait bien relâcher la bride de l’imagination, pour espérer remplir cet univers cinématographique. Les sources d’inspiration sont nombreuses : les totalitarismes, la Bible, les peuples nomades, le théâtre de Shakespeare même ! Et Georges Lucas, en bon réalisateur, sait utiliser les symboles. Le héros naît d’une fécondation spontanée de sa mère, comme le Christ. La charte graphique de l’empire du mal est inspirée de l’armée allemande de 39-45. Le destin de Padmée et Anakin fait penser à Roméo et Juliette…

Pourrait-on y trouver une signification morale ? Dans ce film ne sont posés que les fondements d’un univers exploité dans les deux suites mais on peut malgré tout isoler les notions de force et de libre arbitre. La force est une capacité de l’âme, en vertu de laquelle nous participons du monde. Elle donne leur dignité aux êtres. Certains en sont mieux dotés, mais dans un esprit de service : le leitmotiv de ce film étant de choisir le bien par la maîtrise des sentiments et l’attention à portée à ce qui nous entoure. Le mal, au contraire, se nourrit du ressentiment que l’on garde en soit. La phrase très célèbre chez les fans de Maître Yoda, « la peur mène à la colère, la colère mène à la haine, la haine mène à la souffrance », pousse néanmoins le modèle dans ces retranchement et donne comme idéal une déshumanisation par le rejet de toute émotion. La peur, par exemple pourrait être salvatrice ; la souffrance, mère d’humilité. L’homme de bien tend à un bien rationnel et sans entrave émotionnelle ; l’homme du mal s’anime de colère pour assouvir une jalousie inexpliquée (en six films, nous ne savons toujours pas quel est le projet des Siths…), non rationalisée. Un manichéisme assez américain, mais surtout très lié à la science-fiction. Le puritanisme calviniste (représentant l’Amérique idéale, Spock dans Star Treck) contre le romantisme qui peut tout justifier par l’emprise qu’a sur nous notre souffrance, et le désir de s’en débarrasser.

Seul le libre arbitre paraît alors une voie d’humanisation des personnages. Et même Anakin, jeune garçon de dix ans, se voit offrir par sa mère l’opportunité de choisir lui-même sa vie : le choix de quitter le foyer pour aller combattre le mal à l’autre bout de la galaxie. Fallait-il que cette mère soit convaincue du schéma manichéen que j’expliquais plus haut pour pouvoir laisser partir son fils. On aurait attendu une réaction plus viscérale de sa part, mais elle avait dû comprendre l’importance du devoir, et si ce n’est relativiser, au moins rationaliser le sacrifice auquel elle consentait. Et c’est là la limite de la notion de libre arbitre dans ce Star Wars, car le manichéisme encadre le destin de chaque personnage selon son camp. Anakin devait devenir Jedi, Maître Yoda devait accepter sa candidature malgré sa réticence, etc. Bref, ce manichéisme, mélangé à une mentalité protestante de prédestination, peut exposer aux enfants des schémas à éviter, mais le film ne trouve pas de signification plus profonde. Il y a des chances pour que la jeunesse retienne plus le son des sabres laser que le destin inévitable des personnages… Il fallut attendre les deux suites de cette trilogie pour voir des thèmes moraux plus développés, et mieux comprendre le fond de la pensée de Lucas.

Le film ne trouve pas de sens par profusion de symboles. Le principe du symbole est de créer un lien. C’est d’ailleurs le nom que l’on donnait à un objet en deux morceaux que deux parties d’un contrat conservaient avec eux. Au moment de se retrouver, le symbole reconstitué scellait l’accord commercial trouvé jadis. Si Lucas hérite du sens commercial de ces symboles, il peine malheureusement à retrouver une partie avec qui sceller les retrouvailles. La menace fantôme, grande fresque spatiale inévitablement impressionnante, manque malgré cela son rendez-vous avec les fans et avec l’histoire de la SF. Il réussit néanmoins à inspirer une nouvelle manière d’appréhender le cinéma, dont les réels acteurs ne pouvaient être les initiateurs de la révolution précédente, mais leurs héritiers, comme J.J. Abrams, qui s’apprête à réinventer le vieux Star Wars, presque quarante ans après l’avoir découvert étant enfant… Du temps où on allait au cinéma.