Un film portant sur une vie ou une œuvre constitue toujours un défi de taille pour son auteur. Un tel travail, en effet, n'est pas a priori soutenu par une aventure romanesque ou une intrigue palpitante. Il est dès lors condamné, en quelque sorte, sauf à perdre toute crédibilité pour le spectateur, à offrir une densité que ne requièrent pas les films de "distraction".
Maria Schrader, actrice et scénariste allemande, relève ce défi, en proposant aujourd'hui un film biographique portant sur les dernières années de la vie de l'écrivain, poète et journaliste autrichien Stefan Zweig (1881-1942), auteur d'une œuvre abondante et variée, et notamment des célèbres “Marie-Antoinette” (1932) et “Vingt-quatre heures de la vie d'une femme” (1927).
Stefan Zweig, adieu l'Europe – qui paraît sur les écrans – nous plonge dans l'Amérique de la fin des années 1930, alors que le romancier, qui est juif, a fui le nazisme pour s’y réfugier. Les costumes et la mise en scène favorisent parfaitement ce cadre. Les acteurs, très justes dans leurs rôles respectifs, transportent le spectateur. Maria Schrader souhaite avant tout rendre hommage à cet auteur pour qui « le travail intellectuel a toujours été la joie la plus pure et la liberté individuelle le bien suprême de ce monde », à travers une réalisation sobre et méditative. La scène finale est d'ailleurs très impressionnante et l’utilisation d’une caméra fixe pour filmer le champ par le hors-champ est parfaitement maîtrisée, rappelant le tableau de la Vénus d'Urbin du Titien, œuvre dans laquelle le peintre souhaite interroger le spectateur sur ce qu'il voit ou croit voir, sur le rôle de l'illusion dans l'art. Est-ce réalité ou fiction ?
Stefan Zweig, magnifiquement interprété par Joseph Hader, est un homme qui a voulu échapper à la guerre mais qui ne peut se résoudre à la laisser derrière lui. Au milieu de la gaieté qui anime les Sud-Américains, il semble n'être qu'un fantôme perdu dans ses pensées. Sentiment de culpabilité ? Possible. Pourquoi a-t-il pu fuir la guerre alors que tant d'autres souffrent de la domination nazie ? A-t-il le droit de profiter de sa notoriété ? Toute ces questions paraissent hanter ce personnage à la fois mystérieux et complexe. Ce sentiment est renforcé par le fait que l'Amérique semble ne pas avoir vraiment conscience du drame qui se noue en Europe. L'écrivain se sent seul et impuissant face à l'agonie de son pays. Cette solitude est parfaitement rendue à l'écran. Doté d'une puissante acuité de regard sur le monde, ce grand esprit ne peut se résoudre à abandonner sa culture et ses origines, si chères à son cœur.
Ce film présente ainsi les doutes d'un homme voyant son succès et sa renommée se développer dans le monde entier alors que ses frères sont plongés dans la crainte et la destruction : « Que pèse mon travail face à cette réalité ? ». Sombrant de plus en plus dans la dépression, Stefan Zweig paraît ne plus croire en son idéal pacifiste : « Comment parvenir à ce que les êtres humains vivent en paix sur notre terre ? ». Dans son désespoir, bien que tout autour de lui chante la joie de vivre, l'auteur ne voit aucune issue car il ne peut s'empêcher de penser à sa vie passée. Il semble que des racines spirituelles profondes aient manqué à cet homme exceptionnel, désarmé par le mal répandu en ce monde. George Bernanos, qui partageait sa redoutable lucidité, mais qui était autrement mieux armé spirituellement, chercha à l'aider. En vain. Ces circonstances sont malheureusement absentes du film, comme si personne n'était au courant du mal-être si profond qui habitait Stefan Zweig.
La question de la responsabilité intellectuelle et du rôle de l'écrivain est naturellement appelée par les interrogations mêmes du héros du film. Stefan Zweig, pacifiste déterminé, refuse tout engagement politique, au grand dam des journalistes qui l'entourent, l'accusant d'ailleurs de lâche, d'égocentrique et de peureux. Mais l’écrivain a-t-il à s’exprimer sur tout, à donner son opinion dans tous les domaines, notamment sur la politique et ses remous, au motif qu’il est lucide et qu’il sait écrire ? C’est un travers bien ancré dans notre époque que de penser que quiconque peut s’exprimer peut le faire en toutes matières, y compris dans celles dont il ne maîtrise pourtant pas les principes. L’écrivain se fait moralisateur et prophète, le sociologue se fait philosophe et au besoin théologien, le jugement du politicien, quant à lui, n’a pas de limites. Maria Schrader nous montre un Zweig autrement plus modeste, connaissant les fonctions et la finalité de son art, sans en dépasser les limites.
Ce biopic, doté d'une réalisation de qualité, surprendra le spectateur par sa mise en scène originale, présentée comme un journal de bord. Certaines scènes se succèdent sans lien apparent, entrecoupées brutalement, sans nuire cependant en rien à la compréhension du récit. La lecture reste fluide et efficace, ce qui indique la maîtrise de l’auteur du film. Stefan Zweig, adieu l'Europe est un film manifestement réalisé après de nombreuses recherches. Il nous permet d'enrichir notre culture, ne serait-ce qu’en nous portant à découvrir ou à reprendre l’œuvre de l’auteur viennois. Sa version multilingue, fort agréable, traduit l’influence qu'a pu avoir ce grand écrivain du 20e siècle. Un film à voir, assurément, en un temps où la lucidité demeure une exigence intellectuelle essentielle.
Un film portant sur une vie ou une œuvre constitue toujours un défi de taille pour son auteur. Un tel travail, en effet, n'est pas a priori soutenu par une aventure romanesque ou une intrigue palpitante. Il est dès lors condamné, en quelque sorte, sauf à perdre toute crédibilité pour le spectateur, à offrir une densité que ne requièrent pas les films de "distraction".
Maria Schrader, actrice et scénariste allemande, relève ce défi, en proposant aujourd'hui un film biographique portant sur les dernières années de la vie de l'écrivain, poète et journaliste autrichien Stefan Zweig (1881-1942), auteur d'une œuvre abondante et variée, et notamment des célèbres “Marie-Antoinette” (1932) et “Vingt-quatre heures de la vie d'une femme” (1927).
Stefan Zweig, adieu l'Europe – qui paraît sur les écrans – nous plonge dans l'Amérique de la fin des années 1930, alors que le romancier, qui est juif, a fui le nazisme pour s’y réfugier. Les costumes et la mise en scène favorisent parfaitement ce cadre. Les acteurs, très justes dans leurs rôles respectifs, transportent le spectateur. Maria Schrader souhaite avant tout rendre hommage à cet auteur pour qui « le travail intellectuel a toujours été la joie la plus pure et la liberté individuelle le bien suprême de ce monde », à travers une réalisation sobre et méditative. La scène finale est d'ailleurs très impressionnante et l’utilisation d’une caméra fixe pour filmer le champ par le hors-champ est parfaitement maîtrisée, rappelant le tableau de la Vénus d'Urbin du Titien, œuvre dans laquelle le peintre souhaite interroger le spectateur sur ce qu'il voit ou croit voir, sur le rôle de l'illusion dans l'art. Est-ce réalité ou fiction ?
Stefan Zweig, magnifiquement interprété par Joseph Hader, est un homme qui a voulu échapper à la guerre mais qui ne peut se résoudre à la laisser derrière lui. Au milieu de la gaieté qui anime les Sud-Américains, il semble n'être qu'un fantôme perdu dans ses pensées. Sentiment de culpabilité ? Possible. Pourquoi a-t-il pu fuir la guerre alors que tant d'autres souffrent de la domination nazie ? A-t-il le droit de profiter de sa notoriété ? Toute ces questions paraissent hanter ce personnage à la fois mystérieux et complexe. Ce sentiment est renforcé par le fait que l'Amérique semble ne pas avoir vraiment conscience du drame qui se noue en Europe. L'écrivain se sent seul et impuissant face à l'agonie de son pays. Cette solitude est parfaitement rendue à l'écran. Doté d'une puissante acuité de regard sur le monde, ce grand esprit ne peut se résoudre à abandonner sa culture et ses origines, si chères à son cœur.
Ce film présente ainsi les doutes d'un homme voyant son succès et sa renommée se développer dans le monde entier alors que ses frères sont plongés dans la crainte et la destruction : « Que pèse mon travail face à cette réalité ? ». Sombrant de plus en plus dans la dépression, Stefan Zweig paraît ne plus croire en son idéal pacifiste : « Comment parvenir à ce que les êtres humains vivent en paix sur notre terre ? ». Dans son désespoir, bien que tout autour de lui chante la joie de vivre, l'auteur ne voit aucune issue car il ne peut s'empêcher de penser à sa vie passée. Il semble que des racines spirituelles profondes aient manqué à cet homme exceptionnel, désarmé par le mal répandu en ce monde. George Bernanos, qui partageait sa redoutable lucidité, mais qui était autrement mieux armé spirituellement, chercha à l'aider. En vain. Ces circonstances sont malheureusement absentes du film, comme si personne n'était au courant du mal-être si profond qui habitait Stefan Zweig.
La question de la responsabilité intellectuelle et du rôle de l'écrivain est naturellement appelée par les interrogations mêmes du héros du film. Stefan Zweig, pacifiste déterminé, refuse tout engagement politique, au grand dam des journalistes qui l'entourent, l'accusant d'ailleurs de lâche, d'égocentrique et de peureux. Mais l’écrivain a-t-il à s’exprimer sur tout, à donner son opinion dans tous les domaines, notamment sur la politique et ses remous, au motif qu’il est lucide et qu’il sait écrire ? C’est un travers bien ancré dans notre époque que de penser que quiconque peut s’exprimer peut le faire en toutes matières, y compris dans celles dont il ne maîtrise pourtant pas les principes. L’écrivain se fait moralisateur et prophète, le sociologue se fait philosophe et au besoin théologien, le jugement du politicien, quant à lui, n’a pas de limites. Maria Schrader nous montre un Zweig autrement plus modeste, connaissant les fonctions et la finalité de son art, sans en dépasser les limites.
Ce biopic, doté d'une réalisation de qualité, surprendra le spectateur par sa mise en scène originale, présentée comme un journal de bord. Certaines scènes se succèdent sans lien apparent, entrecoupées brutalement, sans nuire cependant en rien à la compréhension du récit. La lecture reste fluide et efficace, ce qui indique la maîtrise de l’auteur du film. Stefan Zweig, adieu l'Europe est un film manifestement réalisé après de nombreuses recherches. Il nous permet d'enrichir notre culture, ne serait-ce qu’en nous portant à découvrir ou à reprendre l’œuvre de l’auteur viennois. Sa version multilingue, fort agréable, traduit l’influence qu'a pu avoir ce grand écrivain du 20e siècle. Un film à voir, assurément, en un temps où la lucidité demeure une exigence intellectuelle essentielle.