Star Wars : Episode III - La revanche des Sith

Film : Star Wars : Episode III - La revanche des Sith (2004)

Réalisateur : George Lucas

Acteurs : Hayden Christensen (Anakin Skywalker / Dark Vador), Ewan McGregor (Obi-Wan Kenobi), Natalie Portman (Padmé Amidala), Ian McDiarmid (le Chancelier Suprême Palpatine / Dark Sidious), Samuel L. Jackson...

Durée : 02:20:00


C'est avec une émotion palpable que le fan assiste à l'ultime point d'orgue de la célébre série initiée en 1977 par George Lucas. Le défi était de taille. Il s'agissait d'assurer avec finesse et vraisemblance la transition entre les deux premiers épisodes lancés en 1999 et cette trilogie culte d'antan. Mission réussie !
Les évènements s'emboîtent avec logique et simplicité, ce qui n'est pas évident lorsque l'on sait que Lucas est un original du montage : « Paradoxalement, le processus par lequel nous aboutissons à cette narration classique est tout sauf traditionnel. George décompose le film en fragments qu'il recombine au fur et à mesure du montage. Ce processus est presque aussi fluide que celui d'un film d'animation » (Ben Burtt, monteur et ingénieur du son). A nuancer cependant lorsqu’on considère cette façon très classique d’utiliser la technique du montage alterné pour raconter deux histoires parallèles (technique plus qu’habituelle dans la quasi-totalité des séries télévisées américaines). Les transitions qui avaient déjà fait la spécificité des épisodes IV, V et VI sont en revanche toujours aussi originales (damiers, fermeture à l’iris, volets, etc.). Les tatillons ne seront donc pas déçus. L’épisode III est bien l’épisode clé qui permet de comprendre et d’unifier les deux trilogies. Cette unification prend prétexte de tout et s’appuie aussi bien sur l’excellent jeu des acteurs que sur les accessoires. Ainsi Erwan McGregor (Obiwan Kenobi) passait-il en boucle toutes les scènes interprétées par Alec Guinness dans la première trilogie, pour se calquer sur ses paroles, intonations et gestuelle. Habits et coupe de barbe identiques sont venus ajouter encore un peu plus de continuité.
Face à lui, Hayden Christensen (Dark Vador) n’est pas en reste. Portant les mêmes cicatrices que Sebastian Shaw dans Le Retour du Jedi (1983), il a pris onze kilos pour le rôle et s'est laisser pousser les cheveux.
Sorti tout droit du Retour du Jedi, Ian McDiarmid (Palpatine) revient pour jouer un chancelier au sommet de son machiavélisme. La très fameuse forme de sa bouche constituait un indice parlant depuis l’épisode I.
Enfin Peter Mayhew (un géant de 2 mètres 21) vient réendosser le costume de Chewbacca qu’il n’avait pas remis depuis 22 ans !


 
L’épisode II avait déjà révélé le talent d’Hayden Christensen. Il fallait en effet un excellent acteur qui puisse être à la hauteur des trois pointures de cette nouvelle série : Erwan McGregor (acteur entre autres dans Moulin rouge, La chute du Faucon Noir et qui a prêté plus récemment sa voix dans Robots), Samuel L. Jackson (Kill Bill : Volume II, Jurassic Park, XXX 2…) et Christopher Lee (Dooku dans le film, Saruman dans Le Seigneur des anneaux). La conversion au mal est ainsi magnifiquement rendue par cette démarche bien particulière rehaussée d’un regard plus qu’inquiétant. Anakin transpire la prétention et l’arrogance, qu’il vit dans une angoisse réellement communicative.
Dans l’ancienne trilogie, le spectateur avait suivi les aventures de Luke. Dans la nouvelle, il suit celles d’Anakin. Mais la nouvelle trilogie prend toute son importance quand on se rappelle que c’est Dark Vador qui tue finalement l’empereur, dans Le retour du Jedi. On peut donc affirmer que le personnage principal de la saga toute entière est Anakin, dont on suit la formation puis la double conversion. Aussi n’est-on pas étonnés de lire les propos de George Lucas : « les spectateurs qui regarderont la saga dans sa continuité logique, du premier au sixième épisode, vivront une expérience nouvelle. Ce qui m'a poussé à réaliser les épisodes I, II et III, fut le désir de donner plus d'ampleur à l'aventure d'Anakin, cet homme qui après avoir pris un excellent départ dans la vie, cède aux forces du mal, puis finira par être sauvé par ses enfants. Et c'est très excitant de voir tout cela prendre corps et se mettre définitivement en place. » Devant lui se dresse un Obiwan posé qui campe son absolu contraire. Le très attendu combat entre le disciple et son maître (qui a demandé de longues séances d'entraînement durant trois mois à raison de cinq à huit heures par jour et de mémoriser plus d'un millier de mouvements différents) devait donc refléter cette différence. « Sur une échelle de 1 à 10, Obi-Wan se situe au niveau 8, ce qui est aussi le niveau de départ d'Anakin. Mais Anakin se hisse d'un bond au niveau 9. Cela fait une énorme différence, un peu comme s'il passait d'un coup des ténèbres à la lumière. Ce duel reflète bien leurs personnalités respectives. Anakin a appris à se battre, il possède un immense talent, mais il n'a pas la maturité pyschologique de son mentor. Savoir cela nous a énormément aidé dans le régalage de la scène. » (Nick Gillard, Maître d’armes).
 
Les décors sont quant à eux toujours aussi grandioses. Pris au quatre coins du monde (Chine, Thaïlande, Suisse et Maroc) ou reconstitués par nos amis les ordinateurs, ils sont l’exact reflet du déroulement de leur contenu. Ainsi le combat entre Anakin et Obiwan prend-il forme au milieu de la lave en fusion. « Il nous fallait un environnement réaliste, extrêmement dangereux, soulignant et amplifiant la violence de cet affrontement entre deux personnages d'une grande puissance. J'ai voulu que ce décor soit aussi hostile que possible et plus brûlant que l'enfer, un véritable Niagara de lave en fusion. » (Roger Guyett, chargé de la création de la planète Mustafar).
 
Enfin il serait indécent de ne pas parler du fabuleux John Williams, qui s’est surpassé pour nous plonger dans sa précieuse musique intergalactique : « Quand j'écris la musique d'un film de la saga Star wars, c'est comme si je composais pour une seule entité, à laquelle j'ajoute des morceaux dans chaque nouvel épisode. Autant que je sache, c'est quelque chose d'unique dans le monde du cinéma. » George Lucas est de ceux qui ont débuté dans l’indifférence et qui se sont fait un nom à la hauteur de leur travail et de leur prise de risque. Une belle histoire qui rappelle que le cinéma n’est en fin de compte tributaire que d’une réalité immuable : la sanction du public. Souvent la question n’est pas de savoir si un réalisateur mérite son succès, mais de savoir s’il a du succès.
Aujourd’hui on peut dire que George Lucas aura jusqu’à la fin réunit les deux.

De prime abord, le spectateur catholique ne peut qu’être séduit par la qualité morale du film. Un ordre de Jedi qui ressemble à s’y méprendre à un ordre religieux, où les recrues ont l’interdiction de se marier pour être tout à leur mission, où l’objectif est de cultiver une sagesse imprégnée du sens des priorités, où est prôné à outrance le détachement des biens de ce monde, qu’ils soient matériels ou immatériels (comme les passions mauvaises, par exemple), un ordre construit autour d’une hiérarchie (étant entendu que l’un ne peut aller sans l’autre, n’en déplaise aux idées du moment) inconditionnelle : tout cela ne peut que réjouir le chrétien habitué à voir toutes ces idées tournées en ridicule.
 
La philosophie de l’obéissance prônée dans ce film va parfaitement dans ce sens. Au sein de l’ordre, les Jedi doivent essayer de comprendre les événements et les maîtres sont toujours disponibles pour répondre aux questions et prévenir les angoisses. L’emportement doit céder le pas à la sagesse. Le jeune Anakin est conscient d’être plein de talents, et cette conscience est véritablement le moteur de sa fougue. Il a fait des choses remarquables dans le passé grâce à ses qualités, et s’indigne au nom de ces faits d’armes que le Conseil des Jedi ne lui accorde pas plus d’importance, qu’il n’obtienne pas plus d’écoute. Lentement va germer en lui une indépendance préjudiciable aussi bien à son humilité qu’à l’ordre même des Jedi, qui se montre aussi reconnaissant pour les actes accomplis que méfiant pour les dispositions intérieures du jeune padawan (comprenez « disciple » chez les Jedi). Véritable conquérant dans le cœur d’Anakin, l’orgueil apporte son lot de tristesse et d’interrogations sans réponse. Il se met à soupçonner tout le monde, particulièrement ceux qui ont une autorité sur lui. La critique systématique envahit son cœur, remises en cause fondées non sur un principe de vérité mais sur un principe de révolte. C’est l’histoire des scissions. L’Eglise catholique en a connu des milliards, d’importances plus ou moins désastreuses, qui se sont toutes déroulées de cette façon. Talents, orgueil, critiques, révolte. George Lucas dénonce cela avec une lucidité impressionnante qui n’est pas véritablement dans l’histoire elle-même… Lucas sait lire, et les histoires sont légions à être construites sur ce modèle. Elle réside donc plutôt dans la création de l’œuvre cinématographique, dans cette façon d’incarner les conflits existentiels dans l’enveloppe diégétique. Anakin n’est pas totalement mauvais. Il est la proie d’un séisme intérieur, le jeu de massacre entre le bien et le mal. Veut-on ne voir dans la saga Star Wars qu’un univers manichéen, et l’on rate immédiatement la partie la plus importante du message : le bien et le mal coexistent dans la réalité humaine qui prend tantôt l’éclat de l’un, tantôt l’obscurité de l’autre. « Je te hais ! » lance Anakin à son maître. « Je t’aimais », réponds celui-ci le visage baigné de larmes. Il aimait ce que son disciple était, il n’aime plus ce qu’il est devenu. Le passage de la puissance à l’acte s’est opéré dans un déchirement de la conscience. Voilà en quoi l’on peut reconnaître une psychologie travaillée et réaliste. L’histoire d’un homme, reflet de l’humanité. Fasciné par un tel spectacle, le catholique se délecte et prête attention à l’attitude de la salle qui exulte. Ne voit-elle qu’une avalanche de science-fiction ou perçoit-elle au milieu de la technique les principes immuables qui ont toujours conduit l’humanité et dont l’enseignement est aujourd’hui quasi-inexistant ?
 
George Lucas se serait-il inspiré de l’histoire de l’Eglise et de ses institutions ? Le catholique peut y croire jusqu’au moment où tombe la phrase fatidique qui semble détruire toutes ses illusions. « Si tu n’es pas avec moi, tu es contre moi ! » fulmine Anakin. « Seuls les Sith sont aussi absolus, » lui répond Obiwan. La parole est trop célèbre pour que le hasard en soit le père putatif. George Lucas a-t-il voulu faire passer un message, ou simplement dire que l’on peut être dans les faits contre quelqu’un qu’on aime ? « Je t’aimais » Donc il ne l’aime plus. Alors ? Alors le doute s’instaure qui oblige à faire de plus amples recherches sur les sources de George Lucas. Pas besoin d’approfondir beaucoup pour constater que l’homme est cultivé, très cultivé. Le seul problème est qu’il est très discret, et que les interview sont rares… voilà pourtant les idées qui courent dans les « milieux autorisés » (comprenez cercle de fans star warsologues).
La première source incontestable de George Lucas est le Seigneur des Anneaux. Lucas aurait assumé totalement cette parenté. On peut retrouver dans cette analogie (nous nous abstiendrons de citer les analogies formelles, comme le découpage en trilogies par exemple) la corruption (Anakin – Saruman), l’Ordre (Jedi – Magiciens), la référence au Troisième Reich (troupes organisées, parfaites, combattantes et disciplinées), la dichotomie bien – mal et les interactions entre les deux.
La deuxième inspiration majeure doit être cherchée dans le Japon médiéval. Lucas aurait avoué s’être inspiré de La forteresse cachée, de Kurosawa, qu’il connaissait pour avoir produit un de ses films : Kagesmusha. Deux références attirent immédiatement l’attention du pratiquant d’arts martiaux : la façon de combattre en utilisant la force de l’adversaire (Aïkibudo et Ju-jitsu), la façon d’utiliser le sabre pour tuer par l’action de dégainer (Iaï-jitsu).
Enfin les connaisseurs retrouveront indubitablement dans la Force le fameux Ki japonais, sorte d’énergie vitale qui sous-tend à la fois le bien et le mal (le mal ne pouvant exister qu’en vivant). La maîtrise du Ki étant l’ objectif de la plupart des philosophies orientales, on peut retrouver cette préoccupation dans la philosophie Jedi.
 Le philosophe catholique pourra donc prendre ses distances d’avec cette philosophie au moins sur un point, car le mal n’a pas d’existence réelle. Il est au contraire absence d’existence, c’est-à-dire absence de bien. La vie et le bien sont donc deux composantes indissociables qui font dire de Notre-Seigneur qu’il est « source de Vie ». L’homme qui fait le mal est un homme qui ne peut être totalement mauvais puisqu’il a en lui le principe de vie, c’est-à-dire le principe d’agir positivement en ayant le courage ne pas verser dans l’abstention. Après avoir vu les sources certaines, on peut encore envisager les sources probables.
 
L’histoire romaine aurait inspiré le passage de la République à l’empire par la manipulation politique de César (manipulation du sénat en particulier).
La politique des Etats-Unis, très critiquée par George Lucas, pourrait être à l’origine de la puissance militaire de l’empire, doté d’une armée pouvant intervenir partout et à tout moment, ainsi que des lobbies économiques (au travers de la Fédération du commerce).On a enfin accusé George Lucas d’avoir plagié la trilogie Fondation, d’Isaac Asimov. En sachant cela, le spectateur peut tirer un certain nombre de conclusions.
La première est que le cinéma est vecteur d’idéologie. Que les sources de Star Wars soient vraies ou partiellement vraies ne change rien à la donne : les bovins de tout poils doivent absolument cesser de ne voir dans le cinéma qu’un divertissement, sous peine de se faire manipuler.
La deuxième est que l’influence du christianisme, quoique indirecte, est bien réelle puisqu’on sait quel poids a joué celui-ci chez Tolkien, catholique pratiquant convaincu.
La troisième est que le bouddhisme est très présent, et qu’ il justifie la fameuse phrase « seuls les Sith sont aussi absolus. » Pour le bouddhisme, le bien et le mal ne sont que les versants d’une même réalité éminemment sujette à toutes les contingences. La phrase de Notre-Seigneur (« Qui n’est pas avec moi est contre moi ») est, pour un bouddhiste, absurde. L’absoluité est une étroitesse d’esprit (on retrouve cette analyse dans le taoïsme chinois à travers les notions de Yin et de Yang).
 
Le message véhiculé par le film est donc relativement sain. Il n’est pas inutile de rappeler toutes les valeurs qu’oublie allègrement la société française (qui continue néanmoins à snober la culture américaine pour se retrancher dans de fausses valeurs artificielles) mais il faut distinguer le bon grain de l’ivraie en comprenant que la vraie sagesse ne peut exister en dehors de l’absoluité. Reste que  Star wars : Episode III - La Revanche des Sith demeure un film très positif, sans aucune scène ni sous-entendu lubrique (mais au contraire dans un esprit d’amour pur et désintéressé).
 
La violence psychologique et parfois physique fera déconseiller l’œuvre aux petits qui, de toute façon, auront du mal à percevoir les enjeux politiques et sociaux du scénario.






Raphaël JODEAU